Le début de la vie privée peut se situer au 4e siècle avant JC, quand Hippocrate édicte dans son célèbre serment le droit au secret médical: "je tairai ce qui n'a jamais besoin d’être divulgué". Quelques années plus tard, Aristote distingue l'Oikos (le foyer privé), le Koinos (les lieux communs) et le Polis – la cité peuplée "d'animaux politiques" qui font le choix de vivre ensemble. Trois niveaux d'intimité qui rappellent les options disponibles sur les réseaux sociaux.
Mais pour les antiques Romains et Grecs, "privé" et "public" n'a rien à voir avec ce que nous connaissons aujourd'hui! À Rome, 9 logements sur 10 n'avaient pas de murs intérieurs, et les maîtres de maison naissaient, vivaient et mouraient aux yeux de tous. On se lavait dans la pièce centrale, et les latrines publiques étaient un haut lieu d'échange et de discussions. Comme quoi la "nécessité" de communiquer quand on est sur le trône n'est pas une invention de l'époque des smartphones!
Un concept d'intimité relativement récent
Dans le gymnase grec, la nudité est la norme, et pas que dans les vestiaires. Plus on est riche, plus on vit en public… à l'exact opposé d'aujourd'hui où les grands de ce monde dépensent des fortunes pour se cacher.
En fait, les seuls qui ont droit au calme sont les moines, en tous cas jusqu'à une invention du 16e siècle: la chambre à coucher! Et encore... Lors des mariages royaux, les époux sont accompagnés dans leur lit par toute la noce, et exