Publié

Le 14 juin 1991, la grève des femmes en Suisse

Les femmes perdent patience et se mettent en grève le 14 juin 1991.
Les femmes perdent patience et se mettent en grève le 14 juin 1991.
Mouvement d'impatience féminine, la grève du 14 juin 1991 s'inscrit dans la longue lutte des Suissesses pour les droits des femmes dans notre pays. Cette mobilisation canalise en effet leurs protestations: elles sont lassées de voir que dix ans après le vote d'un article constitutionnel sur l'égalité entre les hommes et les femmes, "absolument rien" n'a changé dans ce domaine.

La journée historique du 14 juin 1991 figure comme une date clé dans l’agenda féminin pour l’égalité. Vingt ans auparavant, le 7 février 1971 marquait un premier acquis d’importance avec l’obtention de haute lutte du droit de vote et d'éligibilité pour les Suissesses. Devenues des citoyens comme les autres, les femmes helvétiques entreprennent dès lors de tracer le chemin vers une véritable égalité homme femme dans notre pays. 1981 marque un nouveau jalon de ce combat.

Le 14 juin 1981, l'égalité entre dans la Constitution

En 1975, décrétée « Année internationale des femmes » par l’ONU, les associations féminines helvétiques organisent un Congrès des femmes à Berne qui planche sur le thème de « La collaboration dans l’égalité ». Dans la foulée, elles lancent l'initiative «Egalité des droits entre hommes et femmes».

Alors que l'inscription dans la Constitution de ce nouvel article fait l'objet d'une votation populaire, la syndicaliste genevoise Christiane Brunner, figure de proue de la lutte féminine, le défend sur le plateau de Tell Quel.

La LEG
Un article constitutionnel / Tell Quel / 2 min. / le 5 juin 1981

Lors du scrutin du 14 juin 1981, les Helvètes acceptent que soit formulé dans la Constitution:

L’homme et la femme sont égaux en droits. La loi pourvoit à l’égalité en particulier dans les domaines de la famille, de l’instruction et du travail. Les hommes et les femmes ont droit à un salaire égal pour un travail de valeur égale.

Article constitutionnel voté le 14 juin 1981

Pourtant cet article constitutionnel ne suffira pas à faire cesser la discrimination à l'encontre des femmes, dix ans passent sans progrès notables en matière d'égalité.

Le 14 juin 1991, les femmes se mettent en grève

14 juin 1991 : les femmes manifestent leur ras-le-bol. [RTS]
14 juin 1991 : les femmes manifestent leur ras-le-bol. [RTS]

Dix ans d'égalité... sur le papier!

Slogan de la grève des femmes du 14 juin 1991

En 1991, la patience des Suissesses est à bout. L'idée de la grève vient d'une ouvrière de l'horlogerie, Liliane Valceschini, membre du syndicat de la FTMH de la Vallée de Joux. La proposition convainc Christiane Brunner, secrétaire centrale de la FTMH et vice-présidente de l'Union syndicale suisse. Le mot d'ordre est lancé par l'USS qui appelle toutes les femmes du pays à la grève pour revendiquer, haut et fort.

En 1991, les organisations féminines n'hésitent pas à briser un tabou en osant parler de grève et cette action est diversement appréciée. Même parmi les femmes, certaines ne sont pas favorables à ce moyen de pression. Pourtant, réunies sur le plateau de Table ouverte pour en débattre, les intervenantes de différentes sensibilités politiques s'accordent sur un point: les inégalités demeurent criantes et leur catalogue est long.

Les inégalités entre hommes et femmes sont criantes
Les inégalités entre hommes et femmes sont criantes / Table ouverte / 6 min. / le 9 juin 1991

Si à travers le pays, nombre d'hommes manifestent leur incompréhension, au Palais fédéral où se tient alors la session d'été, les avis divergent. Certains parlementaires jugent excessive la grève annoncée, le conseiller national neuchâtelois Claude Frey qualifie même cette action de "bébête"...

Le Neuchâtelois Claude Frey critique la grève des femmes en 1991. [RTS]
A la veille de la grève des femmes, les parlementaires réagissent / Télé Journal / 5 min. / le 13 juin 1991

Sous le slogan "Les femmes bras croisés, le pays perd pied", la vague fuchsia réunit un demi-million de Suissesses qui débrayent ou manifestent joyeusement lors d'une journée historique et émouvante. Cette mobilisation nationale placée sous le signe de l'imagination et de la fête frappera l'opinion publique: le journal télévisé consacre une large place à ce mouvement sans précédent dans notre pays.

La grève des femmes
La grève des femmes / Télé Journal / 3 min. / le 14 juin 1991

L'égalité salariale, le partage des tâches entre homme et femmes, une réelle assurance maternité, des avancées en matière d'AVS et d'assurances sociales figurent notamment au nombre des revendications exprimées dans la rue.

C'était une colère qui encourageait à changer les choses.

Ruth Dreifuss, ex-conseillère fédérale, 2016

14 juin 2011, toujours ras-le-bol, les nanas?

Si la loi fédérale sur l'égalité est entrée en vigueur en 1996, si le congé maternité a pris corps, si la 10e révision de l'assurance vieillesse a apporté des améliorations à la situation des retraitées, le 14 juin 2011, soit exactement 20 ans après cette journée rose, l'émission Infrarouge lance la question "Toujours ras-le-bol, les nanas?"

Sur le plateau entre la féministe Ruth Dreifuss et Suzette Sandoz, libérale peu encline au militantisme féminin, une jeune politicienne née l'année de la grève des femmes dénonce la discrimination fondamentale qui perdure.

Olga Baranova, la jeune socialiste de 20 ans s'engage en politique contre la discrimination envers les femmes. [RTS]
20 ans après la grève des femmes, la discrimination perdure / Infrarouge / 1 min. / le 14 juin 2011

Le 14 juin 2019, la colère féminine gronde

La marée violette et ses slogans coups de poings. [RTS]
La marée violette et ses slogans coups de poings. [RTS]

Les femmes n'attendent pas 2021 pour descendre une nouvelle fois dans la rue. Une marée violette envahit les villes de Suisse le 14 juin 2019. La parité salariale n'est toujours pas réalisée: à travail égal, les rémunérations des hommes et des femmes affichent encore plus de 18% de différence au détriment de ces dernières. Cependant les revendications débordent désormais la sphère du travail et de la politique : le hashtag #Metoo a déferlé sur les réseaux sociaux dénonçant le pouvoir machiste et patriarcal.

L'heure est à la valorisation des tâches domestiques et du travail dans les soins, au partage de la charge mentale au sein de la famille. Mais les femmes exigent surtout la fin du harcèlement sexuel et des violences sexistes, réclament le respect de leur corps, dénoncent l'homophobie et la transphobie, elles revendiquent enfin le droit au plaisir. Les slogans qu'elles affichent lors de cette mobilisation sont souvent sans équivoque.

Grève des femmes 2019
Grève des femmes 2019 / 19h30 / 2 min. / le 14 juin 2019

Quarante ans après l'article constitutionnel sur l'égalité, trente ans après leur première grève, les femmes sont déterminées à transformer notre société et désormais elles tiennent à imprimer aux changements un nouveau rythme: prestissimo!

Marielle Rezzonico pour les archives de la RTS

Publié