Pierre Koralnik est l'un des grands réalisateurs que la Télévision suisse romande (TSR) a compté dans ses rangs. Riche et variée, sa filmographie s’étend du documentaire au film de cinéma et aborde des thématiques sensibles avec humanité. Une sélection des oeuvres de Pierre Koralnik est visible sur grand écran à l'occasion d'une rétrospective organisée conjointement par la Cinémathèque suisse, le Geneva International Film Festival (GIFF), la RTS, en partenariat avec l'INA. Ce Grand format met particulièrement en valeur les réalisations produites pour la TSR, et que l'actuelle RTS préserve dans ses archives. En mai 2024, Pierre Koralnik nous a accordé un long entretien. Un témoignage de première main, qui éclaire la vie personnelle et le parcours professionnel d'un réalisateur à redécouvrir.
Chapitre 1
Une oeuvre riche et sensible
L'œuvre du réalisateur suisse Pierre Koralnik se distingue par sa richesse, tant dans les sujets abordés que dans les formats audiovisuels employés.
Retrouvez le programme de la rétrospective Pierre Koralnik au GIFF et à la Cinémathèque suisse.
De la télévision au cinéma, en passant par des incursions au théâtre, Pierre Koralnik traverse les genres. Sa carrière - bilingue - se décline dans plusieurs pays européens. Si certains réalisateurs établissent une frontière entre leurs productions télévisuelles et cinématographiques, Pierre Koralnik n'est pas ce ceux-là : la télévision, dit-il, lui a donné un espace de liberté et permis des expérimentations qui auraient été impossibles au cinéma à l'époque. Les délais et budgets serrés en tv étaient aussi compensés par la confiance mise en ses compétences par les producteurs et la qualité de la collaboration avec des professionnels passionnés, regroupés en véritables équipes.
Pierre Koralnik a travaillé durant 2 périodes pour la TSR. D’abord de 1961 à 1965, puis de 1975 jusqu’aux années 1990. Entre ces 2 moments, il a été surtout actif en France, notamment au sein de la télévision publique, l'ORTF.
Une sélection de réalisations de Pierre Koralnik est déjà accessible sur Play RTSarchives.
Chapitre 2
Les débuts
RTS
Né le 25 décembre 1937 à Paris, Pierre Koralnik est issu d’une famille juive ukrainienne originaire d’Ouman. Fuyant les pogroms de la guerre civile russe, ses parents se sont installés à Varsovie, puis à Berlin, où son père dirige une organisation active dans la formation professionnelle. Avec l’arrivée des nazis en 1933, la famille trouve refuge à Paris, puis dans la zone libre, après l'armistice de 1940. Suite à une rafle de la police française de Vichy, sa mère et lui sont détenus au camp de déportation des Milles. Son père réussit à les faire libérer, puis la famille passe la frontière à Genève pour se réfugier en Suisse, où ils sont accueillis dans des camps.
Des errances forcées de sa famille juive, Pierre Koralnik confie avoir gardé une sensibilité particulière pour tous les exilé.e.s de ce monde, et pour l'histoire des Juifs d'Europe au 20e siècle.
Pierre Koralnik grandit et fait ses classes à Genève. Il développe une passion pour le cinéma et part alors à Paris pour se former à l'Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC). A sa sortie, il travaille dans la publicité et fait ses premières armes au cinéma avec le réalisateur Robert Enrico.
Engagement à la Télévision suisse romande
A la suite d'une mission pour la télévision alémanique, Pierre Koralnik est repéré et engagé en 1961 à la Télévision suisse romande par le journaliste et producteur Alexandre Burger. La jeune TSR a besoin de nouveaux réalisateurs pour étoffer ses programmes.
Dès le début de sa carrière, Pierre Koralnik pratique la technique dite du "cinéma direct", un genre documentaire qui a émergé à la fin des années 1950 et qui vise à refléter la réalité sans interférence. Tout en affirmant son propre style de réalisation, ses reportages s'inspireront de cette approche, où l'on suit les protagonistes et les événements sans commentaire, par immersion et touches successives.
