Des machines folles qui ne servent à rien.
C’est ainsi que Jean Tinguely décrit ses sculptures. Inspiré notamment par Marcel Duchamp et Alexander Calder, l'artiste s'est longuement exprimé sur son travail. Extraits choisis.
Organiser l'éphémère
Affronter la nature, confronter la ferraille au cadre naturel, telle est l'ambition de l’artiste. Rencontré en 1962, Jean Tinguely réalise alors une fontaine. Soudant, perçant, ajustant. Les rebuts sont sa matière première pour créer une œuvre pétillante et grinçante où le mouvement et le non-sens manifestent l'humour, l'ironie, la légèreté ou l'angoisse. Un reflet des problèmes de son époque.
L'oeuvre d'un farceur ? L’artiste répond. Il cherche à établir un contact avec le public et à instaurer un rapport entre l’objet d’art et son contemplateur. Et n’hésite pas à choisir la provocation ou la blague pour assurer l’intensité de la communication.
Il faut se lancer hardiment dans ce que l'époque offre de nouveau.
La sculpture de Tinguely s'inscrit dans son temps mais à chacun de trouver son sens à l'oeuvre. Pour son concepteur, un acte purement gratuit.
Je suis poète.
Ferrailles et technique représentent pour le "mécanicien" Tinguely une caisse à outils au service de la poésie. Et si la beauté apparaît également dans les objets les plus fonctionnels, c'est bien que l'espèce humaine est poétique par nature.
Travailler avec le mouvement, c'est organiser l'éphémère.
Une création en mouvement, avec quelque chose d'immuable... En 1987, interrogé pour l'émission Viva, c'est avec vivacité que Jean Tinguely explique la profonde signification de l'aspect cinétique de son art.
Le conflit, une force vive
Le conflit avec la société, l'artiste le recherche comme une force de création, un puissant moteur pour son travail artistique. Cependant Tinguely n'est pas dupe, il mesure la puissance de son adversaire et sait qu'elle aura tôt fait de le "piedestaliser". Avec un certain humour, il consacrera aux révoltes de Mai 68 une sculpture intitulée La Matraque…
Une mécanique poétique
Peintures cinétiques, machines à dessiner Méta-Matics, sculptures Baluba aux danses échevelées, performances, gigantesques machines bruyantes ou fontaines inattendues, la production artistique de Jean Tinguely prend différentes formes. Les objets mécaniques qu'il conçoit sont les matériaux de base d'un univers poétique doté d'une sonorité particulière.
La passion des bolides
L'artiste Jean Tinguely, grand ami du coureur automobile fribourgeois Jo Siffert, connaît une passion pour la course de Formule 1. A l'entendre, sa démarche artistique possède des similitudes avec celle du pilote automobile, puisqu'elle repose sur l'absurdité, la répétition et la recherche de la maîtrise de la vitesse et du mouvement. Mais aussi qu'est-ce qu'une passion?
Hors de contrôle
"La Tête c'est un drôle de truc". Cette œuvre monumentale, aussi connue sous le nom "Le Cyclop" et installée au milieu des arbres de Milly-la-Forêt en France, semble susciter la perplexité du sculpteur lui-même. Haute de 22 mètres et d'un poids de 300 tonnes, statique, définitive, elle a été réalisée avec l'aide de la famille artistique de Tinguely, Niki de Saint-Phalle, Bernard Lüginbühl, Daniel Spoerri, Eva Aeppli notamment. Elle constitue selon les mots de Tinguely l’antithèse de sa production sans cesse en mouvement.
Renouvelant l'art cinétique, inspirant un travail collectif et soulevant les questions existentielles de son époque, Jean Tinguely a forgé une oeuvre majeure dans l'art du 20e siècle. Trente ans après la mort de l'artiste, ses créations continuent à enchanter et interroger.
Marielle Rezzonico pour les archives de la RTS
Sources
Personnalités Jean Tinguely - 15.11.1962
Carré bleu - 22.11.1970
Yeux ouverts L'artiste et le monde. Entretien avec Jean Tinguely, sculpteur fribourgeois, à l'occasion d'une exposition rétrospective à la Kunsthaus de Zürich - 20.08.1982
Visiteurs du soir Jean Tinguely : Sport automobile ou la passion de l’absurde - 08.03.1985
Viva Tinguely - 01.12.1987
Viva Le monstre de Tinguely - 02.05.1989