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La dissidence sans peur d'Aung San Suu Kyi

Aung San Suu Kyi, à 65 ans, libérée de son assignation à résidence depuis quatre mois, défend toujours la lutte par la non-violence. [Soe Zeya Tun]
Aung San Suu Kyi défend toujours la lutte par la non-violence. - [Soe Zeya Tun]
Elle est libre depuis quatre mois, mais reste attachée à la lutte pacifique contre la dictature de son pays, quel qu'en soit le prix à payer: la célèbre dissidente birmane Aung San Suu Kyi est sortie de sa troisième période d’assignation à résidence le 13 novembre dernier. Le correspondant de la RSR Rémy Favre a pu la rencontrer à Rangoon.

Depuis sa liberté retrouvée, Aung San Suu Kyi a repris la tête de son mouvement démocratique, sous la surveillance de la junte militaire de Rangoon. Au pouvoir depuis 1962, les militaires birmans veillent à ce que l'opposante, prix Nobel de la Paix en 1991, ne prenne pas trop d’importance. La stratégie de cette femme, prix Nobel de la Paix en 1991, reste la non-violence et dialogue.

Pour Aung San Suu Kyi, la non-violence est à la fois un principe et une stratégie politique. Ce combat-là est la meilleure des solutions, à ses yeux, pour faire évoluer politiquement son pays: "La violence a trop souvent été une voie par laquelle le changement politique a été amené en Birmanie. Je crois que nous devons changer cette perception selon laquelle seule la violence peut amener le changement. Si nous restons enfermés dans cette perception, il y aura de la violence encore et encore. Quiconque souhaitant apporter du changement à la scène politique birmane aura recours à la violence en pensant que c’est le seul moyen".

Toutefois, la militante comprend que certains opposants ne croient pas au méthodes pacifiques: "Je ne changerai jamais pour une stratégie de la violence, mais je ne condamnerai pas ceux qui pensent que la violence est la seule manière. C’est la seule chose qu’ils connaissent en Birmanie. Je ne peux pas leur dire 'ne prenez pas les armes et suivez la voie pacifique' parce que je ne peux pas garantir leur sécurité. A beaucoup d'égards, la voie de la non-violence est plus dangereuse parce que nous n’avons pas d’armes et l’autre camp est prêt à utiliser les siennes".

Les armes non-violentes

Ses armes sont la vérité et la communication: faire savoir, avec acharnement, ce qui se passe dans son pays, révéler les injustices, renforcer l’opposition, tout en appelant constamment au dialogue. "Une partie de notre travail est de persuader le gouvernement qu’il n’a rien à craindre de nous et que nous pouvons coopérer. Mais le gouvernement est composé de beaucoup de gens. Je pense que certains militaires sont convaincus que nous avons besoin d’une voie plus pacifique et des compromis. L’armée est composée de 500'000 personnes. Nous avons des liens avec des familles de militaires qui souffrent. Ce ne sont que les dirigeants de l’armée qui s’en sortent bien".

Convaincre la tête de l'armée

Comment Aung San Suu Kyi espère-t-elle convaincre ces dirigeants de l’armée, ces dictateurs qui craignent de perdre leur pouvoir et leurs privilèges? "Nous devons les éduquer! Je ne parle pas d’éducation dans le sens strict du terme, mais nous devons leur faire comprendre que la démocratie, c’est tout sauf la revanche ou la condamnation. Ils doivent écouter ce que nous disons. Sinon, comment pourraient-ils comprendre? En fin de compte, c’est une question de communication". Pour le moment, la junte birmane ne semble pas intéressée par cette communication. Elle est plus intéressée par ses propres projets politiques. La junte a ainsi convoqué un nouveau parlement, lequel a élu un nouveau président. Les changements sont importants en apparence, mais il s ne sont que cosmétiques. Les autorités birmanes réagissent toujours avec la même violence lorsque Aung San Suu Kyi et son mouvement osent mettre le doigt là où ça fait mal. La junte l’a récemment menacée de "fin tragique" dans la presse officielle... Tout porte à croire que le gouvernement a toujours peur d’elle, de ses projets démocratiques.

Une enquête de l'ONU

La menace s'est précisée avec la récente proposition du rapporteur des Nations Unies pour les droits de l’Homme, Tomas Quintana, d’enquêter en Birmanie sur d’éventuels crimes de guerre et crimes contre l’humanité. La proposition est soutenue par la dissidente, quitte à justifier les craintes du gouvernement: "Certaines personnes au gouvernement peuvent avoir peur si elles pensent qu’elles ont des raisons d’avoir peur. D’un autre côté, une commission d’enquête ne mène pas forcément à un tribunal. Cela peut même être un moyen d’éviter un tribunal."

L'exemple Mandela

Elle cite alors l'exemple de la politique de Nelson Mandela, opposant sud-africain à l'apartheid devenu président: "C’est d'ailleurs ce qui s’est passé en Afrique du Sud, avec la commission pour la vérité et la réconciliation. Cela a servi à montrer qu’un criminel doit répondre de ses actes, mais cela n’implique pas forcément la revanche. Les Sud-Africains ont essayé de le montrer. Si les personnes qui ont des raisons d’avoir peur en Birmanie prennent cet exemple en considération, elles comprendront qu'une commission d’enquête va dans leur intérêt à condition qu’il y ait un accord politique approprié".

Un dialogue sans interlocuteur

Les paroles d’Aung San Suu Kyi sont rassurantes. Or, la dissidente n’a officiellement aucun contact avec la junte pour tenter d’engager un dialogue constructif. "Non, je ne sais pas qui contacter pour le moment. Nous ne savons pas qui contacter. Personne en Birmanie ne sait qui est réellement à la tête du pouvoir. Nous devons attendre de voir ce qui se passe".

La junte ne semble pas pressée d’abattre ses cartes. Les débuts du nouveau parlement sont poussifs et beaucoup prédisent, en Birmanie, que le dictateur Than Shwe - qui a pris les rênes du pays en 1992 - restera au pouvoir, dans l’ombre, sans poste officiel dans le nouveau gouvernement.

Rémy Favre/pc

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L'échec des sanctions contre Rangoon

Deux décennies de sanctions économiques contre la junte en Birmanie ont échoué à impulser le moindre changement et démontrent qu'elles doivent être levées, a jugé lundi 7 mars le groupe d'analyses et de réflexion International Crisis Group (ICG).

Les élections législatives de novembre 2010, quoique contrôlées par le régime militaire, et la convocation des parlements constituent une opportunité pour encourager un processus d'ouverture, souligne le groupe. "Mais cette opportunité ne peut être saisie que si l'Occident modifie sa politique inefficace de sanctions et d'isolation", estime l'ICG dans un communiqué, qualifiant celle-ci de "hautement contre-productive".

Et d'ajouter que "la Birmanie a ardemment besoin de réformes sociales, économiques et politiques". Une nouvelle approche pourrait montrer au régime du généralissime Than Shwe que de meilleures relations avec la communauté internationale sont possibles.

AFP