Une nouvelle affaire secoue la place financière helvétique. Selon une information de la RTS, confirmée par le Ministère public de la Confédération (MPC), la Confédération a bloqué plusieurs centaines de millions de francs depuis le début du mois d’août. Des fonds d’origine ouzbèke. Plusieurs banques sont concernées. Contacté, le Ministère public de la Confédération précise que les soupçons portent sur "du blanchiment d’argent aggravé et des infractions préalables commises à l’étranger, en particulier en Ouzbékistan".
Selon la Banque nationale suisse, les avoirs ouzbeks dans les banques suisses se montaient, fin 2010, à 1,24 milliard de francs.
Pour mémoire, l'affaire commence fin juillet. La banque privée Lombard Odier communique des soupçons de blanchiment d'argent à Berne. Le MPC ouvre alors une procédure pénale contre quatre citoyens ouzbèkes. Fait rare dans une affaire de blanchiment, deux de ces derniers (A.I. et S.S.) sont interpellés le 31 juillet en pleine rue à Genève. Ils dorment depuis en prison. Parmi les autres prévenus figure A.B., un ancien manager d'Uzdunrobita, la filiale ouzbèke de l'opérateur russe de télécommunications MTS, désormais recherché par Interpol.
Opérateurs de télécommunications et sociétés offshore
Selon la RTS et la télévision publique suédoise SVT, l'enquête fédérale se dirige vers des contrats passés entre des opérateurs de télécommunications ouzbèkes et étrangers depuis 2007. Des contrats qui portent sur plusieurs centaines de millions de dollars pour l'accès au marché ouzbek. Outre le géant russe MTS, l'opérateur suédois TeliaSonera apparaît dans les dossiers des limiers fédéraux.
Interrogé par la SVT, l'opérateur suédois explique que "nous avons fait un investissement il y a cinq ans en Ouzbékistan. A l'époque, nous avons mené une enquête pour savoir si notre partenaire local était le propriétaire des licences et des fréquences que nous avons reçues par la suite. Et si ce partenaire était représenté par une personne qui le représentait réellement. Nous n’avons jamais eu la chance de découvrir qui était réellement derrière ce partenaire."
L'enquête fédérale a mis au jour un réseau de sociétés offshore avec des ramifications en France, en Grande-Bretagne, en Russie et en Suède. Cependant, ce n'est pas l'importance de ce réseau offshore qui interpelle Berne. "Dans ce type d’affaire, nous avons toujours un intermédiaire entre les banques installées en Suisse et l’origine des fonds. Ici, c’est étonnant, le flux d'argent est arrivé directement d'Ouzbékistan sur des comptes bancaires suisses", explique une source proche de l’enquête.
Yves Steiner (avec Joachim Dyfvermark, SVT - télévision publique suédoise)
Une enquête "très politique"
Selon une source proche de l'enquête fédérale, le travail du MPC se fait dans un contexte "très politique".
D'après des témoignages recueillis par la RTS et la SVT, trois des prévenus entretiennent des relations directes avec la famille présidentielle ouzbèke. Surtout avec Gulnara Karimova, la fille de l'actuel président Islam Karimov.
Installée à Cologny (GE), Gulnara Karimova est l’actuelle ambassadrice d’Ouzbékistan en Espagne et auprès des Nations Unies à Genève. Elle jouit d'une immunité diplomatique totale qui exclut toute procédure pénale de la part du Ministère public de la Confédération contre elle.
Contactée mardi après-midi par courrier électronique, la Mission d'Ouzbékistan auprès des Nations Unies à Genève n'a pas souhaité à nos questions.
A un niveau politique, Berne suit attentivement les développements de l'enquête du MPC.
En effet, l'Ouzbékistan fait partie des pays qui composent le groupe de vote de la Suisse auprès du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Corruption et droits de l'homme bafoués
L'Ouzbékistan fait partie des pays les plus mal notés en termes de corruption
Dans le classement 2011 de l'organisation Transparency International, le pays figure à la 177e place sur 182.
Seules l'Afghanistan, la Birmanie, la Corée du Nord et la Somalie sont moins bien notés.
La situation des droits de l'homme n'est guère plus réjouissante.
Selon Amnesty International, les cas de torture ou d'autres mauvais traitements sont nombreux. Des dizaines de personnes appartenant à des minorités religieuses et à des groupes islamiques ont été condamnées à de lourdes peines d'emprisonnement.
Le 13 mai 2005, la répression des forces de sécurité après une insurrection dans la ville industrielle d'Andijan a fait des centaines de morts, selon des estimations.