Le Dr Jacques Meylan

Le Dr Jacques Meylan évoque son travail au planning familial en 1965. [RTS]
  • Médecine
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16 décembre 1965

Continents sans visa


Dans les années 60, le gynécologue Jacques Meylan a travaillé au centre de planning familial de Genève après avoir accompli plusieurs missions à l'étranger, notamment en Tunisie et en Iran, où de nouvelles politiques de contrôle de naissance étaient mises en place.

Dans cet extrait du reportage de Continents sans visa consacré au planning familial, on le voit recevoir une patiente. Il parle ensuite de l'efficacité des nouveaux moyens de contraception comme la pilule. Nous avons reçu récemment le Dr Meylan aux archives de la TSR où il a eu l'occasion de revoir ce document.


Quel regard portez-vous sur ce Continents sans visa réalisé par Jean-Jacques Lagrange et Jean-Pierre Goretta?


Je trouve que nous avons tous eu pas mal d'audace! Je ne dirais pas qu'en 1965 la question de la contraception était taboue, mais c'était un sujet osé. L'écart entre les mentalités des années 60 et aujourd'hui me semble invraisemblable; 1965, ce n'est pourtant pas si vieux… A l'époque, nous marchions sur la pointe des pieds. Il faut se souvenir qu'en France le débat sur la contraception et sur l'avortement a été aussi passionné que celui sur la peine de mort. Il a fallu beaucoup de courage pour faire avancer les mentalités, je pense notamment à Simone Veil.


Vous avez pratiqué en France, mais aussi à New York, en Afrique du Nord et en Iran.


J'avais été interne à l'hôpital Hôtel-Dieu, à Paris. Je travaillais comme assistant. Nous recevions des femmes qui avaient avorté clandestinement. Certaines étaient dans des états terribles. Nous étions appelés de jour et de nuit pour soigner des patientes dont l'avortement avait parfois été fait une semaine plus tôt. Il fallait soigner les abcès. Certaines étaient tellement inconscientes, quasi comateuses, que nous n'avions pas besoin de pratiquer une anesthésie locale!

Ce qui me bouleversait, c'était de retrouver, à la sortie de la salle d'opération, le mari avec deux, trois enfants à la main. Ces femmes n'étaient pas des jeunes filles qui avaient «fauté», mais des mères de famille qui ne pouvaient supporter une grossesse de plus et qui se faisaient avorter clandestinement. C'était absolument bouleversant.


Comment réagissait le corps médical à l'arrivée du planning familial?


Il y eut des résistances de type moral, surtout de la part de médecins catholiques. Quand je travaillais à la maternité de Genève, nous faisions des tournus, le matin, pour pratiquer des avortements de Suissesses mais aussi de femmes étrangères qui venaient en Suisse pour cela. Parmi mes collègues, un gynécologue avait demandé à son curé une dispense pour pouvoir pratiquer. Il faisait des avortements à contre-cœur, mais il ne voulait pas nous laisser seuls faire «le sale boulot». Quand il s'est mis à son compte, il a arrêté les avortements.

Quand je suis rentré des Etats-Unis, le centre de planning familial existait déjà à Genève. J'avais fait une série de missions financées par la Rockefeller Fondation et la Ford Fondation à New York, mais aussi au Maroc, en Tunisie et en Iran. A Harlem, j'aidais les médecins noirs à mettre des stérilets, car là-bas aussi, de nombreuses familles ne pouvaient accueillir un enfant de plus. En Tunisie, Bourguiba avait bien compris l'importance du planning familial pour le développement du pays. Le Shah également. En Iran, j'ai aidé des médecins qui faisaient deux ans de service militaire dans le corps médical. Je leur avais expliqué qu'ils ne pouvaient baser leur politique de natalité uniquement sur la pilule, alors qu'avec le stérilet, un contrôle tous les trois ou quatre mois suffit.


Quelles ont été les raisons qui ont permis de changer les mentalités?

Je crois que la mise en place d'une véritable politique de planning familial dans les pays scandinaves et en France a rendu les résistances moins vives. Le poids de l'Eglise aussi a diminué. Mais elle reste influente, si on pense aux discours de Jean-Paul II en Afrique contre l'emploi du préservatif, alors que ce moyen est aujourd'hui indispensable pour lutter contre la propagation du sida.

Le sida a par ailleurs renforcé ces questions de planning. Dans les années quatre-vingts, j'expliquais aux jeunes filles qu'elles devaient exiger le préservatif et je leur montrais comment l'utiliser. Bien sûr il craque quand on tire dessus comme une vieille chaussette! Mais si vous connaissez bien le garçon, mettez-le vous-même, votre partenaire sera encore plus content et ce sera un geste de tendresse supplémentaire.

Un sociologue belge que j'avais rencontré à l'époque m'avait fait comprendre que ce n'était pas les moyens de contraception qui amenaient une plus grande liberté sexuelle. Au contraire! L'évolution des mentalités, la liberté de parler de la sexualité, le fait que les jeunes s'émancipent plus tôt, tout cela a nécessité de nouveaux moyens de contraception. Ce ne sont pas les méthodes de contraception qui ont créé un état d'esprit, c'est un état d'esprit qui a donné la possibilité à des moyens contraceptifs de se développer.


Ce qui est marquant dans le reportage de Continents sans visa, c'est pour les femmes la peur de tomber enceintes.


Oui, tant que les femmes n'avaient pas de moyens de contraception valables et une information suffisante, cette peur était réelle. La méthode Ogino par le contrôle des températures, c'était une blague! La retirette n'était pas fiable non plus: l'éjaculation n'est pas un bloc, mais une saccade, et une seule goutte suffit!


Vous considériez-vous comme un médecin engagé? Plus militant que scientifique?

Je me suis toujours considéré comme un scientifique, mais j'avais mes convictions, sans aucune restriction. Je suis fils de gynécologue. Je ne suis pas catholique, je n'ai pas eu à m'affranchir de ce côté-là, ça aide beaucoup.


Propos recueillis par Claude Zurcher