Qu’ils soient d’eau douce ou de la mer, bien des poissons que nous mangeons sont contaminés par des substances chimiques. On se souvient de l’alerte aux PCB dans les saumons d’élevage il y a une dizaine d’années aux USA. C’est maintenant la Norvège et la France qui recommandent de ne pas trop manger certains poissons. ABE a suivi la trace de ces composés chimiques dont on ne sait pas grand-chose, notamment concernant leurs effets sur la santé. Enquête, analyses et recommandations pour une consommation éclairée du poisson!
Les PCB plombent nos lacs et rivières
En 2008, des analyses toxicologiques ont révélé qu’un certain nombre d’ombles chevaliers, un poisson très apprécié des pêcheurs du lac Léman pour sa chair délicate, contenaient des PCB de type dioxine en quantité importante dans leur organisme. Les spécimens les plus vieux et les plus grands dépassant même la norme tolérée, si bien que les chimistes cantonaux et les autorités françaises ont réagi pour protéger le consommateur.
La commercialisation est donc restreinte aux ombles chevalier dont la taille est inférieure à 39 cm. Les PBC se bio-accumulent essentiellement dans les graisses et comme l’omble chevalier est le seul prédateur du Léman qui est vraiment gras, les autres espèces ne sont pas concernées par l’interdiction.
Les PCB ou polychlorobiphényles sont des substances chimiques très stables. Elles étaient surtout utilisées dans les transformateurs électriques. Bien qu’ils soient interdits en Suisse depuis les années 80, les polychlorobiphényles ne se dégradent pas et s’accumulent dans les décharges, si bien qu’ils se répandent dans les rivières et lacs, charriés par les fortes pluies. Ils sont ensuite ingurgités par les organismes aquatiques dont les poissons, en bout de chaîne alimentaire.
Quels sont les risques des PCB pour la santé? Jean-Pierre Cravedi, directeur de recherche chez Toxalim à l’INRA de Toulouse, précise que ces agents chimiques à haute dose affectent les défenses immunitaires. Les polychlorobiphényles sont aussi des perturbateurs endocriniens avérés avec des effets sur la reproduction et sur le développement. Certains PBC ont même été classés parmi les substances cancérigènes.
Les dernières analyses de la Commission internationale pour la protection des eaux du Léman démontrent que la situation n’a pas évoluée. On estime qu’il faudra une cinquantaine d’années pour que ces PCB disparaissent peu à peu de l’environnement.
Polybromés et perfluorés
Les PCB ne sont pas les seules substances qui contaminent la chair des poissons de nos lacs. La situation est même plus inquiétante avec deux autres familles de polluants que sont les polybromés et les perfluorés. Les polybromés sont des retardateurs de flamme dont on imprègne les objets pour les empêcher de prendre feu et de brûler trop facilement. Les perfluorés, de leur côté, sont des imperméabilisants. Ils sont utilisés pour traiter les objets de notre quotidien: TV, appareils électroniques, peluches, moquette, ordinateur, textiles, poêles,...
Déversés dans la nature, ces substances chimiques présentent des risques. A l’instar des PCB, les polybromés contaminent les poissons gras, suivant le même chemin de la chaîne alimentaire. D’après les expériences animales, ces substances attaquent le système nerveux central avec des effets qui ont été observés sur le comportement, l’apprentissage et la mémoire.
Les perfluorés, quant à eux, se répandent dans tous les poissons du Léman, quelle que soit leur teneur en graisse. Cette famille d’agents chimiques interpelle car les scientifiques n’ont pas encore pu mesurer leur réel impact sur l’homme. Une hypothèse est néanmoins avancée par les chercheurs: ces substances favoriseraient l’obésité croissante des populations occidentales. Les autorités sanitaires n’ont pour le moment toujours pas défini la moindre norme pour ces deux familles de substances chimiques.
Contamination des poissons de mer
Les poissons d’eau douce ne sont pas les seuls contaminés par la pollution. Les inquiétudes prévalent aussi autour du saumon depuis une dizaine d’année.
A Nantes, se trouve le LABERCA, un laboratoire spécialisé dans l’étude des résidus et contaminants dans les aliments. Nous y avons fait analyser différents échantillons de saumons sauvages et d’élevage conventionnel ou bio achetés en Suisse romande. Ces saumons provenaient pour le sauvage d’Alaska, de Suède et de l’Océan Pacifique. Les spécimens issus de l’élevage conventionnel venaient de Norvège et d’Ecosse. Et pour l’élevage bio, d’Irlande.
La réglementation aujourd’hui en vigueur en Europe pour les PCB et les dioxines repose sur trois critères. Les dioxines seules, les dioxines et les PCB de type dioxine ensemble, et enfin les PCB non dioxines d’autre part. Donc trois mesures ont été effectuées pour jauger la conformité des produits. L’analyse montre que l’intégralité des saumons atteint à peu près un dixième des seuils admis au niveau européen. Il s’agit donc de produits de très bonne qualité au sens des contaminants chimiques.
Une évaluation fine montre aussi que les saumons d’élevage présentent un taux de PCB type dioxine un peu plus élevé que les saumons sauvage. Pour Bruno Le Bizec, directeur du LABERCA, la contamination des saumons d’élevage tend plutôt à diminuer: «En abaissant progressivement les limites maximales tolérées dans l’aliment pour le poisson, on est arrivé aujourd’hui à maîtriser la contamination de ces poissons d’élevage et à limiter au maximum leur imprégnation au regard de ces PCB».
Les saumons sauvages analysés n’ont que des traces de PCB, mais il faut savoir que la contamination des poissons sauvages peut varier assez fortement en fonction du lieu de pêche en mer. Le laboratoire n’a pas trouvé de résidus de perfluorés dans nos neuf échantillons de saumon. En revanche, il a détecté des traces de polybromés.
Pour caractériser le risque associé à ces substances chimiques, on ne cherche pas seulement les résidus dans les poissons. On analyse aussi les données d’imprégnation chez l’homme, c’est-à-dire le taux de ces substances qu’on retrouve dans le sang des populations exposées.
Les scientifiques ont constaté que le taux concernant les résidus de PCB a fortement baissé ces quinze dernières années. Ce qui prouve bien que l’interdiction totale il y a bientôt trente ans d’utiliser des PCB a eu l’effet escompté sur toute la chaîne jusqu’à l’être humain.
Invité: Claude Reiss, ex-directeur de recherche au CNRS, fondateur de l’association Antidote, pour une science responsable