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Les premiers porte-conteneurs géants propulsés au méthanol vert sortent des chantiers navals sud-coréens

Commandés par l’entreprise suisse Maersk, les premiers porte-conteneurs géants adaptés au méthanol vert sortent du chantier naval Hyundai en Corée.
Commandés par l’entreprise danoise Maersk, les premiers porte-conteneurs géants adaptés au méthanol vert sortent du chantier naval Hyundai en Corée. / 19h30 / 4 min. / le 11 février 2024
 
Premier d’une série de dix-huit navires commandés par le géant danois Maersk, un porte-conteneur propulsé au méthanol vert est sorti des chantiers navals sud-coréens. Le vaisseau, qui peut transporter 16'800 containers, marque un tournant vers la décarbonation du transport maritime.

"Nous avons la possibilité et la responsabilité de faire partie de la solution au problème du climat." Après l’engagement de son directeur général Vincent Clerc l’an dernier et après deux années de travaux avec le constructeur sud-coréen Hyundai, Maersk confirme le rôle pionnier qu’il veut jouer dans la sortie des énergies fossiles.

Baptisé "Ane Maersk", le premier porte-conteneur adapté à la combustion de méthanol vert vient de prendre la mer. Et onze navires identiques sont en cours de construction sur le chantier naval d’Ulsan, le plus grand du monde, pour le transporteur danois.

"Notre objectif est de décarboner 25% de notre volume de fret container d’ici 2030", explique Leonardo Sonzio. Responsable de la gestion et technologie de la flotte maritime de Maersk, l’ingénieur italien souligne les défis que pose cet objectif, y compris financier: "Un navire de ce type coûte 10 à 15% de plus qu’un équivalent traditionnel."

Une conception du navire revue pour s'adapter au méthanol

C’est toute la conception du navire qui a été revue pour s’adapter au méthanol. "Nous avons coopéré étroitement avec le propriétaire du bateau, pour voir comment optimiser sa conception et respecter les normes", explique Jeon Seungho, directeur technique de HD Hyundai Heavy Industries.

"Essentiellement, c'est un système d'alimentation additionnel de carburant qui est installé sur le moteur", détaille Andreas Botz, chef ingénieur à bord du navire. La densité énergétique du méthanol étant deux fois plus basse que celle du carburant pétrolier de marine, il s’agit de gérer l’injection en toute sécurité de grosses quantités de cet alcool dans les huit cylindres de l’engin, dont chacun mesure près d’un mètre de diamètre.

Moteur "dual-fuel"

Ce moteur, capable de carburer autant au méthanol qu’à l’huile lourde, a lui aussi été construit au chantier d’Ulsan, sous licence avec le motoriste allemand MAN Energy Solutions. "La combustion du méthanol est assurée sans bougie par une adjonction de quelques pourcents de biodiesel", explique Andreas Botz. Il développe une puissance de 44 MW, soit l’équivalent de 440 voitures électriques moyennes en pleine accélération.

Le principal défi pour Maersk sera de s’assurer la disponibilité de méthanol vert en quantités suffisantes le long de ses routes maritimes. "Avant, il n'y avait pas de producteurs de méthanol vert parce qu'il n'y avait pas de bateau. Maintenant, les bateaux sont là! Le signal de la demande est fort", s’enthousiasme Leonardo Sonzio. Selon lui, Maersk a contracté une fourniture annuelle de près de 750'000 tonnes de méthanol vert, dont 500'000 auprès du géant chinois des énergies renouvelables Goldwind.

A terme, la fabrication de méthanol sera assurée par de l’électricité de source renouvelable via la production d’hydrogène et de CO2 capturé. Pour l’heure, c’est essentiellement du bio-méthanol qui sera injecté dans ces moteurs. En brûlant, ces carburants verts n’émettront que le CO2 capturé lors de leur fabrication, que ce soit par photosynthèse naturelle ou synthèse chimique.

>> Revoir aussi l'interview de Vincent Clerc, CEO de Maersk :

Interview de Vincent Clerc, CEO de Maersk
Interview de Vincent Clerc, CEO de Maersk / L'actu en vidéo / 8 min. / le 14 décembre 2023

>> Lire aussi : A l'image du géant Maersk, l'industrie du transport maritime se met au vert

D'autres technologies en vue

Au-delà du méthanol, d’autres carburants de synthèse sont pressentis pour remplacer les ressources fossiles dans la marine, comme l'ammoniaque et l'hydrogène. Ces deux molécules pourraient aussi être brûlées dans des moteurs thermiques adaptés. MAN Energy solutions compte notamment produire un tel moteur à l’horizon 2026. Mais d’autres options que les moteurs thermiques se profilent.

Hydrogène, ammoniaque et méthanol peuvent aussi servir de vecteur énergétique dans des systèmes de piles à combustible. Des rendements bien supérieurs à ceux de la combustion interne sont possibles grâce à la transformation directe de l’énergie chimique en courant électrique. "Nous nous intéressons à toutes les technologies", souligne Leonardo Sonzio. Sur le coup aussi, Hyundai Heavy Industries affirme collaborer à un projet de ce type à Ulsan. Ils n’en disent toutefois pas davantage.

Un virage à 180 degrés

Si le secteur du transport maritime, responsable d’environ 3% des émissions humaines de CO2, est longtemps resté sourd à la nécessité de les réduire, un nouveau cap a été donné l’an dernier. Alors qu’il visait une réduction de 50% de ses émissions d’ici 2050, en comptant surtout sur le recours au gaz naturel comme carburant, l’industrie s’est ralliée à la neutralité carbone "d’ici 2050".

Maersk veut aller plus vite et vise 2040. Une deadline nécessaire, selon Leonardo Sonzio qui espère y arriver "autant pour le climat que pour les clients qui demandent du transport zéro carbone pour leurs marchandises". Selon lui, la décarbonation totale du secteur renchérirait d’environ 5% en moyenne les prix des biens transportés. "Un effort raisonnable au vu de l’enjeu climatique", conclut-il, en se réjouissant de voir que 140 navires adaptés au méthanol vert ont déjà été commandés dans le monde.

Des questions de régulation

L’Organisation maritime internationale (OMI) , qui est composée d'une flotte de 100'000 navires, est sous pression. Certains Etats aimeraient établir un cadre réglementaire plus strict. Mais selon l'OMI, "la sécurité des investissements n’est aujourd’hui pas suffisante pour accélérer la transition".

Des discussions sont en cours au sein de l’OMI pour l’introduction d’une éventuelle taxe carbone, dont les revenus pourraient servir à subventionner la transition dans les pays en développement. Les investissements nécessaires sont immenses, notamment l’équipement des ports pour assurer l’approvisionnement et la distribution de ces nouveaux carburants verts.

Pascal Jeannerat/saje

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