Espèce en voie d'évolution

Grand Format Couleur 3

Unsplash - H. Heyerlein

Introduction

Les innovations sont-elles en train de radicalement changer l'espèce humaine? Loïc Delacour explore notre futur à travers les témoignages du présent. Découvrez ci-dessous les dix épisodes de la série diffusée sur Couleur 3.

Chapitre 1
Le Body Hacking

Steve est un "body hacker". Il y a quinze ans, il s'est implanté sa première puce électronique lui-même après l'avoir achetée "pour trois fois rien chez un vétérinaire". Il l'a cependant remplacée et l'utilise aujourd'hui comme identifiant pour se connecter à son ordinateur.

Pour lui, le body hacking consiste à se débarrasser par soi-même de l'aspect que la nature lui a donné, de son ADN. Selon Steve, les tatouages et piercings sont une sorte de body hacking: "on peut aussi se greffer des membres ou s'implanter des choses". Il fait la distinction entre deux types de body hacking: les modifications "utiles" et celles "esthétiques". Au début, son but était d'avoir l'air "cool". Il a donc commencé par se mettre des implants, se faire des tatouages. Puis dès l'âge de vingt ans, il s'est orienté vers des implants utiles. Il ressentait le besoin d'arborer un style non humain, de choquer, de bousculer les gens.

Espèce En Voie d'Evolution - Body Hack
Couleur 3 : audio divers - Publié le 27 août 2018

Le progrès pose de nombreuses questions morales. Face à ce dilemme, Steve se définit comme un "darwiniste social". Si quelqu'un ou quelque chose doit souffrir pour faire avancer la science, il considère que c'est un prix à payer. C'est la raison pour laquelle il met son corps en danger. Il joue un rôle de cobaye. Dans les prochaines années, Steve souhaite s'implanter un disque dur Bluetooth dans le ventre afin de s'en servir comme espace de stockage et point d'accès Wifi.

Je suis complètement addict au progrès.

Steve, body hacker.

Certains le définissent comme un cyborg. Lui préfère se définir comme un être humain amélioré et considère qu'il est au seuil de la prochaine étape de l'évolution. Il souhaite encourager les gens à modifier leur corps pour des raisons pratiques et non plus seulement médicales.

À ses yeux, l'humanité se trouve à tournant et celui-ci "doit être pris maintenant". En anticipant, l'homme pourra ainsi devenir ce qu'il aura décidé d'être et non subir ce que la technologie fera de lui, comme dans la série "Black Mirror".

Je ne dirai pas combien j'ai d'implants, c'est un secret que je ne partage qu'avec mes amis très proches.

Steve, body hacker.

Selon Valentine Gourinat, spécialiste en Ethique et Science de la vie, l'homme a par nature toujours cherché à s'améliorer, que cela soit intellectuellement ou physiquement, par le biais d'outils. Avec les nouvelles technologies, de nouvelles perspectives sont apparues. Les modifications du corps sont devenues possibles grâce aux progrès de la chirurgie: "Implanter une prothèse de hanche ou même un coeur était impensable il y a plusieurs années. Certaines parties corporelles sont devenues interchangeables. De même, on était loin d'imaginer que le recours à la biotechnologie ou aux nanotechnologies permettraient d'éloigner certaines maladies."

Je reste persuadée que nous restons des humains malgré tout quelques soient les transformations que l'on se fait.

Valentine Gourinat, spécialiste en Ethique et Science de la vie.

Le philosophe et écrivain Tristan Garcia explique que le cyborg est une figure qui a très longtemps été médiatisée: "Elle séduit car elle constitue la figure hybride qui va venir relier l'homme et la machine". Celle-ci le laisse pourtant sceptique. Augmenter l'homme avec de la mécanique reste à ses yeux "une forme d'humanisme". Selon lui, effacer la nature que l'on a reçue par une nature que l'on aurait créée est illusoire.

Rencontre avec Steve, body hacker. [Unsplash - Ian Dooley]Unsplash - Ian Dooley
Espèce en voie d'évolution - Publié le 31 août 2018

Chapitre 2
Les Fake News

Pour Nono, tout a commencé lorsqu'il est entré dans le Casino de Divonne. Dans une pièce à l'entrée, une mise en scène permet de se prendre en photo avec un gros chèque, comme si on venait de gagner le gros lot. Une fois la photo postée sur Facebook, l'information a vite circulé.

