La valeur travail en Suisse
En 1964, dans le cadre de l’exposition nationale de Lausanne, un sondage inédit est réalisé auprès de plus d'un demi-million de visiteurs. Au travers de questions touchant à des domaines aussi divers que l'éducation, la défense nationale, la démocratie ou le statut des femmes, on tente pour la première fois de brosser un portrait du Suisse moyen.
Peut-on être bon Suisse et se lever après 9 heures du matin? Non, répondent 80% des personnes interrogées.
Parmi les questions posées, un certain nombre portent sur le travail. Les résultats du sondage sont éloquents : le travail constitue bien un pan central de l'identité helvétique.
Le paysan représente une figure quasi mythologique dans le paysage national. Persévérant et dur à la tâche, il incarne à lui seul les qualités qu'on aime attribuer au travailleur suisse.
Le travail : oui, mais...
Le vocabulaire et l’imagerie changent lorsqu’on s’approche des usines et des chaînes de production. Pénibilité, routine, stress, exploitation, voire aliénation. Le tableau idéalisé du travailleur suisse se cogne aux dures réalités de la condition ouvrière.
Mai 68. Un vent de révolte souffle sur la jeunesse occidentale. Cette dernière remet en question les valeurs de leurs aînés. Durant les « trente glorieuses », l’équation « travailler pour consommer » était une source suffisante de motivation. La jeune génération est en quête d’un autre idéal…
Si la réduction des horaires de travail fait partie du combat syndical depuis le début du 20e siècle, les mutations sociétales d'après-mai 68 contribueront également à créer un terrain favorable à l'émergence de nouvelles revendications.
La semaine des 40 heures
Au mois de novembre 1973, les Organisations progressistes de Suisse (POCH), soutenues par la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR) déposent une initiative visant à généraliser les 40 heures hebdomadaires de travail. Trois ans plus tard, lors d'un débat télévisé qui a lieu quelques jours avant le vote, Michel Thévenaz, le bouillant représentant de la LMR, affirme que les conditions sont réunies en Suisse pour une mise en oeuvre rapide de cette initiative.
Dans le clan du non, on n'attaque pas de front le principe des 40 heures, mais on refuse son inscription dans la constitution au nom du réalisme économique. La politique ne peut dicter son rythme au marché. On privilégie la recherche de solution secteur par secteur. Ces arguments feront mouche, puisque 78% de la population va rejeter l'initiative le 5 décembre 1976.
En août 1984, une nouvelle initiative est lancée, cette fois-ci par l’Union syndicale suisse. Dans une allocution prononcée deux semaines avant le scrutin, le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz invite les Suisses à voter non.
Lors de la votation qui eut lieu le 4 décembre 1988, 65,7% des citoyens suisses se rallieront à cette position.
Enfin, en 2002 , l'Union syndicale suisse repart en guerre avec une initiative encore plus ambitieuse, puisqu'elle demande la réduction du temps de travail à 36 heures. Sans grande surprise, seuls 34,3% des Suisses l'approuveront.
Les vacances
Concernant les vacances, les Suisses semblent moins rigoristes. Si en 1964 le code du travail fixe un minima à deux semaines, on accorde aux cantons la possibilité d'en rajouter une. Et à part Obwald, tous le feront.
Le 10 mars 1985, le peuple refuse l'initiative du Parti socialiste réclamant un minimum de quatre semaines de congés payés et d'une cinquième semaine pour les travailleurs de moins de vingt ans et de plus de quarante ans. Par contre, il accepte un contre-projet indirect, qui porte à quatre le nombre minimum de vacances pour toutes les classes d'âge.
27 ans plus tard, en 2012, une initiative réclamant six semaines de vacances est soumise au vote populaire. Peu avant l'échéance, une équipe de Mise au Point prend la température à Cerniat, la commune romande qui en 1985 avait refusé à 92% les quatre semaines de vacances pour tous. Les Suisses ne désavoueront pas l'esprit du village gruérien, puisque le 11 mars 2012, l'initiative sera rejetée par 66, 5% des votants.
Un constat nuancé
Les 40 heures de travail hebdomadaires et les cinq, voire six, semaines de vacances n'ont jamais été inscrits en lettres d'or dans la Constitution suisse. Tous les Helvètes ne bénéficient pas des mêmes conditions, mais au fil des ans de nombreux accords ont été négociés entre partenaires sociaux. Selon des chiffres de l'Office fédéral de la statistique datant de 2015, les salariés suisses travaillent en moyenne 41,9 heures par semaine et disposent de 4,9 semaines de vacances par an. Si les résultats de votations semblent démontrer un attachement atavique des Suisses au travail, la réalité du terrain apporte donc quelques nuances au tableau.