Il s'oriente en priorité vers les magazines d'information : il coproduit Le point avec le journaliste Jean Dumur et le réalisateur Pierre Barde. Il réalise également de nombreux sujets pour Continents sans Visa, l'émission-phare d'actualité et de reportages de la TSR.
Des hommes en colère
En 1963, les mines de charbon en Lorraine connaissent de grandes difficultés économiques, et les mineurs réagissent à la dégradation de leurs conditions de travail.
Les dossiers de la honte
20 ans après la fin de la 2e guerre mondiale, un médecin natif de Würzburg dénonce la présence d'anciens dignitaires nazis dans les institutions de l'Etat allemand.
Chapitre 3
Prendre sa liberté
Rapidement, Pierre Koralnik n'hésite pas à s'émanciper quand un sujet le captive. Il ose aussi des formats différents de ce qui se pratique dans le jeune paysage télévisuel. "L'étranger dans le village" et "Francis Bacon, peintre anglais" demeurent des références pour les portraits d’artistes.
Baldwin : la parole donnée à l'écrivain
En 1962, Pierre Koralnik propose à l’écrivain noir américain James Baldwin de revivre devant la caméra la rencontre qu’il avait faite 11 ans plus tôt avec les habitants de Loèche, un village valaisan encore isolé à l'époque. Le séjour de 1951 avait donné naissance à "Un étranger au village", texte où l’auteur explorait les divers visages du racisme. A Loèche, presque rien n’a changé depuis les années 50 : les villageois réagissent à la présence de Baldwin de la même manière. De ce choc culturel, naît un documentaire à la fois spontané et formellement très élaboré. Le caméraman accompagnant Koralnik est Roger Bimpage, l’un des grands caméramans actifs dès les débuts de la TSR.
Bacon : la désobéissance par fascination pour un artiste
En 1964, Pierre Koralnik est envoyé à Londres pour réaliser un reportage sur les problèmes économiques britanniques pour Continents sans visa. Il ne fera jamais ce reportage mais reviendra avec le portrait du peintre Francis Bacon. Sans en informer ses producteurs, le réalisateur décide en effet de changer de sujet, car les œuvres de Bacon vues lors d’une exposition à Zurich lui "imposent" cette rencontre. Pierre Koralnik sait qu'il n'aura que peu de temps pour parler avec le peintre, réticent à accueillir une équipe de télévision. Il fait donc préparer à l'avance les bobines de pellicule, pour ne rien interrompre durant le tournage. L'équipe restreinte se retrouve dans l'atelier de Bacon déjà ivre, entouré de ses fidèles, qui découragent l'artiste à se confier. Mais Francis Bacon se prend au jeu de l'interview, répondant aux questions improvisées du journaliste économiste Emile de Harven. Pierre Koralnik revient à Genève avec un portrait saisissant -et tournoyant- de l’artiste, l’un des rares existants. Les producteurs de Continents sans visa ne se sont visiblement pas trop formalisés de cet acte de désobéissance, puisqu’ils acceptent de diffuser le reportage, le qualifiant avec finesse (ou prudence) de « différent ».
Toujours en "contrebande", Pierre Koralnik fait passer un reportage sur le cinéma d'épouvante dans la très sérieuse émission Continents sans visa : en 1964, il va filmer dans les studios britanniques de la Hammer et nous fait découvrir les effets spéciaux développés à l'époque. Il réussit à interviewer les acteurs Boris Karloff et Christopher Lee, qui parle un français parfait.
En 1965, Pierre Koralnik suit à Londres la star montante de la chanson française, Françoise Hardy, accompagnée de son compagnon, le photographe Jean-Marie Périer. La caméra capte les réactions de la très jeune femme, du doute à la joie, dans la capitale britannique, où elle prépare des concerts, ainsi que des enregistrements studio de ses chansons en version anglaise.
Chapitre 4
"Le hasard et les accidents du hasard" : la variété
S'il y a un domaine que Pierre Koralnik n'imaginait pas aborder, c'est bien la variété. Et pourtant, à la faveur d'un hasard, il s'y trouvera plongé et sa carrière connaîtra un tournant de taille dès le milieu des années 1960.