C'est ainsi qu'il s'est pris au jeu et a continué à faire croire à son entourage qu'il avait bel et bien remporté une importante somme d'argent. Il suffit d'un cliché de la voiture d'un copain, de la montre d'un collègue et d'une vieille photo de vacances et le tour est joué.

>> À voir: Le teaser de l'épisode 9 de la série "Espèce en voie d'évolution" :

Espèce En Voie d'Evolution - Réseau social et fake news
Couleur 3 : audio divers - Publié le 27 août 2018

Certains y croient et d'autres non, et c'est là qu'entre en jeu la magie des médias: "il y a toujours un pourcentage de personnes qui vont croire à l'information et c'est ce pourcentage qui va prendre le dessus" déclare Nono.

Le but dans tout ca c'était simplement de montrer avec 2-3 images, 2-3 statuts, on peut s'inventer une vie.

Nono, auteur d'une fausse rumeur sur les réseaux sociaux.

Il faut être conscient qu'aujourd'hui des acteurs se trouvent derrière les images que nous percevons. L'information est façonnée pour faire croire quelque chose alors que tout peut être faux. Sur le web, cela est encore plus vrai. Le risque pour les auteurs de fake news est de créer un buzz, mais de perdre le contrôle de la situation, de se retrouver coincé dans une vie factice.

Le philosophe et écrivain Tristan Garcia rappelle qu'à l'apparition de la télévision, celle-ci promettait d'alléger notre vie. Dans les années 2010, cette promesse s'est transformée en multiplication des écrans, produisant l'effet inverse. De plus en plus d'écrans de formats différents voient le jour. Ceux-ci évoluent et deviennent davantage que de simples surfaces où de la lumière est projetée: "L'image devient comme une boîte contenant le monde entier".

Il y a une sorte de fétichisation de l'écran qui contiendrait des flux d'information et d'image.

Tristan Garcia, philosophe et écrivain.

Certains essayent de rejeter ce phénomène. D'autres pensent que les écrans ont discipliné nos corps et que toutes nos postures et manières d'être en découlent. Pour Tristan, les écrans ont effectivement transformé certaines de nos attitudes. Il prend comme exemple le selfie, qui a modifié nos postures et nos expressions visuelles.

Le psychiatre Jacques Besson recommande cependant de rester vigilant face aux écrans, sous peine de perdre de vue ce qui est "essentiel". En effet, lorsque le cerveau perçoit quelque chose de nouveau, il libère de la dopamine. Les publicitaires l'ont très bien compris et l'utilisent à la perfection. Les réseaux sociaux entretiennent cette illusion de nouveauté permanente. Les plus vulnérables se voient ainsi happés. L'enjeu philosophique est alors de revenir à l'esssentiel. Mais qu'est-ce que l'esssentiel?

La menace c'est notre gestion des choses et non la technologie en tant que telle.

Valentine Gourinat, spécialiste en Ethique et Science de la vie.

La spécialiste en Ethique et Science de la vie Valentine Gourinat partage ce point de vue. Elle pointe du doigt la volonté de s'exhiber dans des situations avantageuses. Comme si l'être humain n'était plus capable de vivre les choses par soi-même. En parallèle, l'hyperconsommation pousse à tout vouloir posséder. Mais ces risques ne viennent pas de la technologie elle-même, mais de l'être humain. Comment rester raisonnable face à cette technologie? "C'est à nous d'en poser les limites", conclut la chercheuse.

Les logos de Facebook et Twitter. [Keystone - Franz-Peter Tschauner]Keystone - Franz-Peter Tschauner
Espèce en voie d'évolution - Publié le 30 août 2018

Chapitre 3
Les Smart Homes

Sébastien est intégrateur domotique. Il a commencé jeune à bricoler avec des interrupteurs, aidé par un voisin électricien. Cette passion l'a guidé dans le choix de ses études.

La domotique, c'est le fait d'automatiser certains usages dans les bâtiments ou les habitations. Le but est d'apporter plus de confort, de sécurité et d'économiser de l'énergie. Un utilisateur qui part de chez lui va ainsi pouvoir appuyer sur une télécommande et déclencher un scénario qui va éteindre la lumière, arrêter le chauffage ou verrouiller la porte.

