Girl Group, une histoire

Grand Format

AFP - Farabola

Introduction

Ellen Ichters retrace l'histoire des Girl Group dans Audioguide.

Girl Group vs. Boys Band

Il y a le Boys Band et bien sûr, il y a le Girl Group. Quelle différence? Le premier est un terme qui se popularise vers la fin des années 80, le second émerge dès les années 50 et jusqu'à nos jours. L'histoire des Girl Group reflète à la fois la soumission et l'émancipation féminine dans un monde toujours trop masculin: celui de la musique.

Quand les femmes ont commencé à se mettre à plusieurs pour chanter, l'industrie et les médias ont choisi de leur créer une catégorie. Tout comme ils avaient créé une catégorie pour la musique afro-américaine, la Race Music. C'est ainsi que, dans les années 50, une tradition de groupes vocaux féminins naquit, succédant à quelques précurseuses (oui, ça se dit). La notion de Girl Group était née.

Dans les années 50, Les Crystals parleront de violence domestique sans pour autant la condamner, avec un titre comme “He hit me and it felt like a kiss” (Il m'a frappé, mais c'était comme un baiser).

Dans les années 60 Les Shangri-Las évoqueront la mort, le viol et la condition des femmes. Pourtant elles connaissent le succès grâce à des chansons qui traitent souvent de ruptures adolescentes.

L’adolescence, les parents, les boyfriends seront évidemment prédominants dans l’âge d’or des Girl Groups des années 50-60, période qui sera terrassée par la libération sexuelle et les années 70.

Restée dormante jusqu’au disco et la fin de la décennie, les groupes de filles (remarquez qu’on minimise toujours leur importance en parlant de groupe de "filles" et pas de "femmes") vivront un nouveau souffle, plus sexuel et plus lascif, grâce au disco.

Les Fifties

C'est dans les années 50, avec la popularisation de styles comme le doo-wop et le Rhythm'n'blues, que la mode du trio de chanteuses s'installe. Le premier groupe de femmes à connaître un grand succès fut les Three X Sisters, trois chanteuses issues de Broadway.

Arrivent ensuite les Chordettes qui squattent les premières places des charts avec leur titre "Mr. Sandman".

Jusque dans les années 50, le modèle du groupe féminin est majoritairement blanc et basé sur une tradition de ragtime, de country, de folk ou de swing. Cette constante va changer radicalement avec l'arrivée des formations afro-américaines.

La notoriété des Three X Sisters lance une première vague de groupes de chanteuses blanches, souvent des sœurs, dont la principale caractéristique est l'harmonie vocale.

En 1927 elles chantent "The Man I Love", qui n’a pas encore été repris par Billie Holiday, et sur lequel sont déjà présents les canons du style girl group, mélange de naïveté puérile et de passivité rêveuse.

A cette période, les groupes de filles sont souvent réduites à chanter des textes sans profondeur, absurdes, ou comiques.

Le trio "The Three X Sisters" [DR]
Le trio "The Three X Sisters" [DR]

Les producteurs sélectionnent et forment des chanteuses parce qu’elles correspondent à un profil identique. Ils choisissent leurs chansons et surveillent leur mode de vie. Elles sont des interprètes et les instruments d’une stratégie commerciale qui leur vaut très vite le qualificatif de "Chick Singers", littéralement, les poussins chanteurs.

Steven Jezo-Vannier, auteur de "Respect, le rock au féminin"

L'âge d'or des "Chick Singers"

Comme beaucoup de modes musicales, celle des Girl Group subira un processus d'industrialisation plutôt rapide. Mais contrairement aux premiers modèles, les années 50 apportent un nouveau style: celui du trio ou du quatuor centré sur une voix soliste, sur le principe du call and response, hérité du gospel et des champs de coton.

Les chanteuses de ces nouveaux groupes sont en général afro-américaines, et issues du Rhythm'n'blues. C’est le cas des Cookies qui deviendront les Raelettes, les choristes de Ray Charles, histoire de rester jusqu’au bout dans l’ombre du chanteur.

Après les Raelettes et les Bobbettes, les Chantels confirment le succès des Girl Group et attisent l'appétit des labels.

Couverture du disque des Bobbettes qui sortent le hit "I shot Mr Lee". [DR]
Couverture du disque des Bobbettes qui sortent le hit "I shot Mr Lee". [DR]

Les noms sont semblables. Après les Raelettes, les Bobbettes et les Chordettes, voici les Creolettes, et plus tard, les Ronettes.

L’utilisation du suffixe "ette" souligne le caractère diminutif de ces formations, qui ne semblent pouvoir être que de mauvaises copies de leur équivalent masculin. Des artistes facilement interchangeables.

Ce soi-disant âge d'or du Girl Group ne l'est qu'en apparence, et laisse un arrière-goût amer: celui d'une émancipation simulée, orchestrée par les hommes.

Derrière les "poules", il y a toujours un "coq", qui ramasse les royalties. C’est le cas de Phil Spector avec The Ronettes.