Happy End
En 1964, le réalisateur Jean-Louis Roy propose à la TSR le scénario de "Happy End" pour représenter la Suisse au Festival de la Rose d’Or de Montreux. Mais Roy tombe malade au début du tournage et Pierre Koralnik, son ami proche, le remplace au pied levé, puis termine le film avec Françoise Gentet, une monteuse avec qui il collaborera à plusieurs reprises. « Happy End » gagne la Rose d’Or de Montreux 1964, une compétition incontournable pour toutes les télévisions à cette époque. Cette distinction fera connaître Pierre Koralnik dans le monde des variétés.
Michèle Arnaud : rencontre avec une productrice "intelligente et puissante"
Grâce à "Happy end", Pierre Koralnik est repéré par Michèle Arnaud, productrice française de divertissements à l'ORTF. Sa première collaboration avec Arnaud est "Ni figue, ni raisin" (1965), un format également destiné au Festival de la Rose d’Or de Montreux. Le film alterne sketches et chansons interprétés par des artistes français, dont Pierre Richard et Marie Dubois.
Fin 1965, Pierre Koralnik quitte la TSR. Une nouvelle étape de sa carrière démarre, entre variétés et fictions de télévision pour l'ORTF, le théâtre et les films de cinéma.
Chapitre 5
Un horizon qui s'élargit
INA - Norbert Perrau
Des fictions de prestige
3 fictions de télévision produites par l'ORTF marqueront les esprits par leur audace :
Anna (1967), comédie musicale pop et exubérante, présente en rôles titres Anna Karina et Jean-Claude Brialy. La jeune comédienne y interprète "Sous le soleil exactement", sa chanson la plus populaire. Serge Gainsbourg compose les parties musicales et joue un petit rôle. Michèle Arnaud, qui est aux commandes de cette production, est à l'origine de la rencontre entre Koralnik et le chanteur.
Salomé (1969) marque la première collaboration avec la comédienne et danseuse Ludmilla Tcherina. Impressionnée par "Anna", cette dernière demande à Pierre Koralnik de réaliser une adaptation de la nouvelle d'Oscar Wilde. Le réalisateur souhaite une interprétation dans le style "art nouveau", fidèle aux illustrations originales de l'édition de Wilde. Il choisit donc soigneusement des décors naturels appropriés, comme le parc Guell à Barcelone et les alentours désertiques de Nîmes. Tout dans "Salomé" signe l'époque : le ballet chorégraphié par Maurice Béjart sur une musique de Jean Prodomidès, avec le moment fort de la danse des sept voiles, ainsi que les costumes extravagants de Germinal Cassado.
Ludmilla Tcherina recontacte Pierre Koralnik pour démarrer une fiction autour de la Reine de Saba (1974), sur une idée du journaliste Henri Chappier. Koralnik demande à l'écrivain français Maurice Clavel d'écrire le scénario de ce drame biblique, qui se révèle dense. Le tournage en Iran, raconte-t-il, est une aventure éprouvante, menée quelques années avant la révolution islamique. Durant les 10 mois de tournage, les défis logistiques et culturels ne manquent pas. L'équipe locale de techniciens refuse par exemple de prendre ses ordres des assistantes femmes iraniennes, et Koralnik doit jouer sans cesse les intermédiaires.
Mon ami Serge
A l'occasion de leur collaboration sur "Anna", Pierre Koralnik se liera d'amitié avec Serge Gainsbourg. A Paris, Koralnik et sa famille accueilleront même le musicien pendant quelques mois, après une rupture amoureuse tumultueuse. De cette amitié avec le musicien naît le film “Cannabis” (1970), basé sur le roman “Et puis s’en vont…” de F. S. Gilbert. Le film met en vedette Serge Gainsbourg, Jane Birkin et Curd Jürgens, avec une musique composée par Gainsbourg. S'il connaît le succès en Allemagne, le film peine à trouver son public en France.