Sébastien constate que la tendance à s'équiper en objets connectés est en plein essor. Des clients font appel à lui afin de relier des objets au reste de leur maison. Ils sont séduits par l'idée de pouvoir agir, depuis leur smartphone, sur un objet situé dans leur maison.

>> À voir: Le teaser de l'épisode 8 de la série "Espèce en voie d'évolution" :

Espèce En Voie d'Evolution - Smart Home
Couleur 3 : audio divers - Publié le 27 août 2018

Cependant, ces clients ne se posent généralement pas la question du parcours de l'information. Celle-ci passe le plus souvent par le cloud du fournisseur de l'équipement. Cela pose la question de la sécurité des données. Et si elles étaient interceptées par une personne malveillante qui pourra alors déverrouiller la porte de leur maison? Que deviennent leurs données? Sont-elles gardées par le fournisseur dans le but de faire des statistiques? Revendues à des fins publicitaires?

Cette intelligence artificielle qui est derrière et l'anticipation de cette intelligence artificielle, on ne la contrôle pas vraiment. Moi je vois un risque à ce niveau-là.

Sébastien, intégrateur domotique.

Pour Solange Ghernaouti, experte en cybersécurité et cyberdéfense, la digitalisation présente encore d'autres dangers. Les processus d'apprentissage et d'exploitation des données se basent uniquement sur des modèles mathématiques et statistiques. Mais tout n'est pas quantifiable et contrôlable.

Il est ainsi difficile d'exprimer la douleur par un chiffre de 0 à 10. C'est pourtant ce que l'on est en train de faire avec la numérisation et la digitalisation. En codant des programmes de façon binaire et en traitant de manière arithmétique toute la complexité du monde, celui-ci risque de perdre toute la richesse qui émerge de la faillibilité de l'être humain. De nombreuses innovations sont ainsi nées d'une erreur.

Selon elle, une prise de conscience est nécessaire afin d'apporter des solutions au niveau national et international pour renforcer cette protection de la vie, non seulement numérique, mais aussi humaine, face au numérique.

Nous risquons de rentrer dans un monde formaté mathématiquement, normalisé.

Solange Ghernaouti, experte en cybersécurité et cyberdéfense.

Pour Valentine Gourinat, spécialiste en Ethique et Science de la vie, le risque est de perdre notre autonomie, mais aussi notre poésie. On regarde de moins ce qui nous entoure, les personnes autour de nous et se réfugie dans des univers virtuels, vers des écrans. On se renferme sur nous-mêmes.

Les machines sont capables de faire beaucoup de choses, mais n'ont pas la polyvalence de l'être humain, son libre arbitre. Celui-ci sera cependant mis en danger si l'homme en vient à se reposer totalement sur les machines: "Il se retrouvera ainsi incapable de reprendre le dessus sur sa vie."

>> À écouter: l'épisode 8 de la série "Espèce en voie d'évolution"

La domotique révolutionne peu à peu l'habitat. [eSMART Technologies]eSMART Technologies
Espèce en voie d'évolution - Publié le 29 août 2018

Chapitre 4
L'exosquelette

Silke Pan est une ancienne athlète devenue paraplégique. Grâce à un exosquelette, elle a pu de nouveau se tenir debout et marcher. Mais cet équilibre retrouvé n'a rien à voir avec l'équilibre naturel dont elle avait l'habitude. Elle a ainsi dû apprendre à maîtriser autrement ses déplacements et à accepter ces nouvelles sensations.

J'ai vu mon corps se lever pour la première fois après 9 ans en fauteuil roulant […] c'était hallucinant.

Silke Pan, ancienne athlète devenue paraplégique.

Tout a commencé en juin 2016, lorsqu'un ami tétraplégique l'a appelée afin de lui signaler une annonce déposée par des chercheurs de l'EPFL qui souhaitaient tester leur invention. Le 5 juillet 2016, Silke a rencontré l'équipe qui lui confie alors qu'elle ambitionne de la faire concourir à la première édition du Cybathlon, la première compétition internationale pour athlètes handicapés avec moyens auxiliaires. Issue du monde de la compétition, ce défi l'a immédiatement séduite.

