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Rendre la Seine baignable pour les JO de Paris: une promesse à 1,4 milliard de francs

Rendre la Seine baignable pour les JO de Paris: une promesse à 1,4 milliard de francs. [VILLE DE PARIS]
Rendre la Seine baignable pour les JO de Paris: une promesse à 1,4 milliard de francs. - [VILLE DE PARIS]
Plonger dans la Seine sous le ciel bleu avec la tour Eiffel en toile de fond: bientôt une réalité? C'est ce que vise un projet, lié aux Jeux olympiques de Paris, devisé à 1,4 milliard de francs. Mais son succès demeure incertain malgré les efforts, incluant le raccordement de milliers de foyers et de péniches au réseau d'assainissement et la construction d'une énorme cuve souterraine.

Au XVIIe siècle, on se baignait nu dans la Seine à Paris, au XIXe priorité y était donnée à la circulation des bateaux en plein essor. Au XXe, la baignade y était interdite définitivement par une ordonnance préfectorale de 1923 en raison "des dangers causés par la navigation fluviale et la pollution".

En promettant de nager dans la Seine en 1990, l'édile de Paris et futur président Jacques Chirac avait lancé l'idée d'une réappropriation du fleuve par ses riverains. 

L'actuelle maire de la capitale Anne Hidalgo en a pris l'engagement en 2016, en faisant un pilier du dossier de candidature pour l'organisation des Jeux olympiques (JO) qui se tiendront du 26 juillet au 11 août. Elle a prévu de s'y baigner en juin. Le président Emmanuel Macron a dit qu'il irait aussi - sans dire quand.

Star des JO, le fleuve qui accueillera la cérémonie d'ouverture et où sont prévues les épreuves de triathlon et de natation marathon, doit s'ouvrir dès l'année prochaine aux Parisiennes et Parisiens ainsi qu'à leurs visiteurs.

A partir de l'été 2025, trois sites parisiens et plus d'une vingtaine autour de la capitale dans la Seine et la Marne, son principal affluent, accueilleront des espaces sécurisés et aménagés avec pontons, douches et parasols.

Une reconquête au long cours, fruit d'un budget de près 1,4 milliard de francs et de colossaux travaux de dépollution d'un fleuve longtemps considéré comme un dépotoir.

CATHÉDRALE DE BÉTON - La clé du dispositif

Depuis les années 1990, pour éliminer la pollution provenant des eaux usées - industrielles, domestiques ou pluviales - le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (SIAAP) dit avoir investi l'équivalent de près de six milliards de francs. Les déversements dans la Seine ont déjà été réduits par dix depuis la fin des années 1990.

Avec les JO, le "plan baignade" lancé en 2016 par l'Etat et des collectivités locales a connu un coup d'accélérateur pour limiter les rejets d'eaux usées dans la Seine et la Marne.

En plein centre de Paris, une cathédrale souterraine doit empêcher ou limiter la pollution dans la Seine en cas de fortes pluies: le bassin de stockage des eaux usées et pluviales d'Austerlitz inauguré jeudi.

>> Voir les images lors de l'inauguration :

Inauguration du bassin de stockage d¿Austerlitz avant les JO de Paris 2024
Inauguration du bassin de stockage d'Austerlitz avant les JO de Paris 2024 / L'actu en vidéo / 51 sec. / le 3 mai 2024

Le bassin monumental, dont la construction a coûté la vie à un ouvrier en 2023, ne s'inscrit pas dans le paysage urbain de la capitale. Et pour cause: l'ouvrage de béton a été creusé en sous-sol, sous un square, afin de recevoir, via deux prises d'eau situées de chaque côté de la Seine, jusqu'à 50'000 m3 d'eaux usées et pluviales de la capitale en cas de fortes pluies.

