La Grande Vadrouille, un des films préférés des Français
Grand Format
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Photo12/Archives du 7eme Art/AFP
Introduction
Cette comédie de Gérard Oury qui met en scène Louis de Funès et Bourvil a été dès sa sortie en 1966 un immense succès populaire.
Chapitre 1
Un film cultissime
Jusqu'à "Titanic" (1997) et "Bienvenue chez les Chti" (2008), "La Grande Vadrouille" a été le film le plus vu dans les territoires francophones avec plus de 17 millions de spectateurs.
Avec des répliques aiguisées, le talent confondu des comiques les plus populaires de l’époque, l’emphase de Louis De Funès et le côté nigaud de Bourvil, Gérard Oury ne pouvait pas faire faux. Et pourtant, ce film est matraqué à sa sortie avec férocité par les critiques de cinéma comme étant le film le plus minable de l’année.
Ca n’empêche nullement "La Grande Vadrouille" de s’imposer dans la veine du cinéma populaire comme oeuvre de divertissement délirante et carrément cultissime.
"La Grande Vadrouille" est dans la plus pure tradition des films d’aventures. En avion, en train, en voiture, à pied, à vélo, à moto, à cheval, en planeur. Un road movie aux multiples scènes de bravoure et d’humour constant qui se calme seulement pour que le spectateur reprenne son souffle à intervalles réguliers.
Chapitre 2
Synopsis
Les Films Corona / Collection ChristopheL / AFP
Dans "La Grande Vadrouille", Bourvil joue le rôle d’un peintre en bâtiment débonnaire et gentil, Augustin Bouvet, qui se retrouve en 1942, pendant l’occupation allemande, à devoir gérer un aviateur britannique ayant atterri en parachute dans sa nacelle de peintre.
Son avion vient d’être abattu par les Allemands. Lui et les deux autres pilotes sont recherchés activement. Courageux, Augustin Bouvet secourt le pilote et le cache avec l’aide de Juliette, jouée par Marie Dubois.
Louis de Funès, lui, est Stanislas Lefort. C’est un chef d’orchestre acariâtre et fort en gueule qui hérite d’un des autres aviateurs anglais qui se cache à l’Opéra Garnier, dans sa loge.
Quant au chef de l’escadron, Sir Reginald, il atterrit au zoo de Vincennes. Avant de sauter de l’avion, il a donné rendez-vous à ses hommes aux bains turcs.
C’est ainsi que vont se rencontrer le peintre, Augustin Bouvet, et le chef d’orchestre Stanislas Lefort, unis dans l’adversité. Car ils sont compromis, l’un comme l’autre, accusés de collaboration avec l’ennemi. Les voilà poursuivis par les Allemands, contraints d’aider les Anglais jusqu’au bout et de gagner avec eux la zone libre.
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Chapitre 3
Le projet
Au départ de ce film, il y a l’envie de mettre en scène les deux compères du film précédent de Gérard Oury, "Le Corniaud".
Un film dans lequel, déjà, Louis de Funès joue un hystérique et Bourvil un imbécile au grand cœur.
"Le Corniaud" est la première comédie de ce jeune réalisateur qui ne fera plus que ça. Le film marche tellement bien que les propositions affluent, notamment d’Hollywood, pour réaliser un "Corniaud 2".
"Pas question", dit Oury. "On va faire un film original. Même casting, certes, mais nouvelle histoire".
Le réalisateur ressort de ses archives une histoire écrite six ou sept ans plus tôt avec Jean-Charles Tacchella, son vieux complice sur une petite dizaine de scripts.
C’est l’histoire de deux soeurs jumelles qui, sous l’Occupation, prennent en charge l’équipage d’un bombardier allié.
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Le 2 avril 1965, Oury et Tachella déjeunent ensemble pour parler du projet. L’après-midi, le réalisateur a convenu d’un rendez-vous avec Bourvil et de Funès.
Seulement, pour garder l’équipe des acteurs du Corniaud, il faut changer le scénario. Deux filles pour les rôles principaux? "Et alors? Je les transformerai en hommes! Sautant en parachute de leurs bombardiers en flammes, les aviateurs anglais atterriront dans vos vies: toi, Louis, un grand chef d’orchestre puisque tu sais jouer du piano, toi André, un peintre en bâtiment en train de ravaler le mur surplombant la Kommandantur du Gross-Paris", dira Oury à Bourvil et de Funès.
Pourtant la France est encore sur ses gardes et faire une comédie sur l’Occupation ne va pas de soi. Avant de faire ce film, qui se passe dans une période particulièrement douloureuse, Oury et son producteur, Robert Dorfmann, hésitent une quinzaine de jours puis décident de foncer.
Dorfmann y croit. Le quatuor d’origine du "Corniaud" est de retour, gonflé à bloc, avec un seul objectif: s’approcher le plus possible des réussites commerciales et artistiques du "Corniaud". Pour y arriver, il va falloir travailler. Gérard Oury engage sa fille, Danièle Thompson, et Marcel Julliand, qui a déjà collaboré sur le "Corniaud".