Après quelques années, les liens avec Serge Gainsbourg se déliteront. Pierre Koralnik avoue qu'il supportera mal la transformation de son ami en "Gainsbarre". En février 2001, à l'occasion du 10e anniversaire de la mort du chanteur, il est invité sur le plateau de Faxculture.
La chasse au diable
Côté cinéma encore, Pierre Koralnik tourne en 1972 "La chasse au diable", film franco-suisse avec Michel Bouquet et Ingrid Thulin en tête d'affiche. Ecrit par Koralnik et Frantz-André Burguet, le scénario, qui s'inspire de faits réels survenus en Suisse alémanique à la fin des années 1960, traite du fanatisme religieux à travers l’histoire d’une jeune fille martyrisée et battue à mort lors de séances d’exorcisme au sein d’une secte fondamentaliste chrétienne.
Incursion au théâtre
Dès les années 1970, Pierre Koralnik se lance sporadiquement dans la mise en scène de théâtre. En 1979, il monte à la Comédie de Genève "Le mariage de Monsieur Mississippi" de Friedrich Dürrenmatt, dans une traduction-adaptation de Walter Weideli. Sur scène, on retrouve les comédiens Michel Cassagne, Gérard Carrat et Ursula Kubler, dans un dispositif scénique assez acrobatique.
Chapitre 6
Retour à la Télévision suisse romande
RTS
Dès 1975, Pierre Koralnik retravaille régulièrement à la TSR sur mandat régulier. Jusqu'aux années 1990, il réalisera plusieurs fictions ambitieuses et novatrices.
En 1977, il collabore avec la comédienne Eléonore Hirt, dans un téléfilm traitant du suicide inexpliqué de personnes apparemment sans grands problèmes. "Moi … exilée" est une œuvre exigeante de par sa thématique, son rythme lent et certaines scènes choquantes. Lors du tournage, Pierre Koralnik n'a pas de scénario fixe, offrant ainsi à Eléonore Hirt la liberté de donner vie à ce personnage de femme à la dérive, comme "flottante", cherchant l’émancipation sans parvenir à s’exprimer.
Rumeur
En 1978, Koralnik tourne à Bienne "Rumeur", portrait grinçant d’une petite ville suisse en proie à la crise économique. Signé par l’écrivain suisse Walter Weideli, le scénario se distingue par sa causticité et sa critique de l’hypocrisie d’une Suisse bouleversée par les changements sociaux. A nouveau, Koralnik aborde des thématiques difficiles, comme les abus sexuels sur les enfants, la collusion entre les pouvoirs, la corruption. L’atmosphère étouffante du téléfilm est soutenue par la musique obsédante d’Arié Dzierlatka, compositeur suisse, qui a notamment travaillé pour Alain Resnais, Claude Goretta et Michel Soutter.
La Passion d'Adolf Woelfli
Pierre Koralnik le dit lui-même : avec cette fiction en forme de biographie rêvée, il fait sortir le peintre bernois autodidacte de son asile où, dans la réalité, celui-ci a été enfermé une grande partie de sa vie pour des viols sur mineures. Captivé par l’inventivité des dessins de Woelfli en regard de son internement, Pierre Koralnik s’en inspire pour créer le scénario, tandis que le comédien Roger Jendly s’appuie sur les écrits laissés par l'artiste pour son interprétation laissée libre. A sa diffusion début 1984, cette fiction exigeante n’est pas bien reçue par les spécialistes de cette figure de l’art brut, qui n’acceptent pas la dimension « rêvée » de cette biographie.
Le Rapt, une adaptation de Ramuz
En 1984, encouragé par le producteur Raymond Vouillamoz, Pierre Koralnik adapte avec le scénariste Jacques Probst « La séparation des races », un roman écrit par Charles Ferdinand Ramuz. L’équipe choisit avec soin le village valaisan isolé de Visperterminen, pour son esthétique et son atmosphère authentique, afin de recréer le plus fidèlement possible la dualité entre deux vallées imaginée par Ramuz. "Le Rapt" dont le tournage dure 20 jours, met en vedette les acteurs Heinz Bennent, Teco Celio, Daniela Silverio et surtout le Français Pierre Clémenti, dont la sincérité est bouleversante mais dont les errances ont parfois compliqué la production.