L'équivalent de vingt piscines olympiques, répète la mairie de Paris, qui a fait construire, pour un budget final d'environ 100 millions de francs, un cylindre de 50 mètres de diamètre pour 30 mètres de profondeur. Un ouvrage vertigineux à la descente. Ses 16 piliers, appelés "barrettes", vont jusqu'à 80 mètres sous terre, soit 50 mètres plus loin que le fond du bassin, accentuant la verticalité du site.

"C'est la deuxième cathédrale de Paris", commente Antoine Guillou, l'adjoint chargé de la propreté et du réseau d'assainissement, qui doit avec ce bassin devenir plus "résilient".

Avec sa cuve cylindrique en paroi moulée, profonde de 30 mètres sur 50 mètres de diamètre et soutenue par une forêt de piliers en béton, ce "bassin d'orage"peut contenir 50'000 m3 d'eau. [AFP - STEPHANE DE SAKUTIN]
Avec sa cuve cylindrique en paroi moulée, profonde de 30 mètres sur 50 mètres de diamètre et soutenue par une forêt de piliers en béton, ce "bassin d'orage"peut contenir 50'000 m3 d'eau. [AFP - STEPHANE DE SAKUTIN]

ÉGOUTS UNITAIRES - Des eaux impropres rejetées dans la Seine

Créé par l'ingénieur Eugène Belgrand au milieu du XIXe siècle, le vieux réseau d'égouts de la capitale est unitaire, c'est-à-dire qu'il mélange eaux usées et pluviales. Or son fonctionnement "est très dépendant de la météo", résume Antoine Guillou: en cas de fortes précipitations, 44 déversoirs d'orage recrachent ce mélange dans le fleuve pour éviter que les égouts ne débordent.

En absorbant ce trop-plein, avant de le rendre au réseau d'assainissement via un système de pompage, le bassin d'Austerlitz doit permettre de "diminuer le volume" d'eaux impropres rejetées dans la Seine, souligne Antoine Guillou.

"Dans le principe et dans le volume, il n'a rien d'exceptionnel. Ce qu'il a d'exceptionnel, c'est son insertion au coeur de Paris", explique Samuel Colin-Canivez, le responsable grands travaux du réseau d'assainissement parisien.

QUALITÉ DE L'EAU - Des résultats intermédiaires préoccupants

Mais en août 2023, les répétitions ont tourné au cauchemar pour les organisateurs, forcés d'annuler la compétition de natation marathon. Les seuils de qualité de l'eau étaient nettement dépassés après de fortes pluies.

En 2023, au regard de la directive européenne "baignade" de 2006, aucun des quatorze points de prélèvement parisiens de l'eau n'a atteint un niveau de qualité suffisant, selon les analyses transmises par la mairie de Paris. Et selon la Surfrider Foundation, qui a réalisé des prélèvements à Paris de septembre à mars, l'eau de la Seine était dans un état "alarmant". Les autorités répondent que la baignade n'est prévue que l'été.

"L'ensemble des investissements ne permet pas de faire face" à l'épisode météorologique de l'été dernier, "extrêmement rare", mais il "réduit ses impacts", mesure Antoine Guillou. L'expert environnemental Michel Riottot affirme qu'une "grosse pluie rapide" va vite "saturer" le nouvel ouvrage.

A Paris, les égouts, tunnels et bassins comme Austerlitz stockent 1,9 million de m3 d'eau. Une petite pluie de 10 mm, c'est 1 million de m3. Avec une grosse pluie cévenole de 20 mm, vous allez déborder de partout

Michel Riottot, expert environnemental

"A Paris, les égouts, tunnels et bassins comme Austerlitz stockent 1,9 million de m3 d'eau. Une petite pluie de 10 mm, c'est 1 million de m3. Avec une grosse pluie cévenole de 20 mm, vous allez déborder de partout", calcule cet ancien ingénieur de recherche.