>> À voir: Le teaser de l'épisode 7 de la série "Espèce en voie d'évolution" :

Espèce En Voie d'Evolution - Exosquelette
Couleur 3 : audio divers - Publié le 27 août 2018

Dans le cadre de l'assistance aux personnes handicapées, l'objectif de l'exosquelette est d'atteindre des capacités égales à celles d'une personne valide. Celui-ci doit toujours être fiable et réagir de manière adaptée aux comportements humains qui peuvent être imprévisibles. Pour monter les escaliers par exemple, l'exosquelette doit pouvoir supporter tout le corps de la personne mais aussi rester léger, guider le mouvement et supporter les impulsions des bras.

Il existe aussi des exosquelettes destinés aux personnes valides. Ceux-ci sont utilisés dans le cadre de l'exercice d'un métier physique qui demande beaucoup d'effort sur les jambes ou encore afin d'améliorer la précision de certains gestes. Ce type d'exosquelette permet de devenir une sorte d'humain augmenté.

Les technologies sont une chance mais il faut aussi savoir garder sa sagesse et savoir mettre un frein à cette ambition de toujours devenir meilleur, savoir rester simple.

Silke Pan, ancienne athlète devenue paraplégique.

Pour Thierry Magnin, docteur en physique et théologie, "certains humains sont en très bonne santé mais malheureux alors que des personnes handicapées rayonnent de bonheur. Cela démontre que la mécanique du corps ne fait pas tout." Les études en biologie démontrent que l'une des caractéristiques du vivant est sa capacité d'adaptation. Celui-ci doit être robuste et vulnérable en même temps afin de pouvoir s’adapter. Prendre soin du vivant, c'est prendre soin de cette harmonie entre robustesse et vulnérabilité.

Selon Valentine Gourinat, spécialiste en éthique et science de la vie, l'être humain se trouve dans une sorte de cyborgisation par le biais de son hyperconnexion permanente. En effet, nos compétences communicationnelles s'étendent par le biais des machines, des téléphones.

Je pense que la fusion homme/machine viendra peut-être plus par les modes de communication que par l’insertion dans le corps lui-même. Parce que le corps reste une enveloppe qui résiste à la technologie.

Valentine Gourinat, spécialiste en éthique et science de la vie.

Avec les nouveaux modes de communication tels que les téléphones portables, "les adolescents changent leur moyen de communiquer les uns avec les autres" ajoute la chercheuse. De même, notre rapport à l'information s'est vu transformé avec l'arrivée d'internet. On ne cherche plus dans les livres ou les bibliothèques.

Contrairement à l'esprit, Le corps reste un lieu de résistance à la technologie mais aussi à tout corps étranger. "Ce phénomène naturel s'observe lorsqu'on essaie d'insérer des dispositifs prothétiques dans le corps mais aussi lors de greffes d'organes. Il faut apprendre à composer avec cette résistance." En revanche, des solutions alternatives telles que le recours aux biotechnologies semble faire leurs preuves. Cela concerne notamment la culture d'organes à partir de cellules souches. C'est une manière de contourner la résistance du corps.

Silke Pan aux commandes de Twiice. [EPFL exo]EPFL exo
Espèce en voie d'évolution - Publié le 28 août 2018

Chapitre 5
Le transhumanisme

Initié par un ami, Alexandre est membre de l'Association Française Transhumaniste. Ce qui l'a séduit dans ce mouvement, c'est l'idée que l'humain peut "devenir plus": "Aujourd'hui on peut devenir plus en pratiquant du sport, en se cultivant, mais toujours dans le cadre de ses limites biologiques. Une personne qui s'entraîne et se cultive toute sa vie finit inévitablement par s'éteindre et ne dépassera donc jamais un certain stade."

On pourrait imaginer des gens qui vont vivre en pleine santé par exemple 500 ans.

Alexandre, transhumaniste membre de l'Association Française Transhumaniste.

Selon Alexandre, le recours à la technologie pourrait permettre de reculer cette date et de pouvoir ainsi acquérir le savoir et l'expérience de plusieurs vies actuelles cumulées. De même, ses capacités cognitives se développeraient probablement. En conséquence, "ces personnes pourraient vivre une existence beaucoup plus riche et intense."

