Modifié

Les producteurs de robusta en colère contre Nescafé

A bon entendeur
Le goût amer du Nescafé / A bon entendeur / 27 min. / le 18 juin 2024
Le "Plan Nescafé" promettait aux producteurs qui fournissent Nestlé d’améliorer leurs conditions de vie. Mais des caféiculteurs dénoncent les prix payés par le géant mondial du café: ils estiment ne plus pouvoir vivre dignement de la culture du robusta, dont le prix s’envole pourtant sur les marchés.
Une vallée fertile traversée par une rivière, sur la "route du café" au Mexique.
Une vallée fertile traversée par une rivière, sur la "route du café" au Mexique.

Sept lettres connues dans le monde entier: Nescafé, l’une des marques cultes de la multinationale Nestlé. Les Suisses, comme beaucoup d’autres, en raffolent. Chaque année, ils en avalent quelque 280 millions de tasses, soit 9 par seconde au niveau national. L’emballage affiche un engagement rassurant: "100% approvisionnement responsable".

Ce slogan correspond-il à la réalité? Pour le savoir, l’émission de la RTS A Bon Entendeur s’est rendue dans le Chiapas, au sud du Mexique, à la rencontre de producteurs de robusta qui fournissent Nestlé. Le succès du café soluble doit beaucoup à cette variété riche en caféine.

Le "Plan Nescafé" lancé en 2010

Le robusta est à l’origine du "Plan Nescafé", lancé par Nestlé dans la région du Chiapas en 2010. Le principe: l'entreprise distribue des plants de robusta aux producteurs de café et leur enseigne les méthodes de récolte de cette nouvelle variété. A travers des intermédiaires, la société rachète, à la fin de la récolte, le café vert, avant de le torréfier dans ses propres usines.

Avec cette méthode, la multinationale suisse s’est imposée en quelques années comme le principal acheteur de café robusta de la région. Et ce avec un projet qui promettait aux producteurs d’améliorer leurs conditions de vie et permettait à Nestlé de communiquer sur ses engagements éthiques.

Le "visage de la marque" déchante

Elmar Morales González fait partie de ceux qui ont adhéré au "Plan Nescafé", il y a douze ans déjà. Au point de prêter son visage et son sourire à la marque, qui l’a affiché sur ses emballages. Mais aujourd’hui, l’homme déchante. "Quand je vois qu'ils achètent mon café très bon marché, je me dis quel culot, quel mensonge, de faire croire aux gens que je suis très heureux de vendre mon café à Nestlé", témoigne-t-il. "Je ne suis pas heureux, je suis en colère. Parce qu'eux, ils gagnent beaucoup d'argent en vendant ce café. Mais moi, en tant que producteur, je ne gagne pas, je perds."

Tout n’était que publicité. Tout était un piège pour attirer plus de producteurs

Elmar Morales González, producteur de café

En 2012, l’homme intègre pourtant l’école Nescafé au côté d’une quarantaine d’autres producteurs pleins d’espoirs. Ils y apprennent à s’occuper du robusta, qu’ils ne cultivent pas encore. Le message de l’entreprise est clair: des plantes plus résistantes pour une récolte plus rentable.

"Malheureusement, ça ne s’est pas passé comme ça. Tout n’était que publicité. Tout était un piège pour attirer plus de producteurs. Et beaucoup d'entre nous sont passés de l'arabica au robusta parce que nous nous disions qu’il y aurait une amélioration, que Nestlé allait nous payer directement et surtout bien nous payer. Et cette situation s'est dégradée, surtout au cours des dernières années", témoigne Elmar Morales González. Car depuis, les prix de production ont explosé, tandis que les prix payés aux producteurs ont augmenté, mais moins fortement. 

Des fermes abandonnées

Manifestation de caféiculteurs en février dernier, pour réclamer une augmentation du prix du kg.
Manifestation de caféiculteurs en février dernier, pour réclamer une augmentation du prix du kg.

Face à cette réalité, certains sont simplement partis. Dans la région, les fermes abandonnées se multiplient. "Avant, du temps de nos grands-parents et de nos parents, avoir des plantations de café était synonyme de prospérité", retrace Julio Castillo, également producteur dans le sud du Mexique.

"Mais aujourd’hui ce n'est plus viable. Avoir des plantations de café, en particulier de robusta, est une situation très précaire parce que nous sommes restreints. Qui a la capacité de fabriquer du café soluble ? Seulement des entreprises comme Nestlé. Et au niveau mondial, Nestlé est l’acheteur principal de grains robusta pour le café soluble. Il n’y a aucun moyen de nous sortir de ça et c’est ce qui a conduit à l’aggravation de notre situation économique. (…) C'est très triste, mais si ça continue ainsi, je vais devoir vendre la ferme pour ne pas condamner mes enfants à la misère."

Avoir des plantations de café, en particulier de robusta, est une situation très précaire parce que nous sommes restreints. Qui a la capacité de fabriquer du café soluble? Seulement des entreprises comme Nestlé

Julio Castillo, producteur de café

Contacté, Nestlé se défend d’être responsable de la situation dénoncée par les caféiculteurs. "Comme pour toute autre marchandise, les prix du café sont soumis à l'offre et à la demande et sont fixés sur le marché ouvert. Le prix du café n'est pas une variable que Nestlé peut déterminer ou contrôler seule", écrit l’entreprise de Vevey. "Cependant, le Plan Nescafé au Mexique vise à garantir que les caféiculteurs disposent d'autres moyens d'améliorer leurs revenus à long terme", référence faite notamment aux plants de café offerts aux producteurs. 

Un rapport de Public Eye

"Le cours du café est un facteur qui contribue à déterminer les prix [payés aux producteurs] mais c’est surtout une mauvaise excuse de la part de Nestlé", commente Géraldine Viret, porte-parole de l’ONG Public Eye, qui publie ce mardi un rapport sur les conditions de travail des producteurs de café qui livrent Nescafé.

Au-delà du cas du Mexique, le rapport pointe également la situation en Colombie, au Honduras, en Indonésie ou encore en Côte d’Ivoire, où la majorité des producteurs n’ont pas obtenu un revenu suffisant pour assurer un niveau de vie décent en 2022. "Au Chiapas par exemple, Nestlé a un quasi-monopole. C’est cette entreprise qui dicte les prix et on voit aussi que, quand les cours remontent sur les marchés internationaux, Nestlé ne paie pas davantage."

Sujet TV: Ainhoa Ibarrola et Linda Bourget

Publié Modifié