La rebelle
Née dans une famille d’enseignants, Grisélidis vivra durant son enfance en Egypte et en Grèce. Son père meurt lorsqu’elle a neuf ans. De retour en Suisse, elle supporte mal le carcan d'une éducation rigide imposée par sa mère. Diplômée en 1949 de l’Ecole des arts décoratifs de Zurich, elle se marie à 20 ans et aura quatre enfants de trois pères différents.
Au début des année 60, elle quitte Genève et s’enfuit en Allemagne avec deux de ses enfants et un amant noir américain. C’est là qu’elle commencera à se prostituer. De cette période, elle dira plus tard : «On avait la vie très dure, mais vraiment on vivait. Il fallait se battre tous les jours pour bouffer, pour se loger, pour échapper à la police. C’était une vie pleine de dangers, mais pleine d’animation, d’imprévus, d’aventures.»
Renvoyée d’Allemagne pour trafic de drogue après six mois de prison, elle s’installe à Genève et tente de gagner sa vie comme artiste peintre. Elle écrit « Chair vivante », un texte autobiographique à l'origine de son premier roman, qui lui vaut d’être interviewée en 1970 dans l’émission Vie littéraire.
La prostitution
En 1974, Grisélidis témoigne dans une émission Temps présent consacrée à la prostitution. A cette époque, elle n'exerce plus cette activité. Le regard qu’elle porte sur le monde de la nuit est alors assez différent de celui qu’elle adoptera plus tard. Elle parle de sa première fois. Du sentiment d’humiliation et de la honte. Mais pointe déjà l’idée que la prostitution pourrait et devrait être autre chose.
Il faudrait supprimer la honte. Si on supprimait totalement la honte, ça irait beaucoup mieux
La courtisane révolutionnaire
En 1975, Grisélidis Real fait partie des meneuses de la "Révolution des prostituées" qui donne lieu à l'occupation de la chapelle St-Bernard à Paris. Elle et ses compagnes dénoncent la répression policière et réclament la reconnaissance de leurs droits. Elle reprendra son activité de prostituée, dont elle revendique désormais pleinement la dignité et devient une activiste de la cause des travailleuses du sexe.
Les femmes convenables vont à l’Université parler ou écouter des conférences. Comme nous sommes des femmes très convenables, il n’y a aucune raison que nous n’ayons pas la possibilité d’aller parler à l’Université
En 1982, Elle participe à la fondation d'Aspasie, la première association de prostituées de Genève. Deux ans auparavant, elle avait travaillé à la mise sur pied d'un congrès à Genève, qui comprenait une réception à l’ONU et un débat public à l’Université.
L'indomptable
En 1991, Grisélidis Real renoue avec la littérature. Elle publie La passe imaginaire, fruit de sa correspondance avec le journaliste et écrivain Jean-Luc Hennig. Elle prend sa retraite de la prostitution quatre ans plus tard. En 2002, le journaliste Alain Rebetez l'interviewe dans le cadre des Grands entretiens. A 73 ans, la militante, qui lutte alors contre un cancer, n'a rien perdu de sa verve et de sa combattivité.
Pour moi, la prostitution est un art, un humanisme et une science, à condition d’être pratiquée volontairement et dans de bonnes conditions
Au cimetière des Rois
Grisélidis Real s'éteint le 31 mai 2005. Se pose alors la question du transfert de sa dépouille au cimetière des Rois, le "Panthéon genevois". La polémique échauffe la République. Le conseiller administratif Patrice Mugny soutient ce projet en s'en s'explique à la Tribune de Genève : «Dans une société idéale, les femmes ne devraient pas avoir à vendre leur corps. Mais dès le moment où le phénomène existe, il faut tenter d’éviter l’humiliation des femmes. Grisélidis Real a redonné une dignité aux prostituées, si souvent méprisées.» La cérémonie d'inhumation aura lieu le 9 mars 2009.
Un héritage
Articles de presse, correspondance, travaux de recherche, comptes rendus de colloques ou de congrès, affiches, manifestes : tout au long de sa vie de militante, Grisélidis Real n'a cessé d'accumuler de la documentation autour du thème de la prostitution. Son appartement débordait de papiers et elle avouait elle-même en 2002 avoir fait rendre l'âme à cinq photocopieuses.
A sa mort, ces précieuses archives ont été déposées à la bibliothèque de l'association Aspasie. Aujourd'hui inventorié, ce fonds de plus de 100'000 documents est désormais accessible aux chercheuses, chercheurs et au public.
Sophie Meyer pour Les archives de la RTS
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