Le Prince Barbare
C'est une des rares fictions d’époques antiques en costumes produite par la TSR. En 1988, Pierre Koralnik utilise l’expérience acquise lors des tournages de la « Reine de Saba » et de « Salomé » pour préparer ce film au budget très serré. Il motive l’équipe de tournage TSR qui s’enthousiasme avec lui pour trouver des décors naturels (dans le canton de Schwyz) et recréer une esthétique pouvant correspondre au 5e siècle après JC, et ceci malgré les difficultés rencontrées : météo changeante, animaux capricieux, délais courts … « Le Prince Barbare » fait partie d’une série télévisuelle intitulée « Civilisations » : les scénarios ont été écrits par le célèbre auteur français Gérard Brach (La Guerre du Feu, L'Ours, Jean de Florette, etc.) , mais au final seuls quelques épisodes de la série ont été tournés.
En 1988, Pierre Koralnik et Gérard Brach sont sur le plateau de "Spécial cinéma" pour présenter "Le Prince barbare".
Quartier nègre
En 1990, la TSR confie à Pierre Koralnik la réalisation d'une production de télévision prestigieuse, « Quartier Nègre », adaptation du roman de Georges Simenon. Le choix du pays de tournage se porte sur Cuba, malgré les contraintes propres à ce pays communiste. Des incidents confinant à l’absurde émaillent ainsi le tournage. Le scénario prévoyait une scène dans un bidonville, qui avait été identifié : mais il a fallu construire un décor, car officiellement, de tels lieux n’existaient pas dans le pays. A un autre moment du tournage où l’on préparait une scène à gros dispositif, des dizaines de figurants en costumes traditionnels ont été réquisitionnés par les autorités cubaines, sans que personne n’en soit informé : tout ceci pour que les figurants bien habillés de « Quartier nègre » forment une haie d’honneur convenable pour un politicien étranger en visite. Pierre Koralnik choisit pour cette fiction à l'atmosphère coloniale étrange les comédiens Tom Novembre et Fabienne Babe dans les rôles principaux, ainsi que la jeune comédienne cubaine repérée sur place, Ibis Hernandez, qui avait la particularité de souffrir de surdité.
Dans les années 1990, Pierre Koralnik tourne plusieurs téléfilms en coproduction, certains faisant partie de séries à succès, notamment Nestor Burma (Retour au Bercail, 1993) et l'Instit (Le réveil, 1999).
Une de ces dernières grandes réalisations de cinéma, en 2002, est "Le dernier refuge" (Das Letzte Versteck), tiré d'un roman autobiographique de l'écrivaine de langue polonaise Ida Fink. Le film narre l'histoire de deux jeunes filles juives au destin extraordinaire (interprétée par les comédiennes polonaises Johanna Wokalek et Agnieszka Piwowarska) : afin d'échapper à la déportation, ces dernières se font passer pour des travailleuses polonaises en pleine Allemagne nazie. Le film combine des thématiques qui ont traversé l'œuvre de Pierre Koralnik : la parole personnelle, la vie de femmes, l'exil - ici intérieur -, et l'histoire des juifs d'Europe.
Chapitre 7
Et toujours pour la télévision
Dès son retour à la TSR en 1975, Pierre Koralnik réalise également des portraits d'artistes ainsi que des reportages pour des émissions comme Temps présent.
Des reportages, ailleurs et en Suisse
"Les vrais maîtres de Dallas" en 1983 présentent une galerie fascinante d’hommes et de femmes d’affaires texans. A cette époque, la série américaine à succès “Dallas” met en avant JR Ewing, le grand méchant interprété par Larry Hagman, qui projette une image unilatérale de ces magnats américains. Pierre Koralnik, accompagné du journaliste Philippe Mottaz, déconstruit cette vision réductrice en révélant les traits particuliers de chaque personne, souvent contradictoires et extravagants. Cette extravagance est paradoxalement accentuée par les valeurs conservatrices et capitalistes du sud des États-Unis, où le dogme du “rêve américain” prédomine.