Spector taille les Ronettes et sa musique pour les adolescentes et adolescents, alors que la notion de teenager et de rebelle émerge culturellement. Veronica, soliste du groupe à la scène, et épouse de Phil à la ville, est un paradoxe à elle toute seule: surnommée la première bad girl de la musique, elle chante "Be My Baby", qui raconte encore et toujours la soumission à Monsieur : "Chéri, si tu me laisses t’aimer, je te rendrai fier de toi".

The Ronettes avec Phil Spector en 1960 [DR]
The Ronettes avec Phil Spector en 1960 [DR]

Le all-female band

Dans l'océan des groupes de filles des années 60 gérées par des hommes, quelques femmes sortent du lot. C'est le cas des Shirelles.

Le quatuor new-yorkais est produit par Florence Greenberg, l'une des seules femmes actives du circuit des producteurs. Si le féminisme consiste dans l'exemple des Shirelles, à prendre les rênes de leur propre carrière sans pour autant sortir des schémas de production du Girl Group, la position des femmes évolue tout de même, et on voit apparaître un autre concept: le all-female band.

L'un des premiers all-female bands à se faire remarquer est The Shangri-Las, trois jeunes filles originaires du Queens, qui popularisent l'image de la fille rebelle qui fréquente le "chef de meute ". Habillées de cuir, la rumeur dit d’elles qu’elles sont surveillées par le FBI. Pas de confirmation. N’empêche, elles ont du succès en Angleterre, et introduisent lors de leurs tournées, les Rolling Stones et les Beatles.

La British Invasion

La British Invasion est en route et l’envie de s’emparer des instruments pour imiter ses idoles ne se limite pas qu’aux garçons. Ainsi naissent, à la queue leu leu, des all-female bands, dont les unes se revendiquent clairement de cet héritage : les Female Beatles, les Beat-Chics ou encore les Beatlettes de Montreal.

Les clichés sont toujours là, mais l’avantage de la British Invasion aura été de desserrer les liens qui entravaient la libido féminine … et son expression.

Les Beatlettes de Montréal [DR]
Les Beatlettes de Montréal [DR]

Si les revendications des all-female bands varient, certaines mettent en avant leur plastique, comme les All-Girl Topless Band (des groupes féminins seins nus), ou les Playmates, alors que d'autres commencent à remettre en question le système, en commençant à évoquer l'homosexualité.

Plus on avance dans la décennie, plus le all-female band  prend des allures de militantisme et plus il s'enfonce dans l'underground.

Le Girl Power

En 1996, les Spice Girls sont sur toutes les télévisions, et le terme Girl Power est utilisé à toutes les sauces.

Le groupe Spice Girls [Collection Cinema / Photo12]
Le groupe Spice Girls [Collection Cinema / Photo12]

C'est pourtant sur le campus de l'université d'Olympia, dans l'Etat de Washington, qu'un véritable mouvement de libération, le Riot Girrrl est né, sous l'impulsion d'un groupe de femmes menées par Kathleen Hannah.

À l'université, Kathleen Hanna, Tobi Vail et Kathi Wilcox s'occupent du magazine "Bikini Kill", dans lequel elles défendent un féminisme troisième vague: celui du contrôle de sa propre sexualité, des droits LGBT et du respect des différences ethniques. La contestation se fait par écrit et se prolonge en musique avec Bikini Kill, le groupe qui se réclame de plusieurs role models musicaux féminins: Siouxsie Sioux, The Runaways, ou encore The Slits, l'un des seuls Girl Group de la vague punk anglaise.

Bikini Kill, en 1991. [CC BY-SA 2.0]
Bikini Kill, en 1991. [CC BY-SA 2.0]

Les idées du mouvement sont rassemblées sur papier dans "The Riot Grrrl Manifesto". Il s'inspire du Do It Yourself et de la philosophie de la scène hardcore de Chicago et se fait connaître au-delà d'Olympia, grâce à une distribution massive et organisée de fanzines, de tracts, de collages et d'affiches.

Résultat ? Un all-female band bien énervé et un public largement divisé dans un paysage où le rock’n’roll et le hardcore sont une affaire d’homme.

Si les Spice Girls ont gagné beaucoup d'argent, les Bikini Kill, quant à elles, ont gagné tout autant... en crédibilité.

Audioguide, l'intégrale

Découvrez l'intégrale d'Audioguide sur les Girl Band. Une histoire qui reflète à la fois, la soumission et l’émancipation féminine, dans un monde toujours trop masculin: celui de la musique.

La cover de "Live in Japan" de The Runaways. [The Runaways]The Runaways
Audioguide - Publié le 18 juin 2016

Une émission proposée par Ellen Ichters

Réalisation web Lara Donnet, Simona Foletta et Miruna Coca-Cozma

Des citations du livre "Respect, le rock au féminin" de Steven Jezo-Vannier ont été utilisées pour la réalisation de l'Audioguide et du grand format.