Les trois auteurs quittent Paris pour la Côte d’Azur où ils investissent une villa du Cap d’Ail. Les week-ends, ils sont rejoints par Robert Dorfmann. C’est un travail de bénédictin. Il faut inventer chaque situation, construire le scénario à partir de chaque scène, après avoir bien défini tous les personnages.
Ils rentrent à Paris mi-juin 1965 avec une première mouture de plus de cent pages et profiteront de juillet pour fignoler quelques passages.
C’est à cette période que Michel Modo et Guy Grosso sont appelés en renfort afin d’apporter du sang neuf et des idées nouvelles. La première version définitive du script est datée du 20 novembre 1965. Le casting est fait, les repérages aussi. Le tournage se fera sous le signe de la bonne chère et du bon vin.
Chapitre 4
Gérard Oury
Les films Corona/Collection ChristopheL/AFP
Gérard Oury est né à Paris le 29 avril 1919. Fils de Serge Tennenbaum, violoniste, et de Marcelle Oury, sans profession, il fut déclaré à la mairie sous le nom de Tennenbaum Max Gérard.
A propos de son nom, le réalisateur explique: "Mes parents divorcèrent lorsque j'eus trois ans et je fus élevé par ma mère et ma grand-mère. Il était donc naturel que j'adopte leur nom lorsque je décidai d'embrasser le métier d'acteur."
A 17 ans, Gérard Oury rêve d'une carrière d'acteur. Après avoir suivi les cours de René Simon, il intègre le Conservatoire aux côtés de Bernard Blier et François Périer. Trois ans plus tard, il monte sur scène avec la pièce "Britannicus" mais doit bientôt fuir le régime de Vichy. Oury a des origines juives. En 1940, il doit quitter la France pour échapper aux mesures antijuives de la France occupée et aux rafles de plus en plus drastiques. Dans cette France coupée en deux, il passe en zone libre.
Puis il gagne Marseille, Monaco et enfin Genève. Il utilisera cette fuite dans "La Grande Vadrouille", faisant prendre, 20 ans après, le même chemin de l’exil à ses protagonistes fuyant devant les Allemands. C’est en zone libre qu’il fait ses premiers pas au cinéma, en tant qu’acteur.
Quand il revient en France en 1945 à la Libération, il continue à aligner les petits rôles au théâtre et au cinéma et ce n’est qu’en 1959 qu’il passe à la réalisation avec "La Main chaude". Il a alors 40 ans.
Ce premier film n’est pas un succès. Il doit attendre 1961 avec "Le crime ne paie pas". Un casting d’exception et un petit rôle pour Louis de Funès. Une rencontre qui est décisive. Louis de Funès lui conseille d’arrêter toute activité autre que la comédie. Conseil suivi. De Funès devient son ami et mentor. Il l’écoute et il fait bien. Oury a alors l’idée de réunir à l’écran de Funès avec Bourvil. Deux monstres sacrés qui n’ont encore jamais tourné ensemble.
Avec eux, Oury réalise "Le Corniaud" et totalise 12 millions d’entrées. Après, viendront "La Grande Vadrouille", un des tout grands succès du cinéma français, "Le cerveau", "La folie des grandeurs", "Les aventures de Rabbi Jacob", "L’As des As".
Après "Le Corniaud", le réalisateur explique qu’il n’existe pas de recette miracle. Un film burlesque se fait en deux étapes: la première, celle de la préparation, peut durer de six mois à deux ans; tout doit être précis. La seconde, celle du tournage, est la période où l’instinct reprend le dessus. Ce n’est que si le cadre est bien solide que l’on peut improviser. Mais au final, il y a peu d’improvisation chez Gérard Oury et ses comédiens.
Chapitre 5
Tournage
Noa / Roger-Viollet / AFP
Le tournage de "La Grande Vadrouille" est riche en anecdotes. L’ambiance est au travail mais aussi à la rigolade. Les soirées sont souvent bien arrosées. Il faut dire qu’on se balade en Bourgogne.
Le premier tour de manivelle est donné 16 mai 1966. Mais 8 mois ont précédé le tournage. Il a fallu repérer tous les différents lieux.
Car dans "La Grande Vadrouille", on se déplace beaucoup. Rien qu’à Paris: les ruelles de la Butte Montmartre, le zoo de Vincennes, la salle, les loges, les coulisses, les toits, la fosse d'orchestre et le grand escalier du Palais Garnier, soit l’Opéra de Paris, les égouts, la gare de Lyon, puis le hammam de la Mosquée de Paris, les vallées bourguignonnes, dans le Morvan, à Vézelay, dans le Cantal et dans l’Yonne.
Tout se déroule au mieux, le plan de tournage est respecté. Les contretemps surviennent quand même, comme ce matin de panique où une camionnette a disparu. Elle contient toutes les armes du film.
Même rendues inoffensives, c’est pour un connaisseur un véritable arsenal qui se promène dans la nature. Mais point de voleur, juste le stagiaire chargé de l’acheminent du précieux stock d’armes retrouvé dans un lit auprès d’une jolie fille rencontrée la veille.