"Quand on (aura) une pluie intense, de toute façon, on rejettera et on n'atteindra pas les critères de baignabilité", reconnaît Samuel Colin-Canivez. Mais "on va forcément s'améliorer sur la charge bactériologique qu'on donne au milieu (naturel). Donc, on va gagner en nombre de jours de baignabilité", insiste le responsable grands travaux du réseau d'assainissement parisien.

"On peut comprendre qu'il y ait beaucoup de gens sceptiques", ajoute Antoine Guillou, rappelant que cela fait "un siècle que la baignade en Seine est interdite". Selon la mairie, grâce à Austerlitz, "les vannes de déversement ne seront désormais ouvertes que pour les pluies les plus importantes, en moyenne deux fois par an".

AUCUN RACORDEMENT EN AMONT - Eaux usées dans la nature

Depuis 2018, une loi oblige bateaux et péniches si emblématiques des berges de la Seine à se raccorder au réseau d'assainissement pour ne plus déverser leurs eaux souillées dans le fleuve. Selon la préfecture, la quasi-totalité des 250 propriétaires devraient l'avoir fait à Paris d'ici aux JO.

Idem pour la résorption des mauvais branchements des particuliers, obligatoire depuis 2021. Jusque-là, quelque 23'000 maisons de banlieue proche évacuaient eaux de douche et de toilettes directement dans la nature. A force de porte-à-porte, promesses de subventions, menaces de pénalités, 40% de ces mauvais branchements ont déjà pu être corrigés.

 Si la Seine n'est pas redevenue un fleuve sauvage, elle compte aujourd'hui plus de 30 espèces de poissons, contre trois en 1970

Jean-Marie Mouchel, hydrologue

"On est passés de 20 millions de m3 à 2 millions de m3 de rejets dans la Seine par an ces dernières années", indique Samuel Colin-Canivez, responsable des grands travaux du réseau d'assainissement parisien. 

L'hydrologue Jean-Marie Mouchel voit une grande "amélioration sur les teneurs en oxygénation, ammonium et phosphate", signe de meilleure santé d'une rivière. Si la Seine "n'est pas redevenue un fleuve sauvage", elle compte aujourd'hui "plus de 30 espèces de poissons, contre trois en 1970", souligne le professeur.

STATIONS D'ÉPURATION - Essai d'un nouveau traitement

En amont de la capitale, parmi les deux principales stations d'épuration modernisées, l'usine de Valenton (Val-de-Marne) joue un rôle fondamental pour améliorer le traitement des eaux usées.

Depuis l'année dernière, un procédé innovant permet de les traiter à l'acide performique, "désinfectant organique" qui ensuite "se désagrège rapidement, dès avant d'entrer en contact avec le milieu naturel", affirme le SIAAP, en réponse aux inquiétudes quant à son éventuel impact sur l'environnement.

Toujours en amont, à Champigny-sur-Marne, une nouvelle station de dépollution des eaux pluviales doit entrer en fonction au printemps. Creusée en sous-sol, elle les récupère pour les empêcher de finir dans la rivière. Elle les nettoie par dégrillage pour retirer les déchets flottants, décantation lamellaire pour retirer les matières en suspension et traitement par lampes ultra-violet - autre procédé innovant - pour désactiver les bactéries, avant de les rejeter dans la Marne.

La station d'épuration de Valenton (Val-de-Marne). [AFP - EMMANUEL DUNAND]
La station d'épuration de Valenton (Val-de-Marne). [AFP - EMMANUEL DUNAND]

Au détour d'une visite du Louvre sur ses quais ou par un de ces jours de canicule de plus en plus fréquents l'été à Paris, il pourrait être possible de se baigner dans la Seine - comme on le fait dans la Limmat à Zurich ou l'Eisbach à Munich, deux rivières alpines plus faciles à encadrer.

Les élus rappellent régulièrement que le climat de la capitale pourrait s'apparenter à celui de Séville d'ici quelques années, avec des températures atteignant 50°C.

Valentin Jordil et Doreen Enssle avec afp

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