Le Mirage III

Présentation de l'avion Mirage III en 1964. [RTS]
  • Aviation
  • Vidéo 18 min.

2 mai 1964

Carrefour

Le samedi 2 mai 1964, l’émission télévisée Carrefour nous présente le nouveau Mirage 3 S, premier avion supersonique de l’armée suisse. C’est une avant-première, car la présentation officielle de l’appareil doit avoir lieu deux jours plus tard à la base aérienne d’Emmen, dans le canton de Lucerne. Pour l’occasion, le journaliste Alexandre Burger s’est rendu sur place, pour permettre aux téléspectateurs romands de découvrir le nouveau joyau de l’aviation militaire suisse. Le Mirage est un avion français, produit par le constructeur Dassault. La Suisse l’a acheté sous licence, ce qui veut dire que l’appareil sera construit en Suisse. En compagnie du lieutenant-colonel Moll, responsable de la formation des pilotes, Alexandre Burger fait l'inventaire des performances de l'appareil : une distance réduite au décollage et à l’atterrissage, une accélération à mac2, c’est-à-dire une vitesse de 2200 km/heure.L'appareil est parfaitement adapté aux spécificités géographiques de la Suisse et technologiquement à la pointe du progrès.

A aucun moment dans le reportage, on n’évoque le coût de cet appareil. Le scandale éclate le 4 mai 1964 : alors qu'à Emmen la presse découvre le nouvel avion de combat,  à Berne, le Conseil fédéral publie un message destiné au au Parlement, dans lequel il lui demande un crédit additionnel. Depuis un certain temps, on savait que le budget initial de 871 millions de francs, voté en 1961, allait être dépassé. Mais les sommes figurant dans le message dépassent toutes les prévisions. Elles sont même vertigineuses. Le Conseil fédéral réclame en effet une rallonge de 576 millions de francs. C'est le début de l'affaire des Mirages.

Le 21 juin 1961 l'Assemblée fédérale a accepté un crédit de 871 millions de francs pour l'acquisition de cent avions de combat Mirages III S auprès de la firme Dassault. En 1964, ce montant est depuis longtemps dépassé.

Le 4 mai 1964, le Conseil fédéral demande au Parlement de voter un crédit additionnel de 356 millions de francs, assorti de 220 millions de francs pour le renchérissement. C'est un coup de tonnerre dans l'opinion publique: le Parlement n'a pas été tenu informé des coûts supplémentaires engendrés par la construction des Mirages sous licence en Suisse et par diverses adaptations exigées par l'armée suisse. S'ensuivra le 17 juin 1964 la création de la première commission d'enquête parlementaire de l'histoire de la Suisse, présidée par Kurt Furgler alors conseiller national. A l'automne, la commission dépose un rapport accablant pour le gouvernement. Le Département militaire fédéral est accusé de tromperie, les informations fournies pour faire voter le crédit au parlement étaient lacunaires. Le 23 septembre 1964, le Parlement décide de réduire la commande à 57 avions de chasse. Les têtes tombent au Département militaire fédéral et le conseiller fédéral Paul Chaudet lui-même, appelé à la démission, renoncera à un nouveau mandat en 1966.

Cette affaire, l'un des plus grands scandales politiques de la Suisse du 20e siècle, remet en cause la politique de défense adoptée en 1961 et suscite des réflexions sur le fonctionnement du Conseil fédéral dépassé par sa tâche.