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Avec "Maria", Jessica Palud interroge les limites de l'art et l'intégrité bafouée

Une image du film "Maria" de Jessica Palud. [DR]
Une image du film "Maria" de Jessica Palud. - [DR]
La réalisatrice Jessica Palud revient sur le traumatisme qu'a subi la jeune comédienne Maria Schneider sur le tournage du film "Le dernier tango à Paris" de Bertolucci en 1972. De la jeunesse chaotique de l'actrice à sa descente aux enfers, "Maria", sorti le 19 juin, est un film pudique et sensible.

1972. Maria Schneider (excellente Anamaria Vartolomei) n'est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu'elle enflamme la pellicule d'un film sulfureux devenu culte, "Le dernier tango à Paris", du réalisateur italien Bernardo Bertolucci. La jeune femme accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale.

"Le dernier tango à Paris" raconte la relation entre un quadragénaire suicidaire (Marlon Brando) et une jeune femme à l'allure adolescente (Maria Schneider). Le film contient entre autres une scène de sodomie qui ne figurait pas dans le scénario original et qui a été tournée sans en avertir la jeune actrice. Bien des années plus tard, après le décès de Maria Schneider, Bernardo Bertolucci l'a reconnu: il voulait pouvoir capter pour son film les larmes et l'humiliation sincère de son actrice.

Une enfance compliquée

Dès la sortie du "Dernier tango à Paris" en 1972, Maria Schneider est résumée à cette seule scène de sodomie et incarne aux yeux du public une véritable prostituée. Pour autant, "Maria", le long métrage de la réalisatrice française Jessica Palud, n'est pas centré autour de cet unique épisode. Il revient sur l'enfance difficile de Maria Schneider, entre une mère brutale qui la rejette et un père, alors marié à une autre femme, qui ne reconnaît pas son enfant adultérin.

Ce père, incarné par l'acteur français Daniel Gélin dans "Maria", observe par ailleurs sa fille se jeter dans la gueule d'un cinéma dont il connaît tout à fait les dangers. Le film raconte aussi la descente aux enfers de l'actrice, qui ne supporte plus le regard des gens et leur jugement permanent, sa plongée dans la drogue dure, puis sa rencontre amoureuse avec l'étudiante Noor, qui pose sur elle un nouveau regard.

Inspiré d'un livre

Pour "Maria", Jessica Palud, qui signe ici son deuxième film, s'est inspirée du livre que Vanessa Schneider a consacré à sa cousine Maria en 2018. Dans ce récit, la journaliste et romancière décrit combien le film de Bertolucci, huis clos de sexe et de violence, a marqué négativement la carrière et la vie de la jeune actrice. Le film "fut le linceul de [s]es rêves", écrit-elle.

>> A écouter, une interview de Jessica Palud à propos de "Maria" :

Jessica Palud et Vanessa Schneider au festival de Cannes en 2024. [Keystone - André Pain]Keystone - André Pain
Jessica Palud, le Dernier Tango de Maria Schneider / Vertigo / 6 min. / le 17 juin 2024

Le portrait d'une époque

Concentré intégralement sur le point de vue de Maria Schneider, le film de Jessica Palud dresse un portrait de la société de l'époque, mais se garde de ne jamais prendre parti, ce qui constitue une "agréable surprise", selon le critique cinéma de la RTS Rafael Wolf. "J'avais peur d'un film qui serait uniquement à charge sur cette fameuse scène dont Maria Schneider a essayé sans arrêt de se détacher. Je trouve le film assez juste parce qu'il commence bien avant et finit bien après tout cela. On sent à quel point cette jeune femme, qui au début paraît assez naïve, est déjà marquée par la vie", explique-t-il dans l'émission Vertigo du 19 juin.

"Maria" soulève aussi la question du jugement asséné par les médias sur les films et les acteurs et actrices, souligne Anthony Bekirov de la revue Ciné-feuilles. "Le monde du cinéma est gangréné par cette machine médiatique qui réduit l'humain à des rôles, à des scènes, à des corps ou des morceaux de corps. Maria Schneider va être réduite à son fessier, à ses seins, à son corps". Egalement critique cinéma à la RTS, Philippe Congiusti loue quant à lui la mise en scène pudique de Jessica Palud, "d'une rare délicatesse, toujours juste, avec une caméra à bonne distance".

mh

"Maria" de Jessica Palud, avec Anamaria Vartolomei, Céleste Brunquell, Giuseppe Maggio, Yvan Attal, Marie Gillain. A voir dans les salles romandes depuis le 19 juin 2024.

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