La très huppée commune de Cologny n’a pas évité les erreurs de jeunesse lorsqu'elle s'est lancée dans la vidéosurveillance. Il y a près de deux ans, les autorités ont jugé nécessaire d’améliorer la sécurité sur le territoire communal : elles ont fait poser une caméra dans douze lieux sensibles. Les effets ont été très rapides : les vols, déprédations et autres tags ont disparu et les stationnements sauvages ont nettement diminué.
Mais il est vite apparu que ce dispositif n’était pas suffisant. "Pour une surveillance optimale, nous avons dû opter pour deux caméras par site afin d’avoir des champs croisés", explique le maire Pierre-Yves Vallon. La commune s'est donc dotée de douze appareils supplémentaires.
De plus, Cologny ne disposant pas de fibres optiques, elle a eu recours à un système hertzien de transfert des données, ce qui rend l'installation plus délicate. "Les premiers mois, nous avons eu plusieurs petites pannes. Il a notamment fallu réorienter les relais", reprend Pierre-Yves Vallon. Au total, l'installation aura coûté 250'000 francs.
Une surveillance en temps réel
A Veyrier, une école et deux parkings communaux sont sous observation. Très satisfaite du système qui a coûté 105'000 francs, la commune veut désormais aller plus loin. Elle juge maintenant nécessaire d’assurer une surveillance en temps réel de l’un de ses parkings. Mais problème : les agents municipaux ne peuvent travailler en continu le soir et le week-end.
"Dans le cadre d’un plan de sécurité global, nous avons recours à une agence de surveillance privée qui effectue des patrouilles dans la commune. A l’avenir, elle sera aussi chargée de visionner ces images en temps réel", indique le maire de Veyrier Thomas Barth. Outre la question des coûts se pose aussi celle de la privatisation de la sécurité. Contrairement à la police, les agences privées ne sont pas tenues à une charte éthique et nagent dans un flou juridique (voir ci-contre les réactions politiques en vidéo).
Les embûches des débuts
Professeure à l’EPFL et spécialiste de la question, Valérie November souligne que les utilisateurs sont la plupart du temps ravis des effets de la surveillance vidéo mais que son utilisation s'avère plus compliquée qu’il n’y paraît. "Les débuts sont souvent difficiles : les pannes sont fréquentes, les caméras doivent être déplacées, les logiciels améliorés,… bref, des ajustements constants".
Même si les collectivités ont mené une étude sérieuse avant de s’équiper, les véritables besoins sont généralement identifiés seulement après l’installation des caméras, selon la scientifique. Parfois, l’infrarouge doit être ajouté pour une qualité optimale des images, comme à Veyrier. Parfois c’est un système de floutage des visages pour respecter la vie privée des individus. Ou pire, il arrive que la vidéosurveillance ne réponde pas aux objectifs fixés. Dans une foule par exemple, les caméras censées identifier les pickpockets, si elles sont mal cadrées, ne parviennent à filmer que le buste des individus. Là, c’est toute l’utilité du système qui doit être repensée.
Des images que personne ne regarde
Il arrive aussi que les collectivités se trouvent prises dans le tourbillon de la surveillance vidéo. La police cantonale genevoise en est l’illustration, elle qui va installer 25 caméras supplémentaire en ville de Genève alors que les huit installations actuelles ne sont pas vraiment utilisées. Avant l'Euro 2008, le canton avait en effet voté un budget de 4,7 millions de francs (dont 1,35 million de subventions fédérales) pour 33 caméras. Huit sont déjà en fonction, sur des grands carrefours comme le Rond-Point de Plainpalais.
Or, comme le confirme le porte-parole Eric Grandjean, les images enregistrées n’ont jamais servi lors d’une procédure ou d’une enquête. "Ces caméras n’ont, pour l’heure, pas vocation de surveiller ou de faire baisser la criminalité, mais elles permettent aux échelons décisionnaires d'avoir une vision globale de la situation et de pouvoir réagir en conséquence", par exemple lors d’une manifestation. Les bandes seraient bien entendu utilisées en cas d’agression, ce qui n’est jamais arrivé.
En réalité, les vidéos ne sont pas visionnées car cette tâche demanderait du personnel à la surveillance et des équipes sur le terrain, précise Eric Grandjean. La police cantonale va toutefois poursuivre dans cette voie et équiper les vingt-cinq sites restants, principalement des missions diplomatiques. Un investissement de 15'000 francs par caméra, sans parler de la mise en réseau et de la maintenance.