Alexandre fait la distinction entre deux types d'augmentations: d'un côté, celles qui sont souvent mises en avant et qui permettent d'être plus fort que le voisin, mais qui ne changent pas fondamentalement l'essence de l'être humain. De l'autre, il y a la possibilité de vivre 100 ans de plus en bonne santé dans un but de développement personnel, ce qui selon lui a beaucoup plus de valeur.

>> À voir: Le teaser de l'épisode 6 de la série "Espèce en voie d'évolution" :

Espèce En Voie d'Evolution - Le transhumanisme
Couleur 3 : audio divers - Publié le 27 août 2018

Pour Valentine Gourinat, spécialiste en éthique et science de la vie à l'Université de Lausanne, le corps "est ce qui construit notre expérience. Sans le corps, on n’a pas de connaissances."

Les branches du transhumanisme qui voudraient télécharger notre esprit dans un support numérique n'ont pas compris grand-chose à l'humanité.

Valentine Gourinat, doctorante en éthique et science de la vie à l’Université de Lausanne,

La chercheuse craint que le développement d'une société de l'augmentation et de l'amélioration ne ferait qu'exacerber les injustices entre populations: "La médecine à deux vitesses constitue un risque réel". Ainsi, le transhumanisme anglo-saxo revendique le fait de se cultiver soi-même. "C'est une idéologie individualiste poussée à l'extrême où l'homme va chercher à s'améliorer avec ses propres moyens et devenir meilleur que les autres". Au contraire, le transhumanisme français "revendique la notion de justice sociale et de techno-progressisme: ils vont chercher à améliorer la société dans son ensemble, à mettre en place des technologies qui puissent profiter à tous."

Pour Thierry Magnin, docteur en physique et en théologie, l'idée est de vivre le plus longtemps possible dans la meilleure santé semble cohérente. On voit ainsi aujourd'hui "des gens en très bonne santé qui commencent une deuxième vie au moment de la retraite". Si les technologies aident à lutter contre le vieillissement cela ne peut être que bénéfique mais n'empêche pas que le sens de la vie, ce n'est pas les technologies qui le donne. Et de conclure, "on aura envie de vivre 150 ans si la vie vaut le coup de l'être."

Le transhumanisme réfléchit à l'avenir de l'humanité. [Fotolia - viz4biz]Fotolia - viz4biz
Espèce en voie d'évolution - Publié le 27 août 2018

Chapitre 6
Les robots en EMS

Les réactions des résidents d'EMS aux robots sont plutôt positives. Pour certains, c’est une expérience plaisante et amusante, pour d'autres, elle apporte "beaucoup de chaleur", cela peut même être un véritable "baume au cœur".

Pour le directeur médico-social de la Fondation Primeroche, Christian Weiler, l’utilisation des robots en EMS est aussi un test réussi. Le robot doit, selon lui, pouvoir répondre à deux demandes. D'un côté il doit être capable d’assurer l'animation d’un tel établissement, en chantant, dansant, en dialoguant avec les résidents ou même en participant à des cours de gymnastique, par exemple. De l'autre, il doit aussi être à même d’assurer la surveillance des pensionnaires, notamment durant la nuit, où l’effectif humain est réduit.

La raison évoquée par Christian Weiler d’adopter cet outil en EMS vient du fait que ces établissements éprouvent des besoins croissants pour accompagner les personnes âgées, alors que les moyens humains et financiers sont plutôt à la baisse.

Espèce En Voie d'Evolution - Les robots en EMS
Couleur 3 : audio divers - Publié le 16 août 2018

Mais un robot dans un EMS, est-ce vraiment une bonne chose? Pour Valentine Gourinat, spécialiste en éthique et sciences de la vie, l’utilisation des robots en EMS peut avoir des avantages, mais il ne faut pas qu'elle se substitue au contact humain. Les robots sont utiles car ils apportent des solutions là où il n'y a plus les moyens financiers et humains pour la prise en charge. Mais pour la chercheuse, il ne faudrait cependant pas qu'ils soient utilisés comme outil de substitution. Robots et humains sont complémentaires.

Pour Tristan Garcia, philosophe et écrivain, il est "peut-être plus beau de finir sa vie avec des machines que de la commencer avec des machines." Il s'inquiéterait plus d’une robotisation de la sphère de l’éducation que de celle de la fin de vie. La vieillesse peut être accompagnée d'une grande solitude et, d'après le philosophe, les robots offrent un grand potentiel de vie affective entre les personnes âgées et les formes de vies artificielles.

