Pierre Milza
- Culture et arts
- Vidéo 1 min.
3 octobre 1968
Continents sans visa
Pierre Milza est professeur d'histoire contemporaine à l'Institut d'études politiques de Paris et directeur du Centre d'histoire de l'Europe du XXe siècle. Spécialiste de l'histoire du fascisme et de l'Italie du XIXe et du XXe siècles, il vient de publier chez Fayard une impressionnante « Histoire de l'Italie, des origines à nos jours » en un volume. Invité du site des Archives de la TSR, Pierre Milza commente ici l'extrait d'une interview de l'écrivain et cinéaste Pier Paolo Pasolini, tournée en 1968 pour l'émission de «Continents sans visa» consacrée à la situation du Parti communiste italien.
Pierre Milza: «Ce qui est très intéressant dans cet extrait, c'est de voir quelqu'un de la qualité de Pasolini réagir sur la question de l'indépendance du Parti communiste italien (PCI) face à Moscou. Ce que l'on peut dire aujourd'hui, c'est que le PCI a certes été moins inféodé que les partis communistes français ou portugais, mais il y a un peu de mythologie dans cette vision. Nous savons maintenant que cette indépendance était en réalité moins grande.
Il est vrai cependant que le PCI a été le premier parti communiste d'Occident a rompre avec les grands thèmes du marxisme et, sous l'impulsion de son Premier secrétaire Achille Occhetto, à se débarrasser de son étiquette communiste après la chute du Mur de Berlin. Ce qui était à l'époque de Pasolini une prise de conscience de la distance nécessaire vis-à-vis de Moscou s'est affirmée par la suite dans les années 80.
Mais ce n'est pas cet aspect-là qui me paraît le plus intrigant de cette interview. Si Pasolini remet en question les liens entre le Parti communiste et le marxisme, il ne remet pas du tout en cause le marxisme lui-même. On aimerait l'entendre se prononcer par rapport à Lénine, à l'idéologie marxiste… Bien sûr, aujourd'hui, il ne peut pas nous répondre. Mais je souhaiterais que des intellectuels italiens qui sont de très grands admirateurs de Pasolini puissent nous dire comment une idéologie qui était du bon côté – c'est ce que dit ici Pasolini – a pu engendrer des régimes autoritaires, sans aucune exception partout où elle a été mise en pratique ? Il faut le rappeler, il n'y a pas un seul régime qui, se déclarant du marxisme, a débouché sur ce que l'on appelle le socialisme à visage humain.»
Pier Paolo Pasolini est né le 5 mars 1922 à Bologne. Fils d'un officier de carrière, il connaît d'abord une vie rythmée par les affectations de son père. A vingt ans, il publie son premier recueil de poème, écrit en frioulan, qui est aussitôt remarqué par la critique. En 1943, réfugié avec sa mère dans le village de Casarsa della Delizia, il apprend la mort de son frère Guido, entré dans la résistance. Ce drame le marquera pour la vie.
En 1945, Pasolini devient enseignant et découvre les écrits de Gramsci, le penseur italien du marxisme. Des accusations portées contre son homosexualité le forcent à quitter l'enseignement et le parti communiste. Installé avec sa mère près de Rebibbia, il découvre le monde du sous-prolétariat.
En 1955, il acquiert la notoriété avec son premier roman, «Les enfants de la vie», qui met en scène des jeunes gens de la banlieue romaine. En 1964, son film «L'Evangile selon Saint Matthieu» est primé à Venise. Il tourne ensuite film sur film, écrit, collabore à des revues; c'est un travailleur infatiguable qui ne cesse d'harceler la bourgeoisie confortablement installée dans la société de consommation dont il dénonce avant d'autres les vices. Pier Paolo Pasolini a marqué la culture des années 70 par sa sensibilité à vif, sa vision radicale de la société, son déchirement entre le marxisme et le christianisme, sa recherche esthétique audacieuse.
Le 2 novembre 1975, il est retrouvé sans vie sur la plage d'Ostie. Les circonstances de sa mort sont encore non élucidées et mêleraient drame de l'homosexualité et machination politique.