La question d’étendre la surveillance vidéo se pose aussi dans les communes. A Veyrier, au vu du succès sur le terrain et du bon accueil de la population, les autorités étudient la possibilité d’aménager d’autres sites, comme les déchetteries ou un centre sportif. Quant à Cologny, quelques citoyens ont demandé l’extension du système mais les autorités ne l’envisagent pas pour le moment. "Il n’est pas question non plus de filmer tous les buissons", juge le maire Pierre-Yves Vallon.
Des coûts en cascade
Enfin, les caméras sont de plus en plus perfectionnées et les images de meilleure qualité. Cela oblige les pouvoirs publics à renouveler leur parc de caméras, engendrant de nouveaux investissements. Toujours à Cologny, on estime que d’ici deux ans, un tiers des caméras devront certainement être remplacées par des modèles plus performants.
La vidéosurveillance est souvent vue comme une parade à des moyens humains jugés trop chers, "mais il faut être conscients que ces installations entraînent souvent des coûts cachés, alors qu’on pensait faire des économies", affirme Valérie November. Selon son expérience, des adaptations sont nécessaires dans deux tiers des cas. Son remède? mener une discussions avec tous les acteurs, notamment le personnel des collectivités et le public, afin de prendre en considération le problème de la sécurité dans sa globalité, avant d'installer le système de vidéos.
Malgré ces désagréments, les collectivités sont de plus en plus nombreuses à se lancer. La semaine dernière, c'était la station valaisanne de Verbier. Cette semaine, c'est au tour de Carouge d'organiser un débat public sur la question en vue d'aménager douze caméras. Le maire de la commune Jean-Pierre Aebi se dit "effectivement conscient que des ajustements seront sans doute nécessaires, mais cela ne remet en aucun cas le projet en cause".
Cécile Rais
Le "sentiment de sécurité" aux TPG
Aux Transports publics genevois (TPG), deux tiers des véhicules sont sous surveillance vidéo. Certains bus articulés peuvent compter jusqu’à six caméras.
Le porte-parole Philippe Anhorn souligne l’effet rassurant pour les usagers et le personnel de conduite : "cela contribue à tranquilliser les relations humaines".
L’entreprise pense donc équiper 99% de son parc automobile d’ici deux ans, pour un coût moyen de 3300 à 4500 francs suivant le type de véhicule.
Les enregistrements sont souvent utilisés lors de procédures de plaintes. En 2009, 250 bandes ont été marquées et visionnées. Pour cette année, ce chiffre est déjà de 390, soit plus de dix visionnements par semaine, dont environ 190 sur demande de la police.
Même si au final, la vidéosurveillance "participe davantage au sentiment de sécurité qu’à la sécurité elle-même", conclut Philippe Anhorn.
Point de situation en Suisse romande
Selon les estimations, environ 100'000 caméras seraient en fonction dans l'espace public en Suisse. La loi fédérale sur la protection des données donne un cadre général à la pratique, mais les cantons jouissent d'une grande liberté.
A Lausanne, une vingtaine de sites sont actuellement sous observation, principalement des musées, de bâtiments historiques, des usines et des infrastructures techniques. Le quartier privé du flon est également surveillé. De plus, 33 autres installations sont chargées de surveiller le trafic. La municipalité discute actuellement un projet de règlement communal.
Toujours dans le canton de Vaud, les communes de Lutry, Bussigny, Romanel, Moudon, Mont-sur-Lausanne, Aigle et Yverdon-les-Bains disposent de caméras de surveillance.
En Valais, Verbier a décidé la semaine passée de se doter de 42 caméras. Elle rejoint notamment la station de Crans-Montana, qui a aménagé 85 caméras sur tout son territoire, et Sion, qui s'est lancée en 2008.
Le canton de Neuchâtel a de son côté mis en place en 2009 un organe de protection des données et de vidéosurveillance.
Fribourg étudie un projet de loi afin d'unifier les pratiques dans le canton. Les demandes d’autorisation pour des équipements dans l'espace public seraient gérées par la Direction de la sécurité et de la justice.
Enfin, aucune discussion n'est en cours dans le Jura.