La problématique du harcèlement sexuel a été relancée par l'affaire du producteur américain Harvey Weinstein. Défini et dénoncé comme tel depuis 1964 aux Etats-Unis, le phénomène est resté longtemps tu et invisibilisé en Suisse. Il a fallu attendre 1995 et la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes pour que cette pratique soit réprimée en tant que telle. Retour sur les étapes d'une (trop) lente prise de conscience.
Rompre le silence
Le procès d'Aix-en-Provence, en 1978, est une date importante dans la prise de conscience des violences faites aux femmes dans le monde francophone. Grâce à la pugnacité de l'avocate féministe Gisèle Halimi, un cas de viol obtient d'être jugé devant une Cour d'assises. En Suisse, les féministes commencent à dénoncer publiquement les violences sexuelles, un sujet encore très largement tabou, comme le confirme en 1979 la responsable du Centre-femmes de Genève.
Drague ou harcèlement de rue?
Réalisé en 1986, ce reportage de l’émission Mon œil questionne hommes et femmes sur leur vision de la drague et met en scène quelques situations. Entre drague, drague lourde et harcèlement de rue, la frontière semble assez poreuse dans les esprits. Le reportage lui-même baigne dans une confusion non exempte de complaisance envers ce qui apparaît aujourd'hui comme une forme de sexisme.
Victoire symbolique
En 1987, une affaire de harcèlement sexuel au sein d'une entreprise à Genève est jugée devant les prud'hommes. Une ouvrière conteste son renvoi pour faute professionnelle, affirmant que ce dernier a été provoqué par son refus de céder aux avances de son chef d’équipe.
Déboutée en première instance, la plaignante finit par obtenir en 1989 la reconnaissance du tort qui lui a été fait : les juges de la Chambre d’appel acceptent en effet d’élargir la notion de « respect de la personnalité » inscrite dans le code des obligations au harcèlement sur le lieu du travail, qui n’est pas légalement reconnu. Pour les associations de défense des droits des femmes, c’est une importante victoire symbolique.
Peu de solidarité
Quatre ans plus tard, toujours à Genève, une ex-employée conteste également son licenciement. Elle accuse le sous-directeur de l’entreprise de l’avoir harcelée sexuellement durant plusieurs années. Souffrant de dépression, elle a été licenciée au bout de six mois de congé maladie. Le sous-directeur reconnaît les faits, tout en déclarant s’être amendé. Bien qu’au courant de ces agissements, la majorité des membres du personnel, parmi lesquels de nombreuses femmes, prend fait et cause pour leur chef.
Le tribunal des prud’hommes rend son verdict en décembre 1991. Il condamne l’entreprise à verser une indemnité de 15'000 francs. S’il a le mérite de reconnaître la réalité du harcèlement, ce verdict semble pourtant bien léger au regard des souffrances endurées.
Vers un cadre légal
Au fil des ans, la lutte contre le harcèlement va s'organiser. L'association genevoise Viol-Secours crée en 1988 une permanence d'écoute, les groupes féministes font entendre leurs voix et continuent de soutenir celles qui osent défier l'omerta régnant dans les entreprises. Les syndicats se sensibilisent à la problématique. En 1989, l'émission Tell Quel fait le bilan de la situation. S'il y a bien une prise de conscience du problème, il manque toujours un cadre légal efficace.
Six ans après cette émission, le 24 mars 1995, l'Assemblée fédérale adopte la loi fédérale sur l'égalité entre femmes et hommes. Un article spécifique est dédié au harcèlement sexuel, considéré comme une forme de discrimination. Si une évolution des mentalités a bien eu lieu, les cas de dénonciation continueront à rester rares et ceux où les femmes victorieuses devant la justice réussissent à rester à leur poste pratiquement inexistants.
Sophie Meyer pour les archives de la RTS