Opération "Les enfants de la Grand-route"
En 1926, la fondation Pro Juventute crée l’œuvre d’entraide "Les Enfants de la Grand-route". Elle est chargée de retirer les enfants des gens du voyage à leur famille et de les placer dans des foyers ou des familles d’accueil. L’objectif est de les éduquer pour en faire des «membres utiles» de la société. L’Etat et la fondation considèrent alors que ce n’est pas possible dans l’environnement yéniche. Par conséquent, l’autorité parentale peut être retirée en application de la loi civile.
Ces chaudronniers, ces mendiants et pire constituent une tache sombre dans notre pays, si fier de son ordre culturel. Nous pensons qu’il faut combattre le mal du vagabondage à la racine.
Jusque dans les années 1970, bon nombre de spécialistes, de membres des autorités et de journalistes soutiennent la pratique discriminatoire de Pro Juventute. Ils considèrent que les enfants de parents yéniches sont non seulement mis en danger par leur famille, mais également qu’ils représentent eux-mêmes un danger pour la société. Les idées racistes, soutenues et diffusées par le monde scientifique, ont joué un rôle crucial: dans ces milieux, les Yéniches sont considérées comme des personnes inférieures.
A 5 ans, plus personne n'avait d'espoir que je devienne quelqu'un de bien.
Enlèvement, abus et souffrance
L’injustice commence avec la séparation des enfants de leurs parents biologiques, qui se retrouvent brutalement coupés de leur famille et de leur environnement culturel. Elle se poursuit avec l’absence de protection contre les abus, l'exploitation et la violence de la part des tuteurs responsables. La violence physique, psychique et sexuelle souvent subie par la suite dans les foyers et les familles d’accueil a des conséquences graves et durables sur la vie des victimes. Ces dernières sont non seulement profondément atteintes dans leur intégrité, mais elles ont parfois aussi des difficultés financières. En effet, bon nombre de ces enfants n’ont pas pu eu la possibilité de suivre une formation scolaire ou professionnelle.
L'éclatement du scandale
Les enlèvements d’enfants organisés par Pro Juventute ont été révélés par le magazine suisse «Beobachter». D’autres révélations ont suivi, dévoilant la souffrance des familles et des enfants. Finalement, les protestations des organisations et personnes yéniches ainsi que les articles dans les médias ont conduit à la dissolution de l’œuvre d’entraide «Les Enfants de la Grand-route» en 1973. Le travail de recherche et de réparation demandé a bénéficié d’un large soutien politique et institutionnel. La lutte des Yéniches pour la reconnaissance de l’injustice et de la souffrance subies a néanmoins été longue et difficile. Il a fallu attendre un changement de génération au sein de Pro Juventute pour que la fondation soutienne sans réserve le travail de réexamen initié par le Parlement fédéral.
Quelques semaines après les excuses publiques de la Confédération, ce reportage du Télé Journal du 11 juillet 1986 revient sur le scandale des enfants enlevés à la communauté yéniche de Suisse.
Depuis, Pro Juventute s’est excusée à plusieurs reprises auprès des victimes. L'organisation s’est engagée pour la réparation de l’injustice commise et a soutenu les efforts faits en ce sens. Le Parlement suisse a quant à lui finalement accordé 11 millions de francs aux victimes.
La Suisse et les communauté tsiganes
Au-delà du scandale de l'opération "Les Enfants de la Grand-route", la communauté yéniche, et les communautés tsiganes en général, sont encore persona non grata en Suisse. Chaque année, elles se voient reléguées sur des aires insalubres en guise de zones de stationnement, quand elles n'ont sont pas chassées. Les gens du voyage peinent encore et toujours à faire reconnaître leur mode de vie.
On a oublié qu'il y a un peuple qui devrait aussi avoir une place pour survivre, on a oublié les gens du voyage.
Salomé Breguet pour Les archives de la RTS