Michel Soutter, poète du cinéma et de la télévision
Grand Format Michel Soutter
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RTS
Introduction
Le 2 juin 1932 naissait le cinéaste genevois Michel Soutter. On le connaît aujourd'hui surtout à travers ses films de cinéma. Son oeuvre télévisuelle, aussi variée que foisonnante, mérite qu'on s'y arrête. Ce dossier permettra d'accéder aux intégrales de trois dramatiques et d'un téléfilm créés pour la TSR, présentés pour la plupart dans des versions restaurées. La trajectoire cinématographique de Michel Soutter sera également abordée: interviews, reportages réalisés sur les tournages ou lors de festivals. Voyage en archives dans l'univers d'un artiste inspiré et généreux.
Chapitre 1
Un seul être vous manque
Au lendemain du décès de Michel Soutter, survenu durant la nuit du 9 au 10 septembre 1991, l’émission Spécial cinéma rend hommage au réalisateur suisse. Autour de Christian Defaye, les cinéastes Alain Tanner et Claude Goretta, l’acteur Heinz Bennent, le directeur de la Cinémathèque suisse Freddy Buache et le comédien Pierre Arditi, joint par téléphone. Les visages sont graves, les hommes émus. Michel Soutter était un réalisateur et un homme aimé.
Pierre Arditi a participé à la dernière réalisation de Michel Soutter: le téléfilm Condorcet, dans lesquel il incarne le rôle titre. Marqué par sa rencontre avec le cinéaste, il en parle avec chaleur et admiration.
Heinz Bennent a travaillé deux fois avec Soutter. Dans le film L’amour des femmes, puis dans le téléfilm Rouge Capucine. L’acteur allemand décrit un réalisateur respectueux, attentif à la personnalité des acteurs.
Anciens compagnons du Groupe 5, Alain Tanner et Claude Goretta évoquent leur ami disparu. Alain Tanner raconte leur première rencontre à Paris, à la fin des années 50. Michel Soutter chante alors dans des cabarets. Tanner lui fait partager sa passion pour le cinéma. De son côté, Claude Goretta se souvient des débuts à la télévision de celui qui fut son scénariste et son assistant.
Chapitre 2
Les années cabaret
Né à Genève en 1932, Michel Soutter ne termina pas les études commencées au collège Calvin. Il multiplie les petits boulots, développe son goût pour la poésie, chante ses textes en s’accompagnant à la guitare. En 1953, il publie un premier recueil de poèmes. La même année, une bande de copains fonde à Genève un cabaret, le Moulin à poivre. Aux côtés notamment de l'humoriste Bernard Haller et de la journaliste Catherine Charbon, Michel Soutter participe à la joyeuse aventure en tant qu’auteur-compositeur-interprète. En 1971, à l’occasion d’une émission souvenir, la troupe reconstituée évoque le passé.
Chapitre 3
Cinéma
RTS
Pour les historiens du cinéma, La lune avec les dents, réalisé en 1966, est considéré comme un film fondateur du « nouveau cinéma suisse ». Soutter est en effet un des premiers réalisateurs helvétiques à se lancer dans l’aventure d’un long-métrage quasiment sans moyen. En réussissant son pari, il va, comme il le dit lui-même, ouvrir une brèche.
Le film ne s’est pas fait sans mal, loin s’en faut. Dans une interview réalisée par Rodolphe-Maurice Arlaud en 1967, Soutter évoque les difficultés de ce tournage, mais aussi sa farouche détermination.
Les sacrifices de Michel Soutter ne seront dans un premier temps guère récompensés. Présenté au festival de Locarno en 1967, le film est très mal reçu. Le style singulier du long-métrage, sa forme minimaliste, son personnage principal de révolté, déroutent et heurtent le public. Freddy Buache était aux côtés de Soutter à Locarno. Dans un livre consacré au réalisateur, il se souvient : « L’un après l’autre, puis par rangées entières, les spectatrices et les spectateurs quittèrent la salle sous nos yeux effarés ».
Suivront Haschich, La pomme, James ou pas et enfin Les Arpenteurs. Sélectionné à Cannes en 1972, ce dernier film décrochera la même année le Grand prix du Festival de Dinard. Une reconnaissance bienvenue pour le réalisateur genevois. A Cannes, entouré des comédiens Marie Dubois et Jean-Luc Bideau, Michel Soutter évoque la situation du cinéma suisse en conférence de presse.
Il y a une bizarre attitude dans le public suisse, l’impression qu’on peut faire tout sauf inventer des choses
Poétique, singulier, inclassable. Ces adjectifs reviennent souvent dans la bouche des amis, réalisateurs, critiques, comédiennes et comédiens, pour qualifier le travail du cinéaste. On parle souvent de la « petite musique » de Michel Soutter : un ton, un style qui n’appartiennent qu’à lui.