C'est à la fois satisfaisant parce que cela vient pallier un défaut de soin à l'égard d'une humanité vieillissante […] et en même temps on se sent un peu honteux.

Tristan Garcia, philosophe et écrivain

Selon Christian Weiler, les personnes âgées se posent moins de questions sur la nature de l’interlocuteur que les personnes jeunes, valides et responsables. "Ce qui est fantastique avec les personnes âgées, c'est que pour eux, s'adresser à une personne, un robot ou parfois même une tondeuse à gazon ça peut être, à leurs yeux, un interlocuteur valable." Pour Valentine Gourinat, cette capacité à dialoguer avec les robots vient de "notre extraordinaire capacité d'empathie". Une capacité présente dès l'enfance qui nous permet notamment de projeter nos émotions sur des poupées ou des marionnettes.

Cependant, Solange Ghernaouti, experte en cyber-sécurité et cyber-défense, s'inquiète de la digitalisation croissante de notre monde. Avec elle, tout devient "mathématique, arithmétique, statistique". Solange Ghernaouti craint de perdre la richesse potentielle qui peut émerger de la faillibilité humaine.

Les robots sont à la fois une chance et un risque.

Thierry Magnin, docteur en physique et en théologie

Thierry Magnin, docteur en physique et en théologie, partage cet avis. Pour lui, il est important de ne pas projeter la perfection des machines sur les attentes qu'on a de l'humanité: "Ces objets deviennent des objets de compagnie, et bien sûr, on projette sur les robots nos propres vues, donc ils peuvent devenir en quelque sortes des compagnons". Cela ne signifie pas pour autant que les robots doivent remplacer le vivant. Ils doivent être là pour aider l'humain, non se substituer à lui, conclut-il.

Un robot humanoïde debout sur une table.
Espèce en voie d'évolution - Publié le 17 août 2018

Chapitre 7
Le porno

Yaëlle et Nicolas, aujourd'hui mariés, ont tous deux développé la même addiction à la pornographie durant leur plus jeune âge, avant même de se connaître. Selon Jacques Besson, psychiatre et addictologue, qu’il s’agisse de substances ou de comportements, "les addictions sont toutes caractérisées par un tronc commun: la perte de contrôle d’une consommation [...], en dépit des conséquences négatives."

Pour moi, Internet est venu trop vite. Je préférerais qu'il y ait un peu plus de barrières. Tout est trop libre, trop accessible, donc je le vois un peu comme une malédiction.

Yaëlle, ancienne addicte à la pornographie

Pour Nicolas, c’est l’arrivée d’Internet qui a précipité les choses: "il y avait tout à coup des milliers de vidéos qui sortaient tous les jours", et à partir de là, dans sa situation, "on ne s’arrête plus". Sans Internet, ce serait probablement resté "quelque chose de contrôlable". Pour lui, disposer d'un accès au web illimité à la maison, "c’est comme si on avait des armes, de la drogue, des revues pornographiques et de l’alcool sur la table de notre salon". Un univers fait de tentations, "pas facile à gérer pour tout le monde". "Il faut donc apprendre à contrôler ces choses, sans quoi on risque de se faire totalement absorber."

Espèce En Voie d'Evolution - Le porno
Couleur 3 : audio divers - Publié le 15 août 2018

L’addiction de Yaëlle s’est développée suite à un immense traumatisme d’enfance. Après avoir subi des années d’abus sexuels, "tout s’est arrêté du jour au lendemain". A partir de ce moment-là, "quelque chose me manquait, quelque chose que j'avais besoin de trouver, des sensations que j'avais envie de comprendre". C'est ainsi qu'elle a découvert la masturbation. Puis, avec l'arrivée d'Internet, tout s'est accéléré. Et lorsqu'elle a voulu arrêter, Yaëlle a réalisé que ce n’était plus possible.

J’avais besoin de voir des filles qui souffraient plus que ce que moi j’avais souffert.

Yaëlle

Pour Jacques Besson, on repère un trouble addictif principalement aux symptômes d’accoutumance dès l'arrêt de la consommation en question: "il s’agit d’un système d’alerte qui montre que notre système biologique, cérébral est devenu accoutumé et qu'il y a des conséquences biologiques si l'on cesse la consommation."

