Au début étaient les Faux Frères
Les années 60 voient la création d'un duo qui s'étoffera au fil du temps avec l'arrivée de différents musiciens: le groupe vedette des Faux Frères est appelé à faire preuve d'une belle longévité, jouant ensemble durant près de dix ans.
La complicité musicale des Vaudois Gaston Schaefer et Jean-Pierre Ska (Skawronski) naît sur les bancs d’école. En 1959, ils se produisent lors d’une soirée au collège : leur duo est lancé. Leur premier disque Oh oui sort sous le label Vogue en 1963, apportant le succès aux deux apprentis des Imprimeries réunies de Lausanne, qui choisiront pourtant de terminer leurs formations avant de se consacrer à la chanson.
Je suis Adam, vous êtes Eve et le serpent tient l’abat-jour.
Avec à la composition et à la guitare Jean-Pierre Ska, au micro et également à la guitare, Gaston Schaefer, Les Faux Frères inspirés par leurs idoles The Elderly Brother composent des chansons qui plaisent. Leur concept: interpréter les morceaux en duo vocal. En 1965, Les Faux Frères sortent un nouveau disque, partent à Paris, se lancent en professionnels dans la chanson. Mais contraints de se produire dans les boîtes de nuit et les dancings où ils jouent les tubes des autres, ils rêvent de scène où interpréter leurs propres chansons.
De retour en Suisse, les Faux Frères ont pour projet de sortir un nouvel album. Mais sans argent, comment faire? Réponse de François Vautier, ami de Gaston Schaefer: emprunter aux banques et créer une maison de disques.
Evasion, le tremplin des artistes romands
Aussitôt dit, aussitôt fait: histoire d'amitié et de passion pour la musique, le label Evasion voit le jour, fondé par François Vautier et Gaston Schaefer. La nouvelle maison de disques produit le 45 tours des Faux Frères en 1967 et sans vraiment l'avoir cherché se fait rapidement connaître du petit monde des musiciens romands.
Durant 15 ans, Gaston Schaefer, directeur artistique tient les rênes d'Evasion disques avec François Vautier à la direction administrative. La liste des artistes romands dont ils éditeront les albums est longue: parmi les plus connus on citera Michel Buzzi, Jean-Pierre Huser, Henri Dès, Pascal Auberson, Pierre Chastellain, Léon Francioli, Sarclon, Yvette Théraulaz...
Grâce à l’extraordinaire liberté d’esprit des propriétaires du label, qui relevait peut-être de l’inconscience, les enregistrements bizarres, les tentatives biscornues ont abondé dans ce label.
Le tube
Extraordinaire coup de chance pour Evasion en 1970 : en se faisant un peu tirer l'oreille, la maison de disques accepte de produire Concerto pour un été du compositeur genevois Alain Morisod. Contre toute attente, ce morceau instrumental deviendra Disque d'or en France, en Suisse et au Brésil! Ce formidable succès marque l'apogée d'Evasion. Il signera également les prémices de son déclin. En 1994 dans un reportage de Tell Quel consacré à l'aventure de la maison de disques, Morisod raconte.
Les difficultés
La chanson romande a beau célébrer sa fête à Vidy en 1979, derrière l'affiche, vivre de leur art reste difficile pour les artistes du terroir. Dans l'émission Sur un plateau consacrée au marasme de la variété dans notre coin de pays: Michel Bühler et Yvette Théraulaz témoignent. Un album qui marche en Suisse est vendu à quelque 3000 ou 4000 exemplaires: pas de quoi gagner sa vie. La belle époque se termine également pour le label Evasion, la maison n'a plus les moyens de produire les disques, elle se contente de leur distribution et de leur promotion.
Si réaliser un disque rentable tient de la gageure totale en 1989, à qui donc la faute? François Vautier qui maintient à flots tant bien que mal sa maison de disques répond, un peu désabusé semble-t-il, dans l'émission radiophonique Parole de Première.
Alors que la chanson romande des années 80 et 90 ne trouve pas un débouché suffisant dans le petit marché helvétique et peine à dépasser les frontières de la Suisse, la maison de disques Evasion, rattrapée par les chiffres, se voit confrontée de manière inéluctable à la réalité économique.
Son administrateur François Vautier, un rêveur un peu brouillon selon son ami le musicien Léon Francioli, n'a plus les moyens de s'entêter, il doit fermer son agenda, faire ses cartons et mettre la clé sous le paillasson. Non sans une certaine tristesse...
Joué, perdu!
Le label Evasion annonce sa faillite en 1994.
Ce sont 25 ans de métier et de rencontres qui s'achèvent pour François Vautier et pour les artistes romands cela sonne la fin d'une aventure hors du commun.
Marielle Rezzonico pour les archives de la RTS