L’écriture tient une place essentielle dans son œuvre. Soutter aime jouer avec les mots, les faire danser. Dans ses dialogues finement ciselés, la drôlerie et l’humour, parfois grinçant, se brument souvent de mélancolie. Rêveurs ou désabusés, ses personnages sont des êtres intranquilles, sur lesquels le cinéaste porte un regard à la fois vif et empreint de douceur. De cette douceur, il en explique l'importance dans un documentaire que lui consacre Michel Dami en 1985.
Michel Soutter travaille pour la TSR dès 1958. Il écrit des scénarios de films courts et de dramatiques pour Claude Goretta, dont il est l'assistant. Devenu réalisateur en 1964, il adaptera pour la télévision des pièces de théâtre et des textes écrits par d’autres, d'Harold Pinter à Louis Gaulis, en passant par Ramuz, Claudel ou Brecht.
Lui-même écrira et réalisera trois dramatiques: A propos d’Elvire (1965), Les nénuphars (1972), Ce Schubert qui décoiffe (1973). A cette liste, nous ajouterons un téléfilm, Rouge Capucine, diffusé en 1984.
A propos d’Elvire
Réunissant dans un décor de plateau la comédienne Liliane Aubert et les acteurs Gérard Carrat et André Faure, cette dramatique met en scène une femme proche de la quarantaine, appelée tantôt Elvire, tantôt Pénélope, épouse sans enfant d’Emile, un voyageur de commerce toujours sur les routes. Elvire / Pénélope s’ennuie, mesure le temps qui passe et l’usure de son couple tout en flirtant avec Thomas, l’étudiant qui vit en pension chez elle. Alors qu’elle-même s’est absentée, Emile revient et cache d’abord son identité à Thomas, qu’il soupçonne d’être l’amant de sa femme.
Le trio amoureux est souvent présent dans l’œuvre de Soutter. Mais le traitement qu’en donne le cinéaste se détache du traditionnel vaudeville, de par la complexité des sentiments et des attitudes des protagonistes. La lucidité tempère la jalousie, la fantaisie tient en respect le trop-plein d'amertume.
Réalisée en 1972 au Casino-théâtre de Genève, Les nénuphars mêle théâtre, music-hall et commedia dell’arte. Cette partition qualifiée par Freddy Buache de « dadaïste », met en scène Arthur (François Rochaix) et Marcel (Jacques Denis), deux pompiers trompant leur ennui en montant sur scène pour improviser, l’un au clavier, l’autre à la batterie, airs, poèmes et chansons. Arrive Carol (Nicole Zufferey), une comédienne à la recherche de son amant Armand. Accompagnée par les musiciens, elle scande et chante ses étranges amours, puis s’en va. Armand (Jean-Luc Bideau) fait alors son apparition. Il est à la recherche de Carol. Un dialogue fantaisiste s’installe entre les trois personnages, dans lequel il est question d’amour, de comédie et de pique-nique. L’inquiétant Cigare (François Simon) occupe enfin la scène, donnant à la farce une conclusion macabre.
Si je lance mon chapeau, si je fais l’oiseau, c’est pour ne pas mourir tout de suite, c’est pour me maintenir à la surface. Comme un nénuphar sans talent, mais nénuphar tout de même.
La dramatique a pour cadre le décor naturel d'une villa au bord du lac Léman. La diffusion en direct, qui a lieu le 8 juin 1973, est précédée d’une présentation de Maurice Huelin, alors chef du Service dramatique de la TSR. Ce dernier avertit les téléspectateurs : ce qu'ils vont voir est d’un genre nouveau et pourra déconcerter certains. « Cette œuvre n’est peut-être pas destinée à ceux d’entre vous qui aiment les pièces toutes carrées, les pièces à péripéties, les feuilletons à rebondissements. Mais je crois aussi que le talent si particulier, le charme de l’écriture de Michel Soutter, justifient qu’on fasse un tout petit effort, qu’on essaie d’entrer dans le climat particulier de cette œuvre. »
Dans sa villa, Georges Chagrin (François Rochaix), joue du Schubert en attendant les Brocolis, un couple invité à déjeuner. Mais c’est d’abord Albert (Georges Wod), le traiteur à qui il a commandé le repas, qui se présente. Au fil d’un dialogue aussi décousu que cocasse, les deux hommes sympathisent. Albert fait alors venir sa femme Simone (Antoinette Moya), qui l’attendait dans la voiture. Georges convie le couple à déjeuner. Les Brocolis ne sont toujours pas là, ils se contenteront du dessert. Simone fume le cigare, montre qu’elle est la plus forte et séduit Georges sans vergogne. Mais elle et son mari ne sont peut-être pas ceux que l'on croit.
