C'est une première dans le monde des télécoms suisses. Des employés de Swisscom, Sunrise et Orange ont remis des données clients confidentielles à des tiers, en particulier à une société privée de renseignements établie sur sol vaudois. Des données livrées par des cadres moyens contre de l’argent. Selon nos sources, on articule un montant total en centaines de milliers de francs sur une période d’au moins cinq ans.
Ce sont des listings de numéros de téléphone (ou "fadettes") qui ont ainsi été fournis régulièrement à un directeur d'une agence de détectives installée dans le canton de Vaud. Actif dans le milieu de l’investigation et du renseignement privé depuis de longues années, ce Neuchâtelois d’origine a été arrêté et interrogé durant une semaine par la justice. Contacté vendredi par e-mail, son avocat n’a pas donné suite à nos questions.
D'autres interpellations possibles
Le Parquet de Genève confirme l’existence d'une instruction pénale. Elle est conduite par le premier procureur Yves Bertossa. D'après une porte-parole du Parquet, "trois personnes ont été interpellés, auditionnées, puis remises en liberté après confrontation entre elles". Ces personnes auraient reconnu les faits et ont été inculpées de violation du secret des postes et des télécommunications.
Contactés par la RTS, Swisscom, Sunrise et Orange confirment l'existence de l'enquête. Aucun opérateur ne précise si leurs employés indélicats ont été licenciés et si des plaintes seront déposées (lire ci-contre). Quant à savoir comment et par quels moyens ces vols de données ont eu lieu, les opérateurs ne livrent aucune explication. De même, pas de commentaire sur un renforcement de la protection de leurs données client.
Ce réseau illégal de renseignements auprès des opérateurs télécoms aujourd'hui démantelé, la justice genevoise s'intéresse aux clients de ce réseau et du directeur de la société vaudoise impliquée. Selon sa porte-parole, "d'autres interpellations et auditions doivent encore avoir lieu" ces prochaines semaines.
Yves Steiner
La réponse des trois opérateurs
La réponse de Swisscom: "Nous sommes au courant de cette affaire. Néanmoins, comme il s'agit d'une enquête en cours, nous n'allons pas pouvoir répondre à vos questions, ni les commenter."
La réponse d’Orange: "Nous vous confirmons avoir connaissance de ce cas actuellement en cours de procédure ainsi que d’avoir été contactés par les autorités compétentes en la matière. La protection des données ainsi que du secret des postes et des télécommunications est un sujet de la plus grande importance chez Orange. Afin de protéger les données personnelles, Orange a implémenté une structure durable avec des directives et des mécanismes de contrôle stricts. Chaque employé Orange est astreint par son contrat de travail à suivre et à respecter précisément les règles en la matière ainsi que les lois et ordonnances en vigueur et Orange n'accepte aucune entorse à ses règlements internes à ce sujet. Le respect des directives de protection des données ainsi que du secret des postes et des télécommunications par nos collaborateurs fait régulièrement l’objet de contrôles internes et externes. Des infractions aux directives de protection des données peuvent mener à une résiliation immédiate du contrat de travail. De plus, Orange se réserve le droit d’entreprendre différentes démarches légales."
La réponse de Sunrise: "Sunrise a connaissance de l’arrestation d'une personne qui travaillait dans notre entreprise. A l'heure actuelle en raison de l’enquête en cours, Sunrise ne fera aucune déclaration sur cette arrestation et les raisons de celle-ci. Dans le domaine de la protection de donnes, Sunrise répond aux plus hautes exigences de sécurité. Les données de nos clients sont sécurisées et gérées de manière strictement confidentielle. Sunrise est attentif à ce que les exigences légales de protection des données soient pleinement respectées. Si dans le cas d’espèce, une utilisation non autorisée de données clients est intervenue, Sunrise analysera attentivement cette affaire et les mesures à adopter."
L'avis du spécialiste Nicolas Giannakopoulos
Pour Nicolas Giannakopoulos, spécialiste de la corruption, "ce qui choque, c’est la publicité faite autour de cette affaire. Normalement, car on parle de corruption privée, cela se traite avec discrétion sans passer devant la justice".
Observateur, mais aussi patron d'une entreprise d'intelligence criminelle, le Genevois conclut: "C’est la démonstration d'une justice à deux vitesses. D'un côté, des magistrats qui, dans le cadre d’une enquête, doivent payer cher aux opérateurs des données comme celles qui ont été volées et donc hésitent à le faire. Et de l'autre, des privés, qui pour fournir des dossiers clés en main à la justice corrompent des employés pour acheter des données sensibles. Il ne faut pas être naïf. Cela existe en Suisse, comme à l’étranger."