Monthey ville bilingue

Classe bilingue d'écoliers de Monthey en 1996. [RTS]
  • Éducation
  • Vidéo 24 min.

15 mars 1996

Tell Quel

En 1996, la ville de Monthey innove en explorant la piste du bilinguisme. Face aux aléas économiques, elle offre une alternative à l'enseignement traditionnel de l'allemand et réussit ainsi une équation alliant pédagogie et économie. L'émission Tell Quel relate cette expérience.

Dès la 2e année d'école enfantine, les élèves ont la possibilité de suivre la scolarité moitié en français et moitié en allemand. La formule est simple: deux enseignants, l'un francophone, l'autre germanophone se partagent une classe. Au final, des écoliers qui, sans être parfaitement bilingues, ont une bonne maîtrise de l'allemand et une plus grande perméabilité aux autres langues étrangères.

La jeune Audrey avoue avoir plus de travail au quotidien mais son plaisir d'apprendre est intact. "C'est un truc que j'aime bien". Pari réussi donc pour l'enseignement bilingue!

L'enseignement des langues en Suisse

Dans les années 1930, ce sont les cantons romands qui s’inquiètent les premiers de l’apprentissage de la langue de Goethe pour leurs chères têtes blondes. En 1932, Neuchâtel introduit l’enseignement obligatoire de l’allemand pour les quatre derniers degrés de l’école primaire, à raison de trois heures par semaine pour les garçons (deux pour les filles). Genève suit la même année pour les élèves de 6e année, tandis que Vaud s’aligne en 1937, dès la 6e année également.

Paradoxalement, les cantons bilingues accordent moins d’importance à l’enseignement des langues. A Fribourg et à Berne, une seconde langue n’est enseignée qu’au niveau secondaire et à titre facultatif, tandis que l’ensemble de la scolarité valaisanne se fait dans la langue maternelle uniquement.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, cependant, la totalité des cantons romands ont introduit l’allemand dès le primaire. Son enseignement fait même l’objet d’une recommandation de la Conférence des chefs des départements de l’Instruction publique de Suisse romande.

En 1975, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’Instruction publique tente d’harmoniser le système en recommandant aux cantons l’enseignement obligatoire d’une deuxième langue nationale au plus tard dès la 5e année de primaire. Un modus vivendi suivi par les directeurs de l’Instruction publique dans leur grande majorité.

Il en reste ainsi pendant plus d’une vingtaine d’années, jusqu’à la fin des années 1990. Avec l’avènement d’Internet et l’avancée de la mondialisation, la culture anglo-saxonne s’invite partout, que ce soit par les fast-food, les films, la musique, et surtout dans le monde du travail. En parallèle, les débats de 1997 ont une résonance très actuelle: l'apprentissage scolaire des langues est jugé peu efficace, les méthodes d’apprentissage sont remises en question, et l’on déplore le peu d’échanges linguistiques entre les régions du pays.

Que fait alors Zurich? Considérant que l’anglais représente désormais un prérequis indispensable au monde du travail actuel, le canton introduit l’anglais dès la première primaire en rognant les heures de français.

Tollé national. Zurich est accusé de mettre en péril la cohésion du pays. «L’annonce de ces dispositions a été ressentie en Suisse romande comme la rupture d’une règle établie, d’un consensus fédéral qui avait été long à construire et qui s’était forgé au cours du temps, analyse à l’époque Christiane Perregaux, professeure de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève. A cette déception, cette trahison diraient certains, s’ajoute l’état du développement économique asymétrique des deux régions: le chômage atteint de plein fouet la Suisse romande, alors que la Suisse alémanique est moins touchée par la disparition d’emplois. Or ce sont souvent des arguments économiques qui sont avancés pour justifier la pertinence de l’introduction précoce de l’anglais dans les écoles zurichoises.»

Malgré la colère, Zurich tient bon. En 1999, le canton annonce un compromis qui esquive la question de l’enseignement du français en instaurant deux langues en primaire, une langue nationale et l’anglais, mais sans spécifier l’ordre d’introduction. Zurich ayant également annoncé la généralisation de l’apprentissage de l’anglais en 1ere année primaire dès la rentrée 1999, le choix sur la priorité donnée fait peu de doutes. L’apprentissage de la première langue étrangère doit toutefois débuter au plus tard en 2e année, celui de la deuxième au plus tard en 5e.

Le début d’un grand chamboulement. «Depuis l’irruption de l’apprentissage de l’anglais dans les classes primaires zurichoises, à la fin des années 1990, la politique d’enseignement des langues en Suisse n’a plus de cohérence», analyse Simone Forster. La CDIP tente d’instaurer, entre 2000 et 2001, de nouvelles recommandations, en vain. La commission ne parvient pas à obtenir une majorité de voix. Au final, en 2004, elle opte pour la solution de compromis qui se calque en partie sur le concept zurichois, le modèle «3/5»: une langue nationale et l’anglais au plus tard en 3e et en 5e année. Les cantons sont libres de commencer par la langue de leur choix.

Quatorze cantons de Suisse alémanique font le choix de l’anglais, tandis que la Suisse latine (GE, JU, NE, TI, VD) et les cantons bilingues (BE, FR, GR, VS) et limitrophes (SO et les deux Bâles) optent pour la langue nationale.

L’harmonisation des plans d’études (HarmoS et Lehrplan 21) calque sa stratégie d’enseignement des langues sur les recommandations de la CDIP votées en 2004. En 2006, des initiatives populaires intitulées «Contre deux langues étrangères à l’école primaire» sont lancées dans cinq cantons alémaniques (Schaffhouse, Thurgovie, Zoug, Zurich et Lucerne). Elles sont toutes rejetées par le peuple. Aujourd’hui, le vent semble avoir tourné, même si la décision de supprimer le français en primaire dans les cantons de Thurgovie et de Nidwald vient des parlements, et non pas du peuple.