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Adrien Blouët déconstruit le mythe de l'écrivain voyageur

Adrien Blouët. [DR - James Weston]
Adrien Blouët, auteur de “Comment ne pas devenir un écrivain voyageur” / QWERTZ / 23 min. / le 19 juin 2024
Lorsqu'il arrive au Japon en 2019, Adrien Blouët, auteur de son état, a deux objectifs: perfectionner ses connaissances en japonais et écrire un roman. Mais lorsque la menace du Covid se précise, il est contraint de revoir ses objectifs et devient malgré lui ce qu'il souhaitait éviter à tout prix. 

Humour, étonnement et autodérision sont au menu de cet objet littéraire qui se veut un contre-pied à la figure de l'écrivain voyageur, "souvent un homme, qui donne une vision très idéalisée de la solitude, très romantique de l'ailleurs, et qui parfois a du mal à s'en défaire". Adrien Blouët n'aime pas le genre qu'il trouve fort ennuyeux et s'en ouvre dès les premières lignes de "Comment ne pas devenir écrivain voyageur".

Pourtant conçu comme une forme de carnet de route, ce récit dont il est le narrateur, ou peut-être pas (l'auteur est encore indécis sur ce point), s'étire entre 2019 et 2021, période durant laquelle la pandémie du Covid a touché l'ensemble de la planète. Livré à lui-même, entre rencontres inattendues, désœuvrement et curiosité, l'aspirant écrivain a rassemblé ses notes, s'efforçant sans réelle conviction d'en tirer quelque chose.

… Il est de plus en plus hors de question que je mette les pieds à Tokyo durant ce voyage (…). Et les mégalopoles sont toutes les mêmes, corrompues par leur mercantilisme, privées de la magie qui opère lentement dans les marges

Adrien Blouët, extrait de "Comment ne pas devenir écrivain voyageur"

A la périphérie

C'est Naha, capitale de l'archipel austral d'Okinawa, que le narrateur Blouët choisit pour écrire son roman. Les rencontres y sont aussi multiples qu'éloignées de toute image d'Epinal: un chef lunatique qui est "l'une des réincarnations de Klaus Kinski dans ses plus mauvais jours", un compagnon d'auberge surnommé Le Suisse, parce qu'il y a séjourné un temps. Une collègue de cuisine népalaise qui le prend de haut, un gang de Bôsôzoku - des voyous motards adeptes de virées nocturnes, qui finissent par être finalement plutôt inoffensifs et qui s'adonnent aux danses traditionnelles. Un vieux de 85 ans déblatérant un flot ininterrompu et incompréhensible de dialecte d'Okinawa, tout en mâchouillant des feuilles à l'étrange pouvoir énergétique.

Aucun de ces personnages "hauts en couleur" ne correspond pourtant aux clichés d'authenticité et d'altérité fantasmés du Japon. Sur l'archipel, Adrien Blouët demeure un Gaijin, "quelqu'un du dehors", même si le mot n'est pas toujours employé dans un sens péjoratif.

J'ai souvent peur que le Japon se comporte avec moi comme cet enfant cruel qui profitait d’un plus jeune et plus naïf que lui, et qu'il finisse par me reprendre tout ce qu'il m'a donné. 

Adrien Blouët, extrait de "Comment ne pas devenir écrivain voyageur"

Alors que la menace du "shingata" (Covid) se précise, le narrateur de "Comment ne pas devenir écrivain voyageur" trouve chaque excuse valable pour se retrancher dans l'écriture de son roman, avec l'espoir secret de devenir, souvent malgré lui il faut bien le dire, "l'un des derniers touristes sur terre".

Entre Okinawa et Tokyo se dessine alors un "voyage par soustraction", comme le souligne Adrien Blouët: "je m'obstine alors que tout me pousserait à quitter le Japon. Je peux de moins en moins faire de choses, mais je veux quand même rester". Il finira par rentrer avec son roman écrit et ficelé en poche ("Les immeubles de fer", ed. Notabilia), et un carnet de voyage foisonnant de marges.

E. Ichters/ld

"Comment ne pas devenir écrivain voyageur" d'Adrien Blouët, éditions Noir sur blanc, mai 2024.

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