"Porn kills love."
Espèce en voie d'évolution - Publié le 15 août 2018

Plusieurs facteurs sont déterminants dans la naissance d'une addiction. "On parle aujourd'hui en termes de vulnérabilité", explique Jacques Besson. On trouve notamment des vulnérabilités génétiques: avec des parents de premier degré (oncles, parents, frères et soeurs) qui ont des problèmes d’addiction, "votre risque d’avoir une addiction vous-même est multiplié par huit". Il existe également des vulnérabilités psychologiques: "les troubles anxieux et dépressifs" risquent de pousser les gens à se tourner vers des substances ou des comportements à risque. Il en va de même pour les personnes ayant subi de graves traumatismes dans l’enfance. Enfin, le psychiatre et addictologue ajoute qu'il existe des facteurs de vulnérabilité sociaux et culturels.

Aujourd’hui, pour gagner en liberté, on a besoin de limiter nos possibilités.

Nicolas, ancien addict à la pornographie

Pour Jacques Besson, "les politiques sont dépassés par les technologies" et la régulation d'Internet est devenue "une chimère": "ce qui est possible est accessible, ce qui est accessible est possible et à partir de là, on doit se débrouiller". Le psychiatre déclare "qu'un enfant de 12 ans qui découvre la sexualité à travers la pornographie, c'est catastrophique", mais on ne peut pas l'empêcher. Il estime que c'est la responsabilité des adultes de l'y préparer. Jacques Besson prône "une meilleure éducation sexuelle qui se ferait plus tôt [et de manière] plus précise".

Le danger de se retrouver à l'insu de son plein gré dans un film pornographique. [Fotolia - tashatuvango]Fotolia - tashatuvango
Espèce en voie d'évolution - Publié le 16 août 2018

Chapitre 8
Le monde virtuel

Une séparation, des moyens de communication qui rendent accessible jour et nuit, une vie devenue insoutenable: durant sept ans, Karine a subi un harcèlement sans relâche. Les messages ont commencé lorsqu’elle a dû quitter la maison avec ses enfants après s’être séparée de son ex-mari, qui ne l'a pas supporté. Depuis là, elle a subi jour et nuit des injures et des menaces de morts, dirigées contre elle, mais aussi contre ses proches, ses amis, ses collègues, et même sa cheffe. Se sentant sans cesse traquée, épiée, Karine vivait dans un état d’alerte constant. Après avoir déposé sept plaintes, le harcèlement a finalement cessé.

La barrière entre le virtuel et le réel est fragile. "On pourrait définir le virtuel comme la présence de l'absence" explique Jacques Besson, psychiatre et addictologue. Avec le virtuel, on observe "une abolition de l’espace-temps, nous sommes toujours partout, tout le temps".

Notre vie n’a pas simplement été facilitée par les écrans, elle a été transformée.

Tristan Garcia, philosophe et écrivain

Ainsi, pour les personnes atteintes de problèmes psychopathologiques, cette proximité informatique est un risque. Il ajoute que se défaire d’un harceleur est toujours très long car il faut amener des preuves solides. Ces situations peuvent durer très longtemps et parfois finir mal, et, selon le médecin, l'Etat n’est pas forcément prêt à protéger les individus.

Un historien s’est intéressé au nombre de fois où un paysan du XIIe siècle se voyait dans sa vie. N’ayant pas de miroir à la maison, il n’avait alors qu’une vingtaine d’expériences dans sa vie au cours desquelles il avait réellement accès à son visage. Pour un adolescent d’aujourd’hui, c’est ce qui doit se passer en une demi-journée. Pour Tristan Garcia, cela a indiscutablement transformé nos expressions et nos émotions.

Espèce En Voie d'Evolution - Le monde virtuel
Couleur 3 : audio divers - Publié le 13 août 2018

Selon Valentine Gourinat, les réseaux sociaux changent avant tout la mesure de notre monde. Le danger serait d'oublier la dimension dans laquelle notre corps est, dans laquelle on vit, notre entourage proche, notre vie réelle. Mais la vie virtuelle n’est pas mauvaise en soit, elle ouvre un champ, permet des découvertes que l'on n'aurait pas faites dans un monde sans Internet.

On peut tirer énormément de bonnes choses des réseaux sociaux.

