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"Aujourd'hui, je ne suis plus que des miettes", témoigne une survivante d'une tentative de féminicide

Le nombre de féminicides reste élevé en Suisse: témoignage d’une survivante [KEYSTONE - JEAN-CHRISTOPHE BOTT]
Le nombre de féminicides reste élevé en Suisse: témoignage d’une survivante / La Matinale / 4 min. / le 3 mai 2024
En 2021, Maria* s'est vue mourir sous les coups de son ex-partenaire, après des heures de torture. Interrogée par la RTS, elle se dit encore aujourd'hui détruite, "en miettes" et "complètement déboussolée", comme de nombreuses femmes touchées par ce phénomène en Suisse.

"Quand il est arrivé vers moi, j'ai senti que ça allait mal tourner. Nous sommes rentrés à l'appartement et il a fermé les trois serrures. Là, je me suis dit que j'étais dans la merde. 'Bonne nuit', me suis-je dit". Maria, 44 ans, n'oubliera jamais ce que son ex-partenaire lui a fait subir ce soir de printemps 2021 dans le canton de Vaud.

Trois fois par semaine, j'ai cette sensation de tomber dans le vide. Je suis complètement déboussolée

Maria

Depuis cette nuit de calvaire, elle n'est plus vraiment la même, raconte-t-elle vendredi dans La Matinale de la RTS. "Je ne vis pas, je survis. Même si ma psychiatre et ma psychologue sont géniales, je n'y arrive pas. Elles me donnent des médicaments, je les prends et je dors. Et puis, d'un coup, j'ai cette sensation de tomber dans le vide. J'ai cela trois fois par semaine. Je suis complètement déboussolée. Parce que ce n'est pas seulement le physique, c'est le psychique."

Une spirale infernale

Avant cette soirée où Maria a échappé de justesse à la mort, son ex-partenaire était déjà violent avec elle. Il la frappait, l’accompagnait jusqu’aux toilettes et avait déjà tenté de l’étrangler. C’est ce qu’on appelle de la violence domestique. Elle concerne au moins 8000 femmes en Suisse, selon les chiffres 2023 de la Confédération, sans compter celles qui ne sont pas répertoriées.

C'est une spirale infernale. Au début, tu pardonnes, car tu ne penses jamais arriver au pire

Maria

"C'est une spirale infernale", confie Maria. "Au début, tu pardonnes, car tu ne penses jamais arriver au pire. Et puis ça s'installe petit à petit. Ça arrive d'une façon que tu ne peux pas imaginer. Tu penses que ça ne peut jamais t'arriver à toi. À la voisine peut-être, mais pas à toi. Je pensais être quelqu'un de très intelligente. Et puis regardez maintenant où j'en suis. Et c'est difficile d'accepter cela. Moi, aujourd'hui, je ne suis plus que des miettes".

Pour Maria, le meilleur moyen de sortir au plus vite du cercle de violences, c'est de parler à son entourage. "La famille peut être le déclencheur qui fait que nos émotions ne prennent plus le dessus."

Son ex-partenaire a récemment été condamné en première instance à 18 ans de prison, notamment pour tentative d’assassinat, mutilation des organes génitaux et lésions corporelles. Il vient de faire appel.

De la violence psychologique à la violence physique

La violence dans le couple hétérosexuel représente l'un des plus gros facteurs de risques mortels pour les femmes en Suisse. L'an dernier, 64% des femmes décédées des suites d'un homicide ont été tuées par leur partenaire ou ex-partenaire.

Pour Philippe Bigler, directeur du centre Malley Prairie et du centre de prévention de l'Ale, le processus est toujours long avant de pouvoir demander de l'aide: "Il ne faut pas oublier que, dans les histoires des violences conjugales, il y a quand même des sentiments. Et puis souvent, toutes les violences psychologiques, comme le contrôle, ne sont pas identifiées comme de la violence. C’est seulement quand on passe à la violence physique que les personnes se disent qu'elles sont violentées".

Les victimes de violence ne sont jamais responsables des violences subies

Philippe Bigler, directeur du centre Malley Prairie et du centre de prévention de l'Ale

Selon lui, les auteurs sont conscients du pouvoir qu'ils exercent et l'utilisent pour pouvoir faire douter l'autre. "Ainsi, les victimes se disent qu'elles vont essayer de changer de comportement, jusqu’au moment où elles réalisent qu’elles peuvent faire tous les efforts qu’elles veulent, le problème de la violence appartient à l’auteur. Les victimes de violence ne sont jamais responsables des violences subies."

La nécessité d'un changement de loi

Pour Philippe Bigler, il est important que la Suisse prenne en compte la notion de "contrôle coercitif" dans les affaires de violences domestiques. Déjà en vigueur dans certains pays comme l'Angleterre et le Canada, elle condamne toutes les formes de violence, comme le dénigrement ou le contrôle du téléphone.

Actuellement, ces actions ne sont pas punissables en Suisse. "Si on peut prouver qu’il y a eu tous ces actes de contrôle et qu’il y a un délit qui permet de punir cela, cela permettrait aussi d’anticiper et de mettre des sanctions plus tôt pour les auteurs de violences", assure-t-il.

Entre 15 et 20 femmes tuées par année

L'an dernier, 21 femmes ont été tuées par leur (ex)-partenaire ou un homme de leur entourage, dont 15 en Suisse romande, selon le collectif Stop Feminizid. Le nombre de féminicides restent élevé en Suisse, puisqu'il touche entre 15 et 24 femmes par année depuis 2020, toujours selon le collectif.

*Maria, prénom d'emprunt

Pascale Defrance et Léa Bucher

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