Hommage à Togliatti

Jean-Paul Sartre rend hommage à Palmiro Togliatti, fondateur du PCI
  • Culture et Arts
  • Vidéo 8 min.

28 septembre 1964

Point

Chloé Varrin est vérificatrice-restauratrice des films au Projet archives. Elle a retenu ce document qui se présente comme la première apparition télévisée de Jean-Paul Sartre. Or, rien n'est certain. Nous possédons en effet une interview antérieure, datée du 29 juin 1960, dans laquelle Sartre livre ses considérations sur le théâtre.

Dans ce document, le philosophe s'exprime sur la personnalité de Palmiro Togliatti, un des fondateurs du Parti communiste italien dont la mort, le 21 août 1964, a eu un grand retentissement en Europe. A noter sur les images de son enterrement – dont le commentaire est absent – la présence du jeune Leonid Brejnev, futur Premier secrétaire du PC soviétique. A ses côtés, il est fort probable que la dame aux cheveux blancs soit Dolores Ibarruri Gomez, la Pasionaria de la lutte contre le franquisme et qui fut présidente du PC espagnol, jusqu'à sa mort en 1979. Nous n'en sommes pas certain. Merci d'utiliser l'onglet «Votre avis» pour partager vos commentaires.

Chloé Varrin: «La bobine que j'ai entre les mains porte une inscription sommaire sur l'amorce de début: «Le Point: Jean-Paul Sartre – Funérailles Togliatti». C'est intrigant dès le départ… Sartre! J'ai déjà entendu le nom de Togliatti, sans vraiment le situer. Ses funérailles, donc. Quel rapport à Sartre? S'agit-il d'un second sujet, sans lien avec le précédent? Quoi qu'il en soit, je n'ose m'attendre à voir Sartre en personne dans un sujet télé… Est-ce que ça existe, d'ailleurs, Sartre à la télévision? Je suis trop jeune pour l'avoir vu de son vivant, certes, j'avais 4 ans quand il est mort… Mais tout de même. Je serais tombée sur ce document par hasard. Non, ça ne se peut pas. C'est certainement un journaliste qui parle de lui, de ses liens avec ce Togliatti, ça doit être ça.

Après avoir procédé aux vérifications d'usage sur la bobine, je charge le film sur la table de montage. C'est une grosse bobine, elle est lourde et encombrante. Je démarre. Dès les premières images, gros dégâts sur l'émulsion. Des éraflures sur un tiers du photogramme. Plan fixe du commentateur sur un fond noir. Je décide de mettre un peu de vernis pour rendre au fond éraflé son opacité d'origine. J'attends que le vernis sèche. Je redémarre. Le journaliste a un air sérieux. Et, très sérieusement, il annonce, sur un ton presque grave, ce que je n'osais espérer: une interview de Sartre. La première accordée à la télévision. A Rome, par un journaliste dont je ne connais pas le nom. Bouffée de joie… contenue.

Je vais passer un bon moment, certes, mais des doutes surgissent. Il peut s'agir d'un sujet ORTF, sur lequel nous n'avons aucun droit. Il sera donc condamné à rester dans les sous-sols jusqu'à sa diffusion par ses producteurs d'origine, ou jusqu'à un accord trouvé. Il peut s'agir d'une interview sur photographies contretypées de Xe génération, vues et revues et connues de tous et sans plus aucun intérêt. Bon, là, la rareté de l'événement me met à l'abri de ce cas de figure. Je continue.

Et là, la bonne surprise s'impose à moi, sans transition: gros plan sur Jean-Paul Sartre qui parle, qui bouge, sur un original inversible presque flamboyant. Une de ces vieilles mais excellente pellicule épaisse, lisse, au rendu net et magnifiquement contrasté. Des images TSR. Jamais copiées. Diffusées certainement une seule fois, l'année du tournage, en 1964. C'est extrêmement jouissif d'être la première personne depuis 40 ans, et pour l'heure la seule, à découvrir ces images. Je sais que dans quelques heures, une fois mon secret révélé, elles seront visibles par tous, en partage. Je vais la bichonner, cette bobine.» CV


Jean-Paul Sartre est né le 21 juin 1905 à Paris. Issu d'une famille de la bourgeoisie protestante libérale, il entre à l'Ecole normale supérieure dont il obtient une agrégation en philosophie. Il y rencontre Simone de Beauvoir. Après son service militaire, il est nommé au Lycée du Havre, en 1931, puis au Lycée Pasteur de Neuilly en 1937.

En 1938, il publie son roman philosophique La Nausée et, en 1939, un recueil de nouvelles Le Mur. Le 21 juin 1940, Jean-Paul Sartre est fait prisonnier et est transféré en Allemagne. Cette expérience le portera à revoir sa position d'individualiste. En 1941, Sartre est libéré et rentre à Paris où il crée le mouvement résistant «Socialisme et liberté» qui sera dissout vers la fin 1941. Avec la publication de L'Etre et le Néant, en 1943, il devient le représentant de l'existentialisme, doctrine philosophique portant sur la liberté et la responsabilité de l'homme dans son existence, et qui connaît un large succès.

Après la Libération, Sartre privilégie la production de pièces de théâtre, plus aptes selon lui à toucher un large public. Fondateur de la revue Les temps modernes, il se désolidarise du Parti communiste après à la répression hongroise de 1956 et se brouille avec Albert Camus.

De 1956 à 1962, Sartre mène un combat en faveur de la cause nationaliste des Algériens et s'engage pour l'indépendance de l'Algérie. Il prend part de manière active à la révolte de Mai 1968 et fonde le journal Libération.

Jean-Paul Sartre est élu Prix Nobel de Littérature en 1964 mais il refuse cet honneur. Il s'éteint le 15 avril 1980 à l'âge de 75 ans à l'hôpital Broussais (Paris).

Palmiro Togliatti est né à Gênes le 26 mars 1893 et fait ses études de droit à l'Université de Turin. En 1921, il participe à la fondation du Parti communiste italien dont il sera le secrétaire jusqu'en 1963. Dès 1924, Togliatti a également dirigé l'Internationale communiste, lié d'abord à Boukharine, puis à Staline, et il s'engage aux côtés des Républicains en Espagne.

En 1926, avec l'arrivée des fascistes au pouvoir, il est contraint de s'exiler en URSS. De Moscou, il participe aux activités du Komintern et coordonne l'action clandestine du PCI. A la fin de la guerre, en 1944, Togliatti rentre en Italie et reprend la tête du Parti tout en accédant aux gouvernements d'unité nationale qui se succédent, jusqu'à l'éviction des ministres communistes en 1947.

En 1956 il influence fortement le développement de la théorie du polycentrisme. Après la répression de l'insurrection de Budapest, il énonce pour le PCI la théorie d'un propre «chemin national vers le socialisme». Il se maintiendra à la tête du parti jusqu'à sa mort, le 21 août 1964.