"L'anxiété, les troubles de mémoire... Et à la longue, vous devenez une espèce de zombie fonctionnel et vous vous dites que ce n'est juste pas possible". Catherine est infirmière au CHUV et à 51 ans, elle a accepté de se confier sur les troubles qui sont apparus lors de sa péri-ménopause, la période qui précède l'arrêt définitif des règles. Elle avait alors 45 ans.
Pour Virginie, cette même période a fait apparaître des crises d'angoisse. "Ca a eu un impact beaucoup plus large que le corps. En fait, ça touche à l'émotion, à la vie professionnelle, à l'entourage aussi, parce que vous vous sentez un peu différente, exclue, vous êtes vulnérable". Ces symptômes l'ont conduite à suivre une thérapie comportementale, et diminuer son temps de travail.
"Je n'étais plus aussi performante"
Pour ces femmes qui subissent les effets les plus aigus de la ménopause, ou de la péri-ménopause, l'activité professionnelle devient vite difficile à gérer. "Je faisais ce que j'avais à faire pour assurer la sécurité, mais je n'étais pas aussi performante qu'avant", raconte Catherine.
Une étude britannique de 2020, menée par le Chartered Insitute of Personnel and Development (CDIP) souligne que la perte de productivité liée à la ménopause pourrait atteindre 150 milliards de francs par an, au niveau mondial.
En Suisse, la première étude menée sur la ménopause au travail, en 2023, révèle que 70% des femmes se sentent en situation de fébrilité et fatiguées. Le "brouillard mental" concerne 68% des femmes en Suisse, en période de ménopause. Des statistiques qui poussent certaines entreprises à s'en préoccuper.
Un tabou professionnel
Cette même étude révèle qu'un tiers des femmes avaient caché leurs symptômes à leur hiérarchie. Catherine n'a d'abord pas osé en parler: "Je ne m'imaginais pas dire: je n'arrive plus à prendre en charge des patients plus complexes parce que je ne dors pas, que j'ai des trous de mémoire et que j'ai de l'anxiété".
Les femmes que nous avons rencontrées évoquent la stigmatisation liée à ces symptômes qui handicapent les capacités professionnelles. Virginie a dû diminuer son temps de travail, elle a également lancé un groupe de parole en collaboration avec bénévolat Vaud : "la péri ménopause sans tabou".
Et Catherine de souligner: "Il faut que les employeurs créent un espace où les femmes vont être écoutées et où on peut mettre en place un cadre de travail où la femme n'aura pas peur de représailles ou de jugement".
Les entreprises commencent à s'y intéresser
L'entreprise Condis SA, à Rossens (FR), compte 24 ouvrières qualifiées qui travaillent à la production de composants pour le réseau électrique. "A l'heure actuelle où la pénurie de main d'œuvre est [importante], il est difficile de trouver du monde", souligne Vania Gomez, directrice des ressources humaines. La direction a donc lancé un atelier pour la sensibilisation de son personnel - masculin et féminin - à la problématique de la ménopause, animé par la formatrice Joëlle Zingraff.
D'autres groupes comme Nestlé s'y intéressent. Roche et UBS ont également lancé des initiatives en ce sens.
"Une personne qui a 30 ans d'expérience, pour laquelle il a juste fallu un peu réaménager ses horaires pendant une période de vie, sera encore plus performante. C'est gagnant pour tout le monde", conclut Catherine.
Cédric Guigon / Sophie Iselin
Le CHUV lance le débat
Le premier employeur du canton de Vaud a commencé un travail de réflexion. Une table ronde - ouverte au public sur inscription - sera d'ailleurs organisée le 26 mars sur le thème de la ménopause.
Plusieurs employées prendront la parole pour témoigner des difficultés rencontrées lors de cette période hormonale. Pour le directeur des ressources humaines, Antonio Racciatti, l'idée est d'ouvrir le dialogue pour définir les mesures à prendre.
"En tant qu’employeur, on a une responsabilité sociale. Parce qu’on n’en parle pas assez, cela peut être discriminant, cela peut être aussi un frein. Mais il faudrait que la direction d’une institution comme la nôtre se positionne. Le marché de l’emploi et celui des compétences deviennent difficiles. Notre intérêt, c’est de garder tout au long d’une vie, nos professionnels-elles. En plus de cela, au fil du temps, les compétences deviennent pointues. Donc, se préoccuper de leur santé et créer des conditions pour que - quelques soient les situations d’incapacité - on puisse revoir nos collaborateurs-trices et les faire réinsérer, pour nous c’est une politique qui est vraiment prioritaire", assure-t-il.