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Etienne Piguet: "Le tourisme pourrait entraîner plus de déplacements de population que le risque d'un glissement de terrain"

L'invité de La Matinale (vidéo) - Etienne Piguet, professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel
L'invité de La Matinale (vidéo) - Etienne Piguet, professeur de géographie à l’Université de Neuchâtel / L'invité-e de La Matinale (en vidéo) / 14 min. / le 4 juillet 2024
Le Valais et le Tessin ont subi des événements climatiques extrêmes ce week-end. Selon Etienne Piguet, professeur de géographie à l'Université de Neuchâtel, ces phénomènes risquent de devenir plus fréquents à l'avenir, mais il est difficile de prédire combien de personnes seront déplacées.

Etienne Piguet, professeur de géographie à l'Université de Neuchâtel, explique que bien que ces événements frappent, ils ne sont pas nouveaux. Il prévoit une augmentation de leur fréquence et intensité. "La Suisse a mis en place diverses mesures de protection, mais il est impossible de tout prévoir", admet-il jeudi dans La Matinale de la RTS.

Il souligne la prudence nécessaire dans la terminologie des "déplacés climatiques", préférant parler de "migration induite par l'environnement" pour les déplacements durables. "Dans la recherche, nous faisons une différence entre des déplacements de courte durée, des évacuations et des personnes devant quitter plus ou moins définitivement leur lieu d'habitation en raison de dégradations climatiques."

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"Série de phénomènes indirects"

En 2023, la Suisse a enregistré 410 évacuations dues aux aléas climatiques, un chiffre important, mais bien moindre que les 1,79 million de personnes déplacées au Bangladesh pour les mêmes raisons. L'expérience montre que la majorité des personnes évacuées finissent par rentrer chez elles, que ce soit après un jour, un mois ou un an, indique Etienne Piguet. "Ce n'est qu'une toute petite minorité qui doit partir ou décide de partir de manière durable", souligne-t-il.

On pourrait penser que les gens ne souhaitent qu'une chose, fuir leur pays. Mais en réalité, ils déploient des efforts extraordinaires pour reconstruire

Etienne Piguet, professeur de géographie à l'Université de Neuchâtel

Et de poursuivre: "On pourrait penser que les gens ne souhaitent qu'une chose, fuir leur pays. Mais en réalité, ils déploient des efforts extraordinaires pour reconstruire. Les géographes parlent de l'attachement au lieu, et on constate que ces personnes veulent avant tout retourner chez elles. Elles y ont vécu, leurs ancêtres y sont enterrés, elles y ont leurs réseaux sociaux et tout un imaginaire lié à leur foyer".

Il met donc en garde contre les hypothèses simplificatrices et souligne les impacts indirects. "L'économie touristique, par exemple, pourrait entraîner bien plus de déplacements de population que le risque direct d'un glissement de terrain. Si les hivers manquaient de neige, cela affecterait les populations des Alpes bien plus que les glissements de terrain. Cependant, il est aussi possible que, pour diverses raisons, les Alpes deviennent plus attractives. Il est donc extrêmement difficile de faire des prévisions."

Des chiffres à interpréter avec prudence

Les migrations climatiques concernent environ 30 millions de personnes déplacées annuellement. Toutefois, ce chiffre doit être interprété avec prudence.

"Il ne représente qu'une estimation approximative des déplacements de courte durée qui se produisent chaque année, explique le professeur. En ce qui concerne les migrations climatiques et la prévision de celles-ci, de nombreux facteurs entrent en jeu qui influencent la décision des personnes de se déplacer ou non. Il est donc prudent de ne pas se fier à des chiffres globaux, bien que certains circulent, les recherches ne les confirment pas de manière uniforme."

Aucun statut de réfugié climatique

Le statut de réfugié climatique n'existe pas officiellement et ne devrait pas apparaître, car les "facteurs climatiques n'agissent jamais seuls". "Néanmoins, des instruments de protection collective sont essentiels", juge Etienne Piguet.

Il rappelle que bien que les zones montagneuses soient affectées, les bords de mer, particulièrement autour de la Méditerranée, sont les plus vulnérables en raison de la montée des eaux et des sécheresses. "Le sud de l'Espagne, le sud de l'Italie, le Maghreb et l'Irlande, qui prépare déjà des infrastructures de protection contre la montée du niveau des mers, sont particulièrement concernés", liste Etienne Piguet.

Enfin, le professeur critique la "vision technocratique" des politiques, qui se concentrent sur des solutions à court terme comme le bétonnage pour canaliser les rivières, alors que des solutions à long terme sont également nécessaires.

Propos recueillis par Delphine Gendre/vajo

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