Valentine Gourinat, doctorante en éthique et en science de la vie à l’Université de Lausanne

Selon Solange Ghernaouti, le monde virtuel ne sera jamais "la" réalité mais restera une réalité "virtuelle". Pour elle, ce monde-là pose problème puisqu'il "a été imposé par une poignée d’acteurs sans que tout le reste de la planète ait eu l'occasion de réfléchir et de se positionner". Et si l’on refuse cette vision, on se prive de tout un tas de services qui n'existent plus dans le monde physique réel.

Ce que souhaite l'experte avec l’informatisation de la société, c'est d’arriver avec quelque chose "en plus" et non avec quelque chose qui vient "en remplacement". Selon elle, dans ce contexte, les technologies peuvent apporter beaucoup.

Faut-il instaurer un droit à la déconnexion? [Fotolia - dolphfyn]Fotolia - dolphfyn
Espèce en voie d'évolution - Publié le 14 août 2018

Chapitre 9
La cryogénisation

"Génétiquement réfractaire à la mort", Gilles Cotton est adepte de la cryogénisation et croit dur comme fer aux progrès exponentiels de la science dans un avenir proche. Selon lui, les maladies de dégénérescence comme Alzheimer ou le cancer seront soignables, "un peu comme une grippe", dans plusieurs décennies ou siècles.

La cryogénisation vise à arrêter le temps et à attendre le moment propice pour revenir.

Gilles Cotton, adepte de la cryogénisation

Gilles Cotton définit la cryogénisation comme "la préservation par le froid des cellules du corps". Du corps entier ou d'une partie. La Russie par exemple s'est spécialisée dans la conservation des têtes, autrement dit des cerveaux, "en considérant que le corps sera facile à recréer à un moment donné" ajoute Gilles Cotton.

Espèce en voie d'évolution - cryogénisation. [RTS]
Couleur 3 : audio divers - Publié le 13 août 2018

La cryonie est l'un des aspects les plus décriés du transhumanisme, selon Valentine Gourinat, doctorante en Éthique et en Science de la vie à l’Université de Lausanne. L'Association Française Transhumaniste a d'ailleurs pris position sur ce point, en se déclarant contre la promotion de la cryonie. Pour la chercheuse, les adeptes de cette méthode "font un pari sur l'avenir", car "il y a tellement d'aléas": que se passerait-il en cas de coupure de courant par exemple? De son côté, Gilles Cotton estime que les transhumanistes s'occupent plus "de la première partie du sujet, c'est-à-dire arrêter le vieillissement, soigner" les maladies. Ce n'est pas le même chemin que celui des adeptes de la cryogénisation, mais les deux "devrai[en]t se rejoindre à un moment donné".

Le philosophe et écrivain Tristan Garcia ne craint pas que l'allongement démesuré de la vie ne diminue sa valeur. Par contre, "on diminue logiquement le nombre de premières fois. […] [En enlevant] le terme de la mort, vous allez produire une vie de plus en plus longue, mais de moins en moins forte".

Vouloir s'immortaliser de cette manière […] va nous rendre incapables de supporter la mort.

Tristan Garcia, philosophe et écrivain

Il voit un grand danger dans cette quête d'immortalité, celui de devenir trop "sensible" à la mort: "Imaginez le scandale que ce serait, dans une humanité où on pourrait vivre 1500 ans, qu'un enfant de deux ans meure. Ce serait insoutenable". Tristan Garcia estime que les hommes devaient accepter la mort plus facilement au Moyen-Âge, quand l'espérance de vie était plus courte. Et de citer des descriptions de chevaliers attendant passivement la fin chez Chrétien de Troyes. Une attitude impensable pour l'homme moderne d'après le philosophe: "Si la mort vient, j'essaye de lutter contre, puisque j'ai de plus en plus les moyens médicaux et techniques de le faire".

L'idée d'être cryogénisé et de revenir dans un monde inimaginable aujourd'hui en effrayerait plus d'un, mais c'est l'une des principales motivations de Gilles Cotton, un homme au caractère "extrêmement curieux". "Franchement, j'en rêve", conclut-il.

Rencontre avec Gilles, un adepte de la cryogénisation, dans "Espèce en voie d'évolution". [Cultura Creative - Jonathan Pow]Cultura Creative - Jonathan Pow
Espèce en voie d'évolution - Publié le 13 août 2018