Dès ses premiers films, Godard a acquis la réputation de mener la vie dure à ses comédiens. Lors des tournages, l'improvisation semble parfois totale. Les acteurs reçoivent rarement à l'avance les textes et les indications de jeux. Le cinéaste n’a pas d’égards pour les divas: sur le plateau, tout le monde est logé à la même enseigne. De quoi en vexer et en déstabiliser plus d’un. Mais celles et ceux qui lui accordent leur confiance sont unanimes: Godard est un grand, un très grand metteur en scène.
Eddie Constantine et Anna Karina
En 1965, Jean-Luc Godard a déjà une riche filmographie derrière lui. Aux côtés de François Truffaut, de Claude Chabrol ou encore d'Eric Rohmer, il est une des figures-phares de la Nouvelle Vague. Avec Alphaville, il explore un genre hybride, entre film d’espionnage et science-fiction. Pour incarner le personnage principal, il fait appel à Eddie Constantine, connu au cinéma pour son rôle de Lemmy Caution, un agent secret amateur de "jolies pépées". On peut s'en étonner, mais cet habitué des films de série B voue un véritable culte au cinéaste.
Pour moi, Monsieur Godard, il est génial, c’est le grand metteur en scène de notre époque
Egalement présente dans Alphaville, l’actrice Anna Karina. Elle a déjà plusieurs expériences de tournage avec Godard, qu’elle a épousé en 1961. Celle qui la même année a partagé l'affiche avec Jean-Paul Belmondo dans Pierrot le fou tient à corriger les fausses rumeurs colportées autour de la « méthode Godard ».
Isabelle Huppert
En 1980, Sauve qui peut (la vie) marque le retour de Jean-Luc Godard au cinéma, après des années de travaux expérimentaux et militants réalisés en vidéo. Le film, qui réunit Nathalie Baye, Isabelle Huppert et Jacques Dutronc, suit le parcours de personnages aux prises avec un monde aliénant, où les relations humaines et la culture sont réduites à l’état de marchandises. A sa sortie en Suisse, Spécial Cinéma consacre une édition entière au film. Une émission construite « à la manière de Godard», qui nous offre un intriguant dialogue entre le réalisateur, hors-champs, et la comédienne Isabelle Huppert, alors âgée de 27 ans. Il y est notamment question du statut des acteurs.
J’ai du mal à m’entendre dans la vie en général avec les officiels, les consuls, les gens qui se croient en représentation, et à un haut poste.
Alain Delon
Automne 1989: Jean-Luc Godard et Alain Delon se rencontrent sur le tournage de Nouvelle vague. Connaissant le caractère de ces artistes, on pourrait s’attendre à quelques explosions. En visiteur privilégié sur le tournage, le journaliste et producteur Christian Defaye doit bien le constater: la sérénité règne entre les deux monstres sacrés. L'acteur reconnaît en Godard un metteur en scène suffisamment grand pour accepter d’en être l’instrument.
Je sais exactement ce que je fais, mais je ne sais pas ce que Godard va en faire.
Gérard Depardieu
Tannay, 1992. Jean-Luc Godard et son équipe tournent au bord du lac Léman quelques séquences du film Hélas pour moi. Le cinéaste a accepté la présence d’une équipe de Spécial Cinéma durant deux jours. Les pieds dans l’eau, on retrouve Gérard Depardieu répétant une scène avec Laurence Mashlia, sous la direction extrêmement précise de Jean-Luc Godard. Concentrés, humbles, l’air parfois inquiet et dérouté, les deux acteurs suivent scrupuleusement les consignes du maître.
Tout le monde retenait son souffle lorsque le maître parlait, tout le monde parlait à voix basse lorsque le maître pensait.
Sophie Meyer et Martine Cameroni pour Les archives de la RTS