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Le "stalking", ou le harcèlement obsessionnel, pourrait bientôt être puni de trois ans de prison

Débat au Parlement sur l'inscription du harcèlement obsessionnel dans le code pénal. [PEXELS]
Débat au Parlement sur l'inscription du harcèlement obsessionnel dans le code pénal / La Matinale / 1 min. / le 6 juin 2024
Le "stalking", ou harcèlement obsessionnel, doit figurer dans le code pénal en tant qu'infraction spécifique. Le Conseil national a adopté jeudi, par 151 voix contre 29, un projet en ce sens. Le Conseil fédéral le soutient mais met en garde contre des attentes trop élevées. Le dossier passe aux Etats.

Recevoir des appels ou des messages à toute heure, des lettres au contenu menaçant, des cadeaux ou même se faire suivre dans la rue. Se caractérisant par des faits répétés, le harcèlement obsessionnel peut prendre plusieurs formes. Phénomène complexe, il a aussi pris une nouvelle dimension avec les réseaux sociaux.

Pour se rendre compte de ce que "stalking" signifie concrètement, la RTS a interrogé une ancienne victime qui témoigne sous couvert d'anonymat. Tout a commencé après une séparation, elle reçoit des appels et emails de la part de son ex-compagnon qui voulait garder un contact permanent.

Il y a un moment donné où on a l'impression de perdre sa liberté de mouvement. Je pense qu'on minimise l'impact sur le psychisme et les angoisses engendrées

Ancienne victime de "stalking"

"Au bout d'un moment, à force de décrocher son téléphone et d'ouvrir ses mails, vous voyez que c'est toujours la même personne qui prend contact, alors que vous l'avez bloquée par tous les moyens possibles, c'est vraiment agaçant et même très angoissant. On se sent épié tout le temps", raconte-t-elle au micro de La Matinale.

Pour elle, il faut vraiment le vivre pour se rendre compte à quel point ce comportement peut être destructeur. "Il y a un moment donné où on a l'impression de perdre sa liberté de mouvement. Je pense qu'on minimise l'impact sur le psychisme et les angoisses engendrées."

Le "stakling" n’étant pas reconnu comme un délit, il est donc difficile de le poursuivre en justice. "Il faut presque en arriver au point d'avoir des problèmes physiques ou des choses plus graves pour que la police réagisse."

Tous les types de relations

Invitée de La Matinale, Anny Kasser-Overney, avocate en droit pénal et droit de la famille, explique que les cas de "stalking" après une séparation sont des cas typiques. Ils concerneraient entre 30 et 50% des cas.

Cela concerne aussi les gens qui sont en contact avec une clientèle ou avec une patientèle. Ça peut être des médecins, des personnalités publiques, des fonctionnaires, des magistrats, ou éventuellement des avocats

Anny Kasser-Overney, avocate en droit pénal et droit de la famille

Mais le harcèlement obsessionnel touche tous les types de relations, comme les relations professionnelles. "Par exemple de la part d'anciens collègues de travail ou d'anciens subordonnés. Mais ça concerne aussi les gens qui sont en contact avec une clientèle ou avec une patientèle. Ça peut être des médecins, des personnalités publiques, des fonctionnaires, des magistrats, ou éventuellement des avocats", poursuit-elle.

Pour l'heure, deux voies s'ouvrent aux victimes. "Il y a déjà la voie civile. Pour autant qu'on connaisse l'auteur, on peut demander au juge civil de prendre des mesures d'éloignement. Le cas échéant, dans des cas de gravité particulière, on peut demander le port d'un bracelet électronique pour l'auteur."

Du point de vue du Code pénal, il faut faire entrer les comportements du "stalker" dans des infractions qui existent déjà, "comme la contrainte, les menaces ou l'utilisation abusive d'une installation de télécommunication". Mais ceci n'est pas toujours facile, d'où l'importance, selon Anny Kasser-Overney, d'avoir une norme pénale spécifique pour ce type de comportements.

"Le harcèlement obsessionnel se caractérise par la répétition de comportements qui ne sont pas forcément pénaux individuellement. Si vous allez dire à la police que vous avez reçu deux ou trois mails, que vous êtes suivi ou que vous avez reçu des cadeaux, ça ne ressemble pas à un comportement pénal. C'est vraiment la répétition des faits qui est problématique", ce qui n'est pas toujours facile à prouver.

Importance symbolique

Une inscription de cette forme de harcèlement dans le Code pénal aurait d'abord une valeur symbolique. "C'est important pour les victimes de se rendre compte que ce qu'elles subissent n'est pas normal, et pour les auteurs de se rendre compte que ce comportement n'est pas admissible."

Anny Kasser-Overney revient aussi sur la "portée pratique". "Ce n'est pas facile pour la victime d'aller déposer une plainte, par peur de ne pas être prise au sérieux."

Les auteurs de ces délits pourraient être punis d'une peine de prison de trois ans maximum ou d'une peine pécuniaire.

>> L'interview complète d'Anny Kasser-Overney dans la Matinale :

Le ‘‘harcèlement obsessionnel’’ pourrait entrer dans le code pénal: interview d’Anny Kasser-Overney (vidéo)
Le ‘‘harcèlement obsessionnel’’ pourrait entrer dans le code pénal: interview d’Anny Kasser-Overney (vidéo) / La Matinale / 5 min. / le 6 juin 2024

L'UDC pas convaincue

Le projet décrit l'infraction comme la traque (filature, espionnage, rencontres répétées inopportunes au travail ou au domicile), le harcèlement (cadeaux, contacts répétés par téléphone ou mail, réseaux sociaux) ou la menace (tentative d'intimidation, voies de fait, empiètement dans le logement ou la propriété). Peu importe que l'auteur agisse dans le monde réel ou passe par les technologies informatiques.

D'abord opposé à inscrire le "stalking" dans le code pénal, le Conseil fédéral reconnaît le besoin. Il prévient toutefois qu'il ne faut pas nourrir des attentes trop élevées. "Ce n'est pas parce que le harcèlement est punissable que le problème disparaît", a souligné le ministre de la justice Beat Jans.

Nous ne faisons pas une loi pour les mâles alpha. Nous faisons une loi pour protéger tout le monde, surtout les femmes qui sont particulièrement victimes

Raphaël Mahaim (Vert-e-s/VD)

Sous la coupole, seuls des élus UDC s'y opposent. Ils pointent notamment du doigt une mise en oeuvre trop difficile. Pour Manfred Bühler (UDC/BE), c'est par l'éducation des enfants qu'on évite le harcèlement. Il faut habituer les enfants à poser eux-mêmes les limites au lieu d'avoir recours aux parents ou aux éducateurs.

"Nous ne faisons pas une loi pour les mâles alpha. Nous faisons une loi pour protéger tout le monde, surtout les femmes qui sont particulièrement victimes", lui a rétorqué Raphaël Mahaim (Vert-e-s/VD) .

La poursuite aura lieu sur plainte uniquement. Seule la victime peut déterminer si elle se sent atteinte dans sa sécurité ou sa liberté. En aucun cas une procédure pénale ne doit être engagée contre la volonté de la victime. En revanche, si l'infraction a lieu au sein d'un couple, elle sera poursuivie d'office.

Le dossier passe au Conseil des Etats.

Sujet radio: Gabriela Cabré/Yann Amedro

Texte web: Fabien Grenon

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