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Des fourmis pratiquent la chirurgie, selon une étude lausannoise

Une fourmi charpentière de Floride (Camponotus floridanus) soigne le moignon de la patte manquante d'une de ses compagnes de nid. [UNIL - Bart Zijlstra]
Des fourmis pratiquent la chirurgie selon une étude lausannoise / Le Journal horaire / 41 sec. / mercredi à 10:03
Sauver des vies grâce à la chirurgie n'est pas une exclusivité humaine. Une étude lausannoise publiée dans la revue Current Biology montre que certaines fourmis amputent de manière ciblée les membres de leurs congénères blessées.

Dans cette étude menée sous la direction de Laurent Keller, ancien professeur au Département d'écologie et d'évolution de l'Université de Lausanne (UNIL), Erik Frank, Denis Buffat et des collègues du Japon montrent que chez les fourmis charpentières de Floride, dont le nom scientifique est Camponotus floridanus, le choix du soin – amputation ou nettoyage de la plaie – est adapté au type de blessure.

Dans un article publié l'an dernier, les auteurs avaient découvert qu'un autre groupe de fourmis, Megaponera analis, utilise une glande – présente chez la plupart des espèces de fourmis, la glande métapleurale – pour désinfecter les blessures avec des composés antimicrobiens.

Les fourmis charpentières de Floride, qui n'ont pas de glande métapleurale, emploient d'autres moyens pour soigner leurs congénères, notamment la chirurgie, ont constaté les scientifiques. Deux types de soins ont été identifiés: soit les fourmis amputent la patte blessée, soit elles nettoient la plaie avec leurs mandibules.

>> Un individu blessé (marqué en jaune) de l'espèce Camponotus maculatus se fait enlever la patte au niveau du trochanter (au sommet du fémur) par un congénère :

Des fourmis pratiquent la chirurgie
Des fourmis pratiquent la chirurgie / L'actu en vidéo / 37 sec. / mercredi à 17:11

Lors de blessures au niveau du fémur, les chercheurs ont observé que les fourmis amputaient toujours la patte blessée. En revanche, lors des blessures au tibia, elles n'amputaient pas la patte, mais nettoyaient la blessure avec leurs mandibules. Dans les deux cas, ces interventions ont permis d'augmenter considérablement le taux de survie des individus blessés.

Risque d'infection

Selon les biologistes, le type de soin prodigué semble lié au risque d'infection en lien avec l'emplacement de la blessure. Le fémur est composé de muscles qui jouent un rôle fonctionnel de pompage du sang, appelé hémolymphe, de la patte vers le reste du corps.

"Lors d'une blessure au fémur, les muscles sont endommagés, réduisant ainsi leur capacité à faire circuler le sang potentiellement chargé de bactéries. Par contre, comme le tibia a peu de tissu musculaire, une blessure à ce niveau a peu d'implication sur la circulation sanguine", selon Laurent Keller interrogé par Keystone-ATS.

"Mais comme le flux de l'hémolymphe est moins entravé lors de blessures au tibia, les bactéries peuvent se propager plus rapidement dans le corps que lors de blessures au fémur", ajoute Erik Frank, qui travaille actuellement à l'Université de Würzburg, en Allemagne.

>> Lire aussi : Face au risque de maladie, les fourmis réagissent pour éviter l'épidémie

Quarante minutes pour amputer

On pourrait alors penser que si les dommages au tibia entraînent des infections plus rapides, l'amputation complète de la patte serait la plus appropriée, mais c'est le contraire qui a été observé. En effet, il faut au moins quarante minutes pour qu'une fourmi puisse amputer la patte d'une congénère.

Ainsi, lors d'une blessure au fémur, les fourmis ont le temps d'amputer la patte avant que les bactéries ne se propagent. En revanche, ce n'est pas le cas lors de blessures au tibia; c'est pourquoi les fourmis nettoient la plaie avec leurs mandibules au lieu d'amputer la patte.

>> Un individu blessé (marqué en jaune) de l'espèce Camponotus floridanus reçoit des soins de la part d'une compagne de nid :

Une fourmi reçoit des soins d'une congénère
Une fourmi reçoit des soins d'une congénère / L'actu en vidéo / 20 sec. / mercredi à 17:32

Quant à savoir comment les fourmis sont capables de soins si sophistiqués, Laurent Keller y voit "un comportement inné". "Bien que les comportements des fourmis changent en fonction de l'âge d'un individu, il y a aujourd'hui très peu de preuves d'apprentissage", dit-il.

Des expériences similaires sont maintenant menées par Erik Frank chez d'autres fourmis, afin d'observer si les amputations sont pratiquées uniquement chez des fourmis ayant perdu la glande métapleurale lors de l'évolution.

>> Ecouter aussi Erik Frank, myrmécologue, auteur de "Combattre, sauver, soigner – Une histoire de fourmis" :

Eric Franck. [Libre de droits]Libre de droits
Erik T. Frank - Fourmis Matabele de Côte dʹIvoire / Chouette ! / 25 min. / le 16 juillet 2021

ats/sjaq

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