Modifié

La plus grande société israélienne d'armement booste les performances financières de la BNS

La vente par la BNS d’actions d’une société israélienne d’armement interroge
La vente par la BNS d’actions d’une société israélienne d’armement interroge / 19h30 / 3 min. / jeudi à 19:30
La Banque nationale suisse a fait du bénéfice en lien avec la guerre à Gaza. Elle a revendu les actions qu'elle détenait dans une société israélienne qui équipe Tsahal alors que sa cotation flambait, notamment en raison de la guerre en cours. Selon les estimations du Pôle enquête de la RTS, ces opérations pourraient avoir permis de dégager un bénéfice d’un million de dollars.

Au premier trimestre 2023, la Banque nationale suisse (BNS) a acquis plus de 104'000 actions de la société Elbit Systems LTD, cotée au Nasdaq et principal fournisseur de l'armée israélienne, pour un montant de plus de 17,5 millions de dollars, alors que l'action se négociait à un prix plancher situé entre 165 et 175 dollars l'unité. Boosté entre temps par les commandes passées par Tsahal pour son offensive à Gaza, le titre a flambé, avec une hausse moyenne de 20% et des pics à 225 dollars.

La BNS a revendu près du quart de ses actifs durant cette période. Ces opérations pourraient avoir permis de dégager un bénéfice d’un million de dollars, selon une estimation du Pôle enquête réalisée sur la base des données figurant dans les rapports trimestriels d'investissement fournis par la BNS à l'autorité américaine de surveillance des marchés financiers.

"Un choix stratégique", selon un économiste

Pour Sergio Rossi, professeur de macroéconomie à l'Université de Fribourg, ces opérations suivent un double objectif: "Je pense qu'il s'agit d'un choix stratégique, pour éviter des pertes sur le prix des actions qui pourraient chuter rapidement, dans un avenir pas très lointain. Et d'autre part, pour réaliser un gain de portefeuille, si elle a acheté ces actions à un prix bien inférieur au prix de revente. La BNS espère, à la fin de l'année 2024, réaliser un bénéfice net pour pouvoir en distribuer à nouveau une partie au secteur public et ainsi améliorer sa réputation en Suisse", a-t-il analysé jeudi dans le 19h30.

Les documents consultés par la RTS ne précisent pas précisément quand les actions Elbit détenues par la BNS ont été cédées. Seules les quantités vendues par trimestre sont annoncées. Il est donc impossible de savoir quel était le cours exact au moment des ventes.

Au total, la BNS s'est défait de plus de 24'000 actions d'Elbit Systems entre le 31 mars 2023 et le 31 mars 2024. Sollicitée par la RTS, la banque centrale explique qu'elle ne répond pas sur les différentes positions composant son portefeuille d'actifs. Celui-ci pesait 252 milliards de dollars au 31 décembre 2023.

La BNS assure ne pas spéculer

Dans un courriel, la BNS explique effectuer ses placements selon un schéma qui exclut la spéculation. "Dans ses placements en actions, la Banque nationale suisse suit le principe de couverture intégrale des marchés. Elle reproduit les différents marchés boursiers dans leur intégralité et pondère ainsi les différentes branches de l'économie en fonction de leur capitalisation boursière. La BNS s'assure de cette manière que son portefeuille d'actions est exposé aux divers risques de manière à peu près similaire à l'ensemble des entreprises cotées dans le monde et qu'il reflète également les changements structurels de l'économie mondiale."

Pour Sergio Rossi, professeur de macroéconomie à l'Université de Fribourg, ces principes n'exonèrent en rien sa responsabilité: "Etant donné qu'elle réplique les paniers d'actifs qui sont vendus à travers le marché financier global, la BNS pense ne pas avoir à culpabiliser si elle achète des actions d'une entreprise qui produit des armes, qui pollue l'environnement ou qui exploite le travail des mineurs. Elle dit: 'si les autres acteurs financiers font ce type de choix, on ne fait que les suivre pour ne pas influencer les prix'. Mais c'est, je dirais, une 'bonne excuse'."

Elbit très sollicité par la guerre

Interpellée sur les problèmes éthiques que cela soulève, la BNS répond qu'elle s'abstient d'acheter des titres d'entreprises qui violent massivement des droits humains fondamentaux. Ce cap n'a-t-il pas été franchi à Gaza? La BNS ne répond pas sur ce point.

Dans un communiqué publié le 28 mai à l'occasion de la présentation de ses résultats trimestriels, la société israélienne d'armement a reconnu l'impact de cette guerre sur ses affaires. "Depuis le début des hostilités, Elbit Systems a connu une demande sensiblement accrue pour ses produits et solutions de la part du ministère israélien de la Défense", explique l'entreprise.

Les revenus de la société ont ainsi significativement augmenté au premier trimestre 2024 pour atteindre 1,554 milliard de dollars contre 1,394 milliard une année auparavant. Et son carnet de commandes dépasse désormais les 20 milliards.

Un élu réclame plus de régulation

En 2020, alors qu'il siégeait dans la chambre basse du Parlement, le conseiller aux Etats socialiste Baptiste Hurni a déposé une motion pour demander que soit mis sur pied un comité d'éthique d'investissements à la BNS, une proposition restée sans suite.

Les profits réalisés par la BNS avec la société Elbit Systems le mettent donc en colère: "La BNS, c'est-à-dire la Suisse, a gagné de l'argent sur le dos du massacre d'une population civile. Car c'est bien de cela dont on parle. A minima sur le dos d'une guerre. Et je trouve cela assez choquant éthiquement. Encore une fois, on en appelle à des règles de placement pour la BNS, parce que nous ne voulons pas que l'argent de tout un chacun soit placé dans des entreprises de ce type-là."

UBS a multiplié ses investissements chez Elbit en 2024

Membre de la commission de l'économie qui a en charge le dossier BNS, Olivier Feller (PLR) estime que ces critiques sont de nature à porter atteinte à l'indépendance de la banque: "On reproche à la BNS d'investir dans une société particulière qui est basée en Israël. Je pense qu'il y a une année, on n'aurait pas fait ce reproche spécifique à la BNS. Elle fait des placements dans de nombreux pays pour pouvoir exercer sa mission qui consiste à exercer la stabilité des prix en Suisse. Je crois qu'il ne nous appartient pas de lui dicter ses choix."

En 2020, une initiative populaire qui proposait d'empêcher les placements dans le secteur de l'armement a été rejetée par 57,5% des votants et la majorité des cantons. Le Groupe Pictet, la Banque cantonale vaudoise et l'UBS détiennent également des parts de la société Elbit Systems.

Une pétition en ligne a été mise en circulation récemment pour demander à UBS de retirer ses parts. La banque a augmenté de 875% ses investissements dans la société israélienne au premier trimestre 2024, selon les calculs de l'ONG américaine EKÔ.

Claude-Olivier Volluz, Pôle enquête

Publié Modifié