L'époque héroïque
Première traversée du Léman, premier franchissement des Alpes, premier vol à plus de 5500 mètres d'altitude. D'Armand Dufaux à Oskar Biden, en passant par René Grandjean, Edmond Audémars et Emile Taddeoli, ils furent nombreux les pilotes suisses à alimenter la légende. En 1910, le Parlement n'est toujours pas disposé à intégrer l'aviation dans son armée. La Société suisse des officiers lance alors une collecte nationale, qui récoltera plus d'un million de francs et contraindra le Conseil fédéral à créer une aviation militaire. Le journaliste Alexandre Burger évoque en images cette période épique.
Encore très modeste durant la guerre de 14-18, l'aviation accède en 1936 au statut d'arme à part entière. Elle se dote de chasseurs de pointe Messerschmitt, de C-35 et construit sous licence des chasseurs français Morane-Saulnier. S'ils mènent quelques combats marquants contre la Luftwaffe durant la Deuxième Guerre mondiale, les pilotes militaires s'acquittent avant tout de missions de surveillance et effectuent leurs premiers sauvetages en montagne.
L'ère des avions à réaction : Vampire et Venom
Dès après la guerre, l'aviation militaire suisse entame un processus spectaculaire de modernisation. Après avoir acheté en 1948 130 Mustang P-51 D, un chasseur américain à moteur à pistons, elle acquiert ses premiers avions à réaction: 175 Vampire et 250 Venom, dont 350 furent fabriqués sous licence en Suisse. Un bond technologique sans précédent : en 1956, l'armée suisse la première au monde à posséder des escadrilles exclusivement équipées d'appareils à réaction.
En 1946, le Ciné-Journal suisse présente le Vampire, avion de chasse ultra-moderne qui réalise des essais de vol depuis l'aérodrome de Sion. Les habitantes des vallées valaisannes n'en croient pas leurs yeux...
Sur ces images d'archives, un chasseur Venom à l'entraînement vise des cibles dans les Alpes suisses.
L'affaire des Mirages
En juin 1961 l'Assemblée fédérale accepte un crédit de 871 millions de francs pour l'acquisition de cent avions de combat Mirages III S auprès de la firme Dassault. Trois ans plus tard, le 2 mai 1964, l'émission Carrefour présente en avant-première cet appareil capable de dépasser le mur du son, et spécialement sorti des hangars d'Emmen pour la télévision.
Deux jours après la diffusion de ces images, le Conseil fédéral demande au Parlement de voter un crédit additionnel de 356 millions de francs, assorti de 220 millions de francs pour le renchérissement. C'est un coup de tonnerre : le Parlement n'a pas été tenu informé des coûts supplémentaires. Ce scandale donnera lieu à la création de la première commission d'enquête parlementaire de l'histoire de la Suisse. A l'automne 1964, la commission dépose un rapport accablant pour le gouvernement. Le Département militaire fédéral est accusé de tromperie, les informations fournies pour faire voter le crédit au parlement étaient lacunaires. Le 23 septembre 1964, le Parlement décide de réduire la commande à 57 avions de chasse. Les têtes tombent au Département militaire fédéral et le conseiller fédéral Paul Chaudet lui-même, appelé à la démission, renoncera à un nouveau mandat en 1966.
1981 : des accidents en cascade
En 1981, les forces aériennes suisses sont lourdement touchées : huit accidents, un civil et trois pilotes tués, neuf appareils détruits. Les pertes financières s’élèvent à 65 millions de francs. Comment expliquer cette hausse des accidents ?
Au début des années 70, l'évolution technologique des missiles avait fait croire à la possibilité de guerres « propres». Des espoirs douchés par le développement de systèmes de repérages sur les avions et les possibilités d’esquives. Les combats aériens rapprochés sont toujours à l’ordre du jour, comme l'explique en 1982 Christophe Keckeis, pilote professionnel et futur chef de l'armée suisse.
On peut aussi mettre en avant la relative vétusté de l’aviation suisse. En 1982, un quart des appareils des forces aériennes suisses sont des Vampires. Aucune autre armée de l’air en Europe n’utilise d’avions aussi anciens. Enfin, il faut ajouter que l'armée de l'air utilise encore des pilotes de milice, qui ne sont plus suffisamment formés pour ces exercices très dangereux.
Pour ou contre les F/A 18?
Début des années 90: alors que démarre la réforme « Armée 95 », le Conseil fédéral présente au Parlement son projet d'achat de 34 avions de combat américain F/A 18 Hornet, du constructeur McDonnell Douglas pour remplacer les vieux avions Hunter datant de 1958. Le budget est évalué à 3,5 milliards de de francs. La Suisse a obtenu une licence pour construire les appareils. Le projet est accepté par le Parlement. Le Groupe pour une Suisse sans armée (GSsA), dont l'initiative anti-armée avait convaincu 34,9% des Suisses en 1989, se relance dans la bataille et demande un moratoire sur l'achat de nouveaux avions de combat.
En mars 1993, trois conseillers fédéraux tiennent une conférence de presse pour défendre les F/A 18. Autour de Kaspar Williger, en charge du Département militaire fédéral, le président de la Confédération Adolf Ogi et le chef de l’économie Jean-Pascal Delamuraz.
Le 15 mai 1993, moins d'un mois avant la votation, une foule impressionnante d'opposants aux avions de combat se rassemble devant le Palais fédéral.
Au soir du 6 juin 1993, Kaspar Williger peut souffler: 57, 2% des Suisses ont rejeté l’initiative. L’armée suisse va pouvoir se doter de ses nouveaux avions de combat.
Ueli Maurer et l'échec du Gripen
Dans le courant des années 2000, l'aviation militaire demande le remplacement de ses Tiger F-5, en service depuis 1978. Trois candidats sont pressentis : L’Eurofighter Typhoon, dont le coût s'élève à 100 millions de dollars, le Rafale français, avion très sophistiqué mais très cher (150 millons de dollars) et enfin le Gripen, un appareil de construction suédoise, possédant un seul réacteur mais ayant l'avantage d'être bon marché. En 2011, le journaliste Etienne Duval fait le voyage en Suède, au siège du constructeur Saab.
Ueli Maurer, chef du Département fédéral de la Défense, a jeté son dévolu sur le Gripen. Pourtant les critiques me manquent pas. Certains considèrent le Gripen comme un avion "law-coast". La gauche dépose un référendum contre la décision du Conseil fédéral. Le peuple devra se prononcer. En février 2012, un journal révèle qu’un rapport interne de l’armée met en doute les capacités de l'avion suédois. Or, quelques mois auparavant, Ueli Maurer affirmait haut et fort que le Gripen répondait à tous les critères. On pointe également la légèreté, les gaffes et les erreurs de communication du conseiller fédéral. Le 13 avril 2014, l'émission Mise au point revient sur ces ratages.
Un mois plus tard, le 18 mai 2014, les Suisses disent non à 53,4% à l'achat des vingt-deux avions de combat suédois.
Et enfin... Le F-35
Le 20 septembre 2020, les citoyennes et le citoyens suisses ont accepté de justesse (50,1%) l'arrêté fédéral relatif à l'acquisition de nouveaux avions de combat. Par ce vote, ils ont avalisé un crédit de 6 milliards de francs. Révélé en juillet 2021, le choix du Conseil fédéral s'est porté sur l'avion de combat de type F-35A du fabricant américain Lockheed Martin. Un choix controversé, qui a déjà fait couler beaucoup d'encre et qui, une fois de plus, va conduire les Suissesses et les Suisses aux urnes.
Sophie Meyer pour Les archives de la RTS