En 1981, Michel Soutter fait la connaissance de l’actrice Capucine. De son vrai nom Germaine Lefevbre, cette Française née en 1928 a connu un certain succès à Hollywood en jouant aux côtés de John Wayne et de Stewart Granger et en tenant un rôle dans la série de La panthère rose de Blake Edwards. Au début des années 60, l’actrice s’installe à Lausanne et tombe peu à peu dans l’oubli.
Touché par ce parcours, Michel Soutter lui exprime le désir d’en faire un film. Capucine accepte l’aventure. Ecrite en collaboration avec le scénariste Armand Deladoey, l’histoire de Capucine passe d’abord par le regard d’un de ses anciens amants, incarné par l’acteur Heinz Bennent. Si la nostalgie et le glamour y ont leur place, le film n’a rien d’une bluette hollywoodienne. La vie de l’actrice Capucine a fait rêver, celle de Germaine Lefevbre a été semée de douleurs et de désillusions. Sous la coupe d’une mère cruelle et abusive, l’actrice a été victime d’un viol à l’âge de 11 ans. Dans Rouge Capucine, Michel Soutter rend compte des différentes facettes de ce destin.
Au cours de sa carrière, Michel Soutter réalisera de nombreux documentaires pour la TSR. Parmi ceux-ci, un film-ovni, réalisé en 1975 : L’éolienne.
L’éolienne
Le cinéaste propose une sorte de documentaire-fiction mettant en scène son propre assistant, Michel Schopfer, dans la préparation d'un film dédié aux éoliennes. On suit ce dernier dans différents moments de son travail : rencontre avec le compositeur mandaté pour la musique du film, repérages dans le canton de Vaud, premiers interviews. Mais très vite le film dévie de sa route, prend la tangente. Ainsi voit-on apparaître un Jean-Luc Bideau étonné, puis amusé par la proposition qu'on lui fait de jouer dans un film "dont le personnage principal sera une éolienne". Plus tard, Michel Schopfer, fatigué par sa quête, écoute les anecdotes de l'épouse d'un peintre ayant côtoyé à Paris Bonnard, Vuillard et Valloton. Si elle tente par moments de se recentrer sur son propos, L'éolienne de Soutter semble soumise à des vents capricieux. Chronique expérimentale et fantasque d'un documentaire qui ne se fera pas, cette oeuvre détonne dans un univers télévisuel habitué à des propositions plus classiques et consensuelles.
En 1965, Michel Soutter et le journaliste Guy Ackermann se rendent à Carrouge, le village vaudois où vit Gustave Roud. Ils nous proposent un portrait intime et touchant du poète et traducteur.
1967: Jean Villard, dit Gilles, ouvre les portes de sa maison de St-Saphorin au réalisateur Michel Soutter. Dans cet extrait, il explique comment il a choisi son nom de scène avant d'égrener quelques notes au piano.
Septembre 1973: le tournage du film L'escapade vient de débuter dans la région genevoise. La journaliste Liliane Roskopf s'invite dans les coulisses du premier film de Soutter tourné en 35 mm avec des moyens jamais connus jusque-là. Le réalisateur se décrit comme un voyageur au début de son périple. On croise Antoinette Moya, qui a figuré dans la distribution de la dramatique Ce Schubert qui décoiffe. On rencontre un nouveau venu dans l'univers de Soutter: Jean-Louis Trintignant, acteur français de premier plan, qui témoigne avec humilité de l'admiration qu'il porte au cinéaste genevois.
Quatre ans plus tard, en 1977, on retrouve Soutter et son équipe à Bex, en plein tournage de Repérages, le septième long-métrage du réalisateur. Le film évoque la rencontre entre un cinéaste (Jean-Louis Trintignant) et un trio d'actrices (Delphine Seyring, Léa Massari et Valérie Mairesse) réunis dans l'hôtel qui sera le cadre d'un futur film, adaptation de la pièce de Tchekov Les trois soeurs. L'émission Spécial cinéma nous offre de ce film un making off avant la lettre.
Chapitre 7
Michel Soutter, encore
Décédé prématurément à l'âge de 59 ans, Michel Soutter a laissé derrière lui une oeuvre reconnue, mais aussi à découvrir et à redécouvrir. Poète du cinéma et de la télévision, il demeure d'une grande modernité. Son inventivité, son regard sur l'humanité, son respect pour les interprètes, ses relations d'allié envers les femmes, qui occupent dans son oeuvre une place de choix, en témoignent. Michel Soutter est toujours parmi nous. Et sa petite musique continue de faire entendre ses sonorités essentielles.