Trains, hôpitaux universitaires, métros, bus, aéroports, exploitations agricoles: l’Allemagne a connu en ce début d’année une succession de grèves et manifestations. Le gouvernement de coalition est critiqué de toutes parts; le chancelier, Olaf Scholz, se retrouve fragilisé.
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Il est reproché à Olaf Scholz de se tenir trop en retrait; de passer son temps à gérer une coalition qui se querelle sans cesse, plutôt que de diriger le pays. Alors que l'ancienne chancelière Angela Merkel, à la tête du pays de 2005 à 2021, a arbitré des gouvernements composés de deux partenaires, le socialiste Olaf Scholz est depuis deux ans à la tête d'une majorité tripartite, dont les Verts et les Libéraux s'opposent sur presque tout.
Paysage politique fragmenté
"Comme il y a maintenant six partis, et peut-être qu'il y en aura même plus, il est impossible de faire des coalitions à deux", estime Gilbert Casasus, professeur émérite en Etudes européennes auprès de l’Université de Fribourg, dans l’émission Géopolitis. Avec le gouvernement actuel composé de trois partenaires (le SPD, les Verts et les Libéraux) des contradictions se manifestent: "ce système de coalitions est arrivé au bout de sa logique. La population ne s’y retrouve plus véritablement, mais les partis non plus", poursuit-il.
Comme d’autres pays européens, l’Allemagne connaît une fragmentation croissante de son système de partis politiques. Les Verts sont apparus dans les années 1980. Suivis après la réunification par le PDS (Parti du socialisme démocratique) qui deviendra Die Linke. Enfin, l’AfD, créée en 2013, remporte des succès électoraux dans le sillage de la crise de l’euro puis de la crise migratoire. Sans oublier le lancement récent par Sahra Wagenknecht (anciennement Die Linke) du Bündnis Sahra Wagenknecht, parti de gauche conservatrice. Mais aussi la création annoncée du parti conservateur WerteUnion par l’ancien chef de l’Office pour la protection de la Constitution, Hans-Georg Maaßen.
L’AfD, parti eurosceptique et anti-immigration, atteint actuellement des niveaux records dans les récents sondages d’opinion, alors que se profilent les élections européennes ainsi que trois importantes élections régionales au Brandebourg, en Thuringe et Saxe. Pour ces trois scrutins, l'AfD fait pour l’instant la course en tête dans les sondages, devant les partis historiques.
Contre l’extrême droite
Le 10 janvier, le journal d’investigation Correctiv a divulgué que des membres de l’AfD avaient participé à une réunion secrète au cours de laquelle ils se sont vu présenter un plan de "remigration" visant à expulser des demandeurs d’asile, des étrangers avec permis de séjour et des citoyens allemands issus de l’immigration. A la suite de ces révélations, plus d’un million de personnes ont manifesté dans tout le pays pour défendre la démocratie contre l’extrême droite.
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L’AfD a commis deux erreurs, selon Gilbert Casasus: la première "en parlant de remigration, donc d'expulsions d'étrangers, lors d’une réunion dans une villa avec des groupes néonazis". Mais aussi le Dexit (Brexit allemand): "L'AfD a clairement laissé entrevoir que l'Allemagne quitterait l'Union européenne et cela est évidemment totalement contreproductif et crée beaucoup de réactions justifiées disant que l'AfD est un véritable danger pour l'économie allemande; ce qu'elle est de fait."
Le moteur allemand… en panne
L’économie allemande est à la peine: le resserrement des conditions financières, la hausse des prix de l'énergie dans le sillage de l’invasion russe en Ukraine et la contraction de la demande chinoise ont fait basculer l'économie en territoire négatif.
Selon Gilbert Casasus, de mauvais choix énergétiques sont l’une des causes de la crise actuelle: "on a considéré que le gaz russe pouvait toujours venir en aide". Deuxième erreur, selon ce spécialiste de l’Allemagne: la limitation du déficit public. "Les Allemands sont persuadés que l'endettement ne peut pas exister, qu’il faut mettre un frein à l'endettement. Le résultat, c'est qu'il y a eu des politiques d'investissement très faibles et aujourd'hui le pays souffre de ce manque d'investissements."
Afin de respecter le budget, le gouvernement a drastiquement réduit les dépenses, provoquant une grogne sociale – ou l’amplifiant. "L'Allemagne s'est reposée sur ses lauriers. Elle a cru que son système était inébranlable, que les choix économiques étaient justes et a oublié tout simplement de remarquer que le monde change. Que les recettes économiques qui valaient dans les années 1990 ou au début des années 2000 n'étaient plus valables aujourd’hui", analyse Gilbert Casasus, qui reste toutefois optimiste pour la troisième puissance économique mondiale. "C'est grâce à la construction européenne, à son travail sur l'histoire, grâce aussi à des hommes et des femmes politiques qui ont compris que l'Allemagne est un pays qui doit s'ouvrir aux autres et accepter l'autre, que l'Allemagne réussit. Et si l'Allemagne choisit ce chemin, je suis optimiste pour l'Allemagne", conclut-il.
Natalie Bougeard