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Avec "Le syndrome de l’Orangerie", Grégoire Bouillier traque les fantômes de Claude Monet

Grégoire Bouillier. [Editions Flammarion - Pascal Ito]
Entretien avec Grégoire Bouillier, auteur de "Le syndrome de l'Orangerie", ed. Flammarion / QWERTZ / 37 min. / mercredi à 00:01
Les Nymphéas de Monet, exposés à l’Orangerie de Paris, renfermeraient un cadavre. C’est la conviction du détective Bmore, double romanesque de l’écrivain Grégoire Bouillier qui mène ici l’enquête pour découvrir la source du trouble ressenti à la découverte de ces tableaux célèbres.

Pourquoi Claude Monet, "peintre de la vie moderne", a-t-il peint pendant plus de trente ans des représentations de nénuphars? La question hante Grégoire Bouillier depuis qu’il a découvert, sur le tard, les fameux Nymphéas exposés au Musée de l’Orangerie, à Paris.

Pris d’angoisse à la vue de ces grands panneaux inversant les nuées, l’écrivain lance son double fictif, le détective Bmore, sur la piste de ce trouble incongru. Car l’écriture, précise-t-il, procède toujours d’un "déclic", d’une vibration. Dans "Le syndrome de l’Orangerie", nouvelle enquête à la verve buissonnière, Grégoire Bouillier se fie donc à son intuition. Ce "sixième sens" de l’écrivain qui lui fait dire, comme dans le film du même nom, qu’il "voit des morts partout".

Une image qui apparaît

Un autre film, pourtant, imprime au livre son mouvement plongeant. Repensant au fameux "Blow Up" d’Antonioni, dans lequel un photographe découvre, en zoomant sur un de ses clichés, un cadavre dans les buissons, Grégoire Bouillier y voit une possible clé de son trouble initial.

Cette image m’est venue, et je me suis dit: il y a un cadavre dans les Nymphéas de l’Orangerie. Personne ne le sait, mais moi, je le sens, j’en suis absolument convaincu, mon inconscient a rencontré l’inconscient de l'œuvre.

Grégoire Bouillier, auteur du "Syndrome de l’Orangerie"

Alors Bmore zoome, re-zoome et "vroume", dans le but intime d'"épuiser le mystère des Nymphéas. Épuiser ma propre angoisse. Ce qui revient au même." Et pour y parvenir, toutes les digressions sont bonnes à prendre: on brasse ainsi, dans les eaux troubles des étangs de Monet, les millions de morts des deux guerres mondiales, les propriétés inattendues des décoctions de nénuphars, le spectre du Professeur Tournesol ou les portraits funèbres du peintre suisse Ferdinand Hodler.

L'intimité secrète de Claude Monet

La thèse de l’auteur, progressant par coups de téléobjectif, part du plan le plus large pour toucher, in fine, à l’intimité la plus secrète de Claude Monet, dans une analyse brillante des signes biographiques et picturaux que recèlent les grands panneaux de l’Orangerie.

Quel cadavre? Quels secrets? Cela me tracassait. Il s’agissait d’une énigme qu’il me fallait résoudre. Il s’agissait d’un test de Rorschach et je devais passer le test.

Grégoire Bouillier, extrait du “Syndrome de l’Orangerie”

Mais si la mort rôde dans l’art du peintre, la vie palpite dans les mots de l’écrivain. Au bonheur d’accompagner le détective Bmore dans cette enquête minutieuse s’allie, comme toujours chez Bouillier, la jubilation d’une écriture à la drôlerie redoutable, constamment éperonnée par les parenthèses et les exclamations de l’auteur à l’ouvrage.

Complice de ses élucubrations plus ou moins vraisemblables, le lecteur lui sait gré de poser des questions que personne n’envisage, et d’y apporter des réponses argumentées. Après l’avoir lu, vous ne verrez plus jamais les Nymphéas de la même façon.

Nicolas Julliard/mh

Grégoire Bouillier, “Le syndrome de l’Orangerie”, éd. Flammarion, août 2024

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