La vie est belle : L'ivresse des sommets
Tout à l'heure, je regardais dans un journal la photo de deux traders en train de comparer leur bonus sur une tour new-yorkaise, avec le titre : « Pour eux les bénéfices, pour nous la crise ». Une forêt de tours, voilà qui résume bien la société dans laquelle on vit.Je sais pas si t'as remarqué le nombre d'entreprises qui ont décidé de symboliser leur pouvoir en s'installant dans des tours, et ce bien avant que la prix du mètre carré de terrain devienne inabordable au centre des villes. Prendre de la hauteur, pour tout un tas d'entreprises, c'est quelque chose de capital. Autant pour montrer leur pouvoir en installant leur nom au-dessus de celui des autres sur une enseigne lumineuse que pour impressionner leurs propres employés.La verticalité, dit-on, c'est un élément clé de la distance, la distance qui est un formidable outil de management. Il suffit de chercher dans une entreprise les rares chefs qui installent leur bureau au même étage que celui des employés¿ Autant chercher une baleine à bosse en vadrouille le long des côtes japonaises en pleine campagne de pêche.Des bureaux de la direction de plain-pied, ça se fait pas. Quelques employés plus déséquilibrés que la moyenne pourraient s'imaginer qu'ils sont sur un pied d'égalité avec leur direction. Les fous, les déboussolés, les paumés, les malades, les déphasés - je vous préviens, j'ai une liste de 62 synonymes, ça va être long - les dingos, les mabouls, les tordus, les zinzins, les désaxés, les fadas, les timbrés, les pauvres loufetingues qui n'ont pas compris qu'il faut de la distance entre le sommet et les sous-fifres.Monter dans la hiérarchie, c'est monter un palier, alors bon, à quoi bon grimper si c'est pour être physiquement au même niveau que ses employés ? Plus il y a distance entre les étages, mieux c'est, sauf quand la direction ne bénéficie pas d'un ascenseur réservé.Devoir s'arrêter à chaque étage dans un ascenseur rempli de cheffaillons qui te lèchent le cul en léchant la gomme de leur stylo, ça doit être totalement cauchemardesque. Depuis quand le domestique mange-t-il à la table du maître ?Si un jour vous m'avez comme patron, rappelez-moi d'exiger immédiatement la construction d'un ascenseur privé, un qui arrive directement dans mon bureau, juste à côté du porte-parapluie dans lequel je laisserai un fusil de chasse au gros gibier pour les syndicalistes qui s'inviteraient.En attendant, quand vous passez devant une tour sur le chemin du travail, regardez un peu les raisons sociales de ceux qui les occupent. Médias, fonds de placement, multinationales, que le haut du panier, toujours installé en hauteur, comme par hasard¿