Le dimanche 12 juin, on entame la cinquième semaine de tournage avec 200 personnes en tout au service du film qui se bousculent dans les hôtels bourguignons.
On traverse la France, on rigole, et on laisse des souvenirs impérissables dans les villages visités. Les soirées animées sont l’occasion de décompresser.
Gérard Oury, ses comédiens, ses techniciens, tout le monde s’entend et rivalise d’humour pour faire avancer l’action. Louis de Funès improvise et grimpe sur le dos de Bourvil, inventant la scène qui deviendra l'une des plus célèbres du film. Et puis, toute l’équipe rentre à Paris.
Louis de Funès en chef d'orchestre
Le tournage à l’opéra de Paris est une belle surprise. Car cette institution et son puissant syndicat des musiciens interdisent catégoriquement à toute personne étrangère à l’institution d’accéder à la fosse d’orchestre. En mars 1966, alors qu’il ne s’y attend plus, Gérard Oury obtient du directeur général des Théâtres Emile Biasini - puis du ministre de la Culture André Malraux - l'autorisation de tourner dans l'amphithéâtre et dans les foyers plusieurs scènes de son long-métrage.
En contrepartie, Oury engage le directeur de l'établissement, le compositeur Georges Auric, pour signer la musique du film et le président du syndicat, Robert Benedetti, comme professeur de Louis de Funès. Benedetti accepte immédiatement. Ainsi, chaque matin, de 9 heures à midi, baguette à la main, de Funès répète les gestes du maestro.
Le 27 juillet 1966, Oury présente les lieux et l’orchestre à de Funès, une simple répétition sans fard, sans technicien ni caméra.
De Funès est extrêmement tendu, blanc comme un linge. Il s’installe au pupitre sous le regard d’une centaine d’hommes et de femmes un peu goguenards. Il doit interpréter et diriger "La Marche hongroise" de "La Damnation de Faust" d'Hector Berlioz avec les mouvements réels que devrait avoir un chef d'orchestre.
L’acteur se lance, la musique suit. Après quelques minutes, le chef d’orchestre baisse les bras. Suivi d’un silence solennel.
Enthousiastes, les musiciens applaudissent en tapant archets contre violons, flûtes contre pupitres. C’est l’hommage de professionnels à un autre artiste qui a beaucoup étudié et remporté son pari.
Ces applaudissements sont totalement improvisés et complètement mérités dans la mesure où l’acteur, fidèle à sa réputation de rigueur professionnelle, a répété pendant trois mois. Bouleversé, la gorge serrée, de Funès a les larmes aux yeux. Oury aussi.
Tu m’as donné une des plus grandes joies de ma vie
Reste à tourner la suite, le concert. La scène de l’opéra Garnier, c’est 800 figurants. Il faut les habiller, les coiffer, les maquiller. Les habilleuses s’emploient dès 5h30 à transformer tout ce petit monde. La cantine a été installée dans les foyers de l’opéra.
Après l’opéra, direction les studios de Billancourt aux portes de Paris. On y a construit les hammams, les égouts, les loges de l’opéra et on a copié à l’identique le pignon de l’immeuble peinte par Bourvil au début du film. Le tournage s’achève dans la bonne humeur après 17 semaines de travail intensif.
Le montage
Après le tournage, vient le montage. Le travail a déjà commencé dès la deuxième semaine de tournage. Albert Jurgenson, monteur fétiche de Oury a déjà commencé le travail. Les deux hommes se complètent à merveille. Oury a dans la tête le squelette de son film et sait où il veut aller.
J’aimerais que l’on retrouve dans mon film le ton saccadé des dessins animés américains du type Tom et Jerry
Chapitre 6
La sortie et le succès
Noa / Roger-Viollet / AFP
Le 8 décembre 1966, toute l’équipe est au cinéma Gaumont-Ambassade sur les Champs Elysées. C’est la Première. Tout ce que Paris compte de stars, de personnalités civiles et politiques, de journalistes, se bouscule pour assister à cette soirée de gala. Quelque 500 invités sont prévus, mais ce sont 2000 personnes qui se pressent.
Producteurs et distributeurs sont obligés de louer à la dernière minute une salle de projection supplémentaire pour loger les retardataires et les amis d’amis. Aucun des deux acteurs principaux n’a encore vu le film terminé, la copie étant sortie des laboratoires quelques jours plus tôt.
Le film est un succès immédiat. Un succès populaire. La critique déteste bien évidemment, parle du plus mauvais film de l’année. Mais tandis que les critiques critiquent, les files d’attente s’allongent devant les cinémas, souvent deux heures avant les séances.
Tous les records sont pulvérisés. "La Grande Vadrouille" est un film populaire. Le tandem De Funès-Bourvil fonctionne particulièrement bien. Le film explose le record du "Corniaud": 17 millions d’entrées contre 12 millions.
Le film connaît également un grand succès international, en Angleterre grâce à ses acteurs anglais, et en Allemagne où il est la première comédie présentée à l'écran consacrée à la Seconde Guerre mondiale.