Favrod et la Syrie
- Politique Internationale
- Vidéo 9 min.
16 mars 1963
Point
Au début de l'année 1963, deux évènements braquent les projecteurs sur un nouveau mouvement, le parti Baas, panarabe et socialiste. Le 8 février 1963, le général Kassem au pouvoir en Irak depuis 1958 et favorable à une tendance pro-soviétique est renversé par un coup d'état mené par des militants du Baas socialistes non-marxistes.
Un mois plus tard, en Syrie, le 8 mars 1963, un nouveau coup d'État a lieu, installant le Conseil national de commande révolutionnaire au pouvoir. Là aussi, c'est un produit du parti Baas, et la majorité des membres de ce conseil en sont membres.
Le journaliste Charles-Henri Favrod, expert des divers mouvements nationalistes arabes et qui sort d'un rôle important dans le règlement de la crise franco-algérienne, est interrogé sur ces deux évènements. Il insiste particulièrement sur les proximités idéologiques du Baas et du président égyptien Nasser.
Si en Irak, le coup du Baas ne durera que jusqu'en novembre de la même année (Saddam Hussein sera emprisonné) et ne reviendra aux commandes qu'en 1968; en Syrie, le parti réussit à s'implanter à la tête du pays en menant une politique autoritaire et opportuniste et en déviant du programme originel de ses fondateurs comme Michel Aflak et Salah Bitar, qui s'exilent de Damas en 1966.
Charles-Henri Favrod naît le 21 avril 1927 à Montreux. Après des études de lettres à l'Université de Lausanne, il entre à La Gazette de Lausanne dont il devient grand reporter et critique au supplément hebdomadaire la Gazette littéraire. Il collabore également à la Radio Suisse Romande. Il voyage dans le monde entier et se trouve au plus près de l'actualité tant à Dien Bien Phu en Indochine que pendant la guerre d'Algérie où il jouera un rôle considérable pour faire évoluer l'opinion mondiale sur les Algériens du FLN.
Il est ensuite directeur de collection aux Editions Rencontre, où il s'occupe de la série des Atlas des Voyages et de l'encyclopédie par fiches EDMA (Encyclopédie du monde actuel). Il produit également des films dont Le chagrin et la pitié de Marcel Ophüls.
En 1985, il est chargé par le canton de Vaud de créer le musée de la photographie à Lausanne, qui deviendra mondialement connu sous le nom de Musée de l'Elysée.
Il est également vice-président du Museo nazionale Alinari della Fotografia de Florence qui vient d'ouvrir ses portes.
Il a récemment publié Le temps de la photographie et Le temps des colonies.
Le Baath (Renaissance en arabe) est le parti politique au pouvoir en Irak et Syrie depuis les années 1960. Le mouvement baathiste a été créé à Damas dans les années 40 par le chrétien Michel Aflak et le musulman sunnite Salah Al Din Bitar. En 1953, ce mouvement prend le nom de Parti baas Arabe Socialiste. Il atteint son apogée dans les années 60, et devient l'une des principales expressions du nationalisme arabe révolutionnaire.
L'unité arabe est au centre de la doctrine du baas et prime sur tout autre objectif. Selon son fondateur, Michel Aflak, les peuples arabes forment une seule nation aspirant à constituter un Etat et à jouer un rôle spécial dans le monde. De sensibilité laïque, il admet cependant le rôle que l'islam a joué dans l'arabisme et appelle au socialisme. Le baas se prononce, du moins dans les années 50, en faveur d'une démocratie pluraliste et d'élections libres. Enfin, la question palestinienne, si elle le préoccupe, est loin de constituer le point central de son idéologie.
Le baas se manifeste très tôt dans la vie politique de la Syrie où militaires et civils se succèdent au pouvoir après l'indépendance. Une mutation se produit dans l'idéologie et l'organisation du parti à la suite de périodes de clandestinité successives. Il multiplie les attaques contre la démocratie libérale alors que les militaires jouent un rôle accru dans l'appareil; les revendications à caractère socialiste s'affirment.
Mais le tournant dans l'histoire du parti date de 1958 et de la constitution de la République Arabe Unie (RAU) entre l'Egypte et la Syrie. Le baas, qui partage les analyses de Nasser sur la politique arabe et internationale, accepte de dissoudre sa section syrienne. L'échec de la RAU en septembre 1961 provoque une longue crise interne. Celle-ci s'accentue alors même que le parti accède au pouvoir en Irak en février 1963 et en Syrie en mars de la même année.
L'échec de la RAU amène surtout certains cadres à remettre en cause le dogme de l'unité arabe. En Syrie, ceux qu'on appelle les «régionalistes» – dont faisait partie le chef de l'Etat syrien Hafez El Assad – (par opposition aux «nationalistes», favorables à un dessein arabe), affirment progressivement leur domination à partir de la prise de pouvoir par le baath en 1963. Les fondateurs du parti, dont Michel Aflak, sont contraints à l'exil.
Deux directions panarabes – avec chacune ses sections régionales – se mettent en place: l'une à Damas, l'autre à Bagdad où Michel Aflak s'est réfugié, après la prise de pouvoir par le baath – avec la participation de Saddam Hussein – en juillet 1968. Les deux partis se transforment alors en instrument des politiques d'Etat. L'annexion du Koweit par l'Irak en août 1990 «comme une étape de l'unification arabe» est une illustration de cette transformation.
Paradoxalement, c'est une fois arrivé au faîte du pouvoir – avec la direction de deux grands Etats arabes – que le baathisme a entamé son déclin comme idéologie. Le baathisme imprime pourtant une marque spécifique en politique intérieure – avec l'application de mesures socialistes et une certaine laïcité.
Source : MEDEA (Institut européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe, août 1990)