Maquette

Une passion d'enfance: reconstituer des batailles historiques.
  • Loisirs
  • Vidéo 14 min.

13 mai 1970

Le 5 à 6 des jeunes


Vérificateur film au projet archives, Olivier Pradervand a retenu ce document pour notre rubrique Coup de coeur. Il a également retrouvé ce jeune homme passionné d'histoire militaire.
















Olivier Pradervand: En 1970, 5 à 6 des jeunes consacre une de ses éditions à un adolescent qui semble avoir un passe-temps quelque peu hors du commun: passionné d'histoire militaire, il a patiemment reconstitué la bataille d'El Alamein en figurines de pâte à modeler. En visionnant ce document, mon attention est attirée par le nom du jeune homme en question, Raphaël Aubert. Vérification faite, il s'agissait bien de celui qui est devenu écrivain et journaliste à la Radio Suisse Romande. Il très aimablement accepté de réagir à ces images de sa jeunesse…


Olivier Pradervand: on parle toujours, à propos des archives de télévision, de la notion de mémoire collective. Dans le cas présent, ces images relèvent plutôt pour vous de la mémoire intime, puisque c'est vous-même que vous voyez à une toute autre époque de votre vie.



Raphaël Aubert. En effet. Je me souviens d'ailleurs avoir ressenti, au moment de la réalisation de l'interview déjà, un sentiment de porte-à-faux. J'étais âgé de 17 ans et on venait m'interroger sur ces figurines de pâte à modeler, qui étaient déjà pour moi une chose du passé, liée à mon enfance. J'écrivais déjà à ce moment-là, et j'aurais préféré être interrogé sur mes premiers textes. Heureusement que cela n'a pas été le cas, car c'était évidemment très mauvais!


C'est vous qui le dites aujourd'hui!


En tout cas, aujourd'hui, je préfère que les choses se soient passées ainsi. Cela dit, physiquement, je me suis complètement reconnu. Cheveux, vêtements, cette fameuse cape, sont bien les miens. Il n'y a qu'une chose que je ne reconnais pas, c'est ma voix. Je remarque que j'avais à ce moment-là un assez fort accent vaudois, que j'ai perdu par la suite. C'est un sentiment très étrange. Il en va de même pour les figurines: il y en a que je reconnais très bien, tandis que d'autres pas du tout, au point que j'aurais même du mal à identifier ce qu'elles représentent.


Vous étiez apparemment dans une démarche très précise, quasi historique, avec ces reconstitutions.


Absolument, c'était très sérieux, je réunissais beaucoup de documentation. Je les avais faites entre mes 7 et mes 12 ou 13 ans, je pense. Au moment de l'interview, je n'en faisais donc plus du tout, je les avais conservées mais j'étais dans une toute autre démarche. Je continuais par contre à m'intéresser aux mêmes sujets historiques, notamment aux grandes batailles.
Par la suite, je suis devenu journaliste et écrivain, et on pourrait dire qu'il existe une certaine continuité dans le sens où je raconte toujours des histoires, mais dans mes livres. Ce personnage que je vois, c'est donc à la fois moi et pas moi. C'est curieux de se voir dans une émission de télévision de cette époque-là, c'est très différent d'un film de famille réalisée en 8mm, beaucoup plus élaboré.


Avez-vous vu l'émission au moment de sa diffusion? Etiez-vous familier du 5 à 6 des jeunes?


Probablement pas, car mes parents n'avaient pas la télévision à ce moment-là. En tout cas je suis certain de ne pas l'avoir vue et revue depuis. Je ne sais pas non plus si mes camarades en ont eu connaissance. Pour ce qui est du 5 à 6 des jeunes, je me souviens l'avoir vue parfois chez des camarades, mais bien plus jeune. A 17 ans, j'ai de tout autres centres d'intérêt, je suis déjà lecteur de Malraux, dont je suis devenu spécialiste par la suite, je lis Miller, je me rappelle très bien avoir ressenti un décalage, déjà au moment de la réalisation.
Je ne sais pas, au fond, qui a eu l'idée de réaliser cette émission, je n'ai par exemple aucun souvenir de la prise contact. J'imagine que cela pourrait être lié à une émission consacrée à mon père, le graveur et peintre Pierre Aubert (1910-1987), qui date de 1968 également consultable sur le site (voir le document). Peut-être est-ce le réalisateur de cette première émission, Robert Rudin, qui m'a remarqué et recontacté par la suite. Il faut dire que Romainmôtier était très à la mode à ce moment-là, il y avait toute une communauté d'artistes et d'artisans constituée autour du prieuré repris et restauré par Katharina von Arx (voir le document).


Lorsque je vous ai contacté à propos de cette émission, vous avez accepté immédiatement que le document soit diffusé sur Internet, ce qui n'allait pas forcément de soi dans la mesure où il s'agit d'images de votre adolescence.


Oui, je crois que la question ne se pose plus, du fait que j'avais accepté de participer à l'émission à l'époque, je n'ai aucune raison de renier cela. On peut toujours essayer de reconstruire sa biographie, mais cette histoire montre bien qu'il y aura toujours des documents qui referont surface. Plus simplement, je suis très content et amusé de retrouver ces images, et puis à un autre niveau je trouve que cette expérience pose plein de questions sur l'unité de l'être, sur l'identité tout au long d'une vie.
Je trouve qu'il faut être très prudent avec les archives audiovisuelles, et bien se garder d'y chercher des réponses à des questions qui ne se posaient pas à l'époque de leur production. Le risque d'anachronisme est très grand, je m'en suis aperçu en travaillant moi-même avec des archives radiophoniques.


D'un autre côté, un document ancien prend un sens différent en fonction du moment où on le regarde… en l'occurrence, ce film prend un intérêt particulier en raison de ce que vous êtes devenu entre temps.


C'est vrai, et j'imagine que cela amusera ou intéressera certains de mes lecteurs et auditeurs de me voir à 17 ans… Plus sérieusement, les archives nous réservent de drôles de surprises. Je me suis par exemple aperçu que les archives de la Radio suisse romande recelaient des kilomètres d'archives autour de Gonzague de Reynold, qui est tout de même un homme qu'on aurait presque pu fusiller après la guerre pour trahison, tandis que pour Ramuz on a très peu de choses!

Propos recueillis par Olivier Pradervand


Bibliographie indicative


Malraux ou la lutte avec l'ange: art, histoire et religion, Labor et Fides, 2001

Le paradoxe Balthus, Editions de la Différence, 2005

La bataille de San Romano, Editions de l'Aire, 2006

La terrasse des éléphants, Editions de l'Aire, 2009

Raphaël Aubert est un écrivain et journaliste suisse romand né en 1953. Il est l'auteur d'une dizaine de romans, essais et autres nouvelles, et l'un des rédacteurs du Dictionnaire encyclopédique André Malraux (à paraître aux Editions du CNRS en 2011). Il collabore à la Radio Suisse Romande et est notamment à l'origine d'une série d'émissions consacrée aux justes de Suisse (Ces justes qui sont l'honneur de la Suisse: ils ont sauvé des Juifs…, 1998, en collaboration avec Manuela Salvi). Il est le fils du graveur Pierre Aubert (1910–1987).