Les saisonniers
En 1980, la question du statut des saisonniers divise en Suisse. Pierre Koralnik parvient à éviter le débat polémique, en adoptant une vision humaine d'un travail peu valorisé. Souvent dégradantes, les conditions de vie sont compensées par un salaire intéressant. Koralnik aborde également le rêve d’une vie meilleure lors du retour au pays, un rêve qui se heurte à la réalité d’une réadaptation dans une société d’origine. La parole est aussi laissée aux compagnes des saisonniers, qui vivent également ce déchirement intérieur, des voix qui à cette époque sont peu écoutées.
La Suisse miniature
Dans "Les gens de la Scheulte" (1986), Pierre Koralnik nous tend un miroir de la Suisse, à travers ce documentaire explorant les relations entre les habitants de ce petit village isolé dans le canton de Berne. Entouré d'un paysage naturel magnifique et calme, la communauté rurale de 150 âmes est parcourue de tensions entre jeunes et vieux, Suisses alémaniques et Suisses romands, les tenants de la tradition et ceux des nouvelles pratiques. Se dégage de ce portrait une impression étrange, faite de cohérences et de contradictions, à l'image d'une Suisse en miniature.
Etre Russe aux USA
"Les Russes à New York" retrace en 1981 le parcours des Juifs ayant quitté les républiques communistes de l'URSS pour s'installer aux USA, une terre qu'ils rêvent plus accueillante et moins antisémite. Cependant l'adaptation est exigeante : il faut s'habituer à une nouvelle langue, à une ambiance capitaliste, à un environnement où le métier d'origine n'est pas reconnu, et aussi une autre façon de vivre la judéité.
Les fantômes de l'Autriche
Les forces divergentes parcourant une communauté nationale sont montrées de façon plus directe lors du documentaire "La valse de l'oubli" : Pierre Koralnik parcourt l'Autriche de 1986 et explore diverses perspectives personnelles, allant des descendants des Habsbourg au paysan contraint de travailler à l’usine pour subsister. En fait, le réalisateur s'intéresse à ce pays, après l'élection de Kurt Waldheim, un président controversé à cause de son rôle dans la Wehrmacht lors de la seconde guerre mondiale. Loin des clichés, le film montre que certains habitants considèrent la période nazie avec une nostalgie bienveillante : la séquence finale montre la commémoration choquante en présence des anciens dignitaires nazis, accompagnés du jeune politicien d'extrême droite Joerg Haider. Après la diffusion, l'ambassade autrichienne, ainsi que certains téléspectateurs, proteste auprès de la production de Temps présent : l'image de l'Autriche documentée par Koralnik ne plaît pas.
Les artistes, toujours
J'ai choisi des artistes qui pouvaient communiquer et qui avaient un certain sens dramatique en eux
En 1980, Pierre Koralnik convainc la production de l'émission culturelle "Clés du Regard", de réaliser un portrait de l’artiste américaine Louise Nevelson, encore peu connue en Europe. Installée à New York depuis 60 ans, la sculptrice retourne dans sa ville natale de Rockland et rencontre les visiteurs de ses œuvres monumentales. Elle partage les moments clés de son parcours, à la manière d'un "collage". Koralnik laisse l'artiste s'exprimer avec sa propre voix, et se tient en retrait utilisant un montage sonore subtil pour la traduction.
Le dernier documentaire
Quinze ans plus tard, en 1994, Pierre Koralnik réalise son ultime documentaire pour la TSR. Ce n’est pas un hasard s’il est mandaté pour faire un portrait d’artistes, un domaine où il a toujours brillé. Intitulé "L’œil d’Andrée Putman", ce film met en lumière la célèbre designer française qui se raconte tout en étant suivie par la caméra dans les lieux qu’elle a marqués de son empreinte.