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Henri Vieuxtemps et son concerto pour violon no 5, en nerfs et en pompe

Henri Vieuxtemps - Concerto pour violon n°5 "Grétry"
Henri Vieuxtemps - Concerto pour violon n°5 "Grétry"
Au milieu du siècle des virtuoses, comment se démarquer de la masse? Retour sur l'histoire derrière le "Grétry", acclamé par Schumann et Berlioz.

En 1815 a lieu la bataille de Waterloo. Napoléon s’enlise en future Belgique et capitule. Ni une ni deux, la Maison de France, la famille de tous les Louis est de retour au pouvoir via Louis XVIII, frère de Louis XVI guillotiné 20 ans plus tôt. En présence de Louis XVIII, à Versailles désormais on chantera: "où peut-on être mieux, où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille?"

C’est vrai, surtout quand elle revient aux affaires. Tout le monde est content, sauf la partie de la famille qui a été guillotinée. Le cœur, les yeux, tant que le corps n’est pas démembré. Vivons, aimons comme nos bons aïeux. On a le pognon, mais on va essayer de ne pas mourir comme eux.

Cinq ans plus tard alors que Paris est en pleine restauration, Henri Vieuxtemps naît à Verviers, future Belgique. Violoniste, il a déjà un niveau professionnel avant la puberté. Avec son talent, il conquiert la Russie, l’Allemagne, la France et l’Amérique. Mais il veut composer aussi. Et quand un violoniste compose, il écrit pour le violon.

>>A écouter: "Concerto pour violon no 5" d'Henri Vieuxtemps, interprété par Nikita Borisoglebsky

Le "Grétry", un concerto en nerfs et en pompe

Le 5ème concerto de Vieuxtemps naîtra en plein milieu du XIXème, siècle de nerfs, siècle de pompe. D’abord les nerfs, mis à rude épreuve par l’air du temps romantique et les poètes écorchés vifs: le thème de base est dramatique. Il se contente de 4 notes: 2 d’espoir, 2 de plainte par-dessus lesquelles émerge le hautbois. Un thème allégé par des phrases chics "à la française".

Ensuite la pompe : grandiloquent et impérial, Vieuxtemps écrit à une époque où tout grandit. Instruments plus grands qui sonnent plus fort, mains des pianistes écartelées, symphonies de plus en plus longues et orchestres de plus en plus gros. En ce siècle un peu boursouflant, "pompeux" n’est pas un mot vexant, c’est au contraire un compliment.

De la première à la dernière note, Vieuxtemps nous embarque dans un Zauberkreis, un sort circulaire. Et nous ne trouvons ni début ni fin.

Robert Schumann

Dans ce concerto de pompe et de nerfs, en-dehors de ces 2 extrêmes, ni grandiloquent ni nerveusement torturé, un thème chaleureux arrivera, et ce thème sera … liégeois! "Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille" est en fait un air de Grétry, qui fait sa carrière à Paris. Et c’est cette mélodie que Vieuxtemps reprend ici, ce qui suffira à valoir à ce concerto le surnom de "Grétry".

Se faire une place dans le siècle des virtuoses

Hector Berlioz applaudit et souligne "la beauté et la structure intelligente" de la musique de Vieuxtemps mais il ajoute: "S’il n’était pas un si grand virtuose, on l’acclamerait comme un grand compositeur."

C’est que de fait, au XIXe, se multiplient les virtuoses qui multiplient les notes dans tous les sens. Quand ils n’auront plus que leurs partitions pour se défendre, la postérité sera dure avec eux et fera un tri douloureux. Par-dessus les oubliés et les virtuoses qui pompent les nerfs, dans le répertoire hérité du siècle de nerf et de pompe, Vieuxtemps survit pourtant encore, joué par certains des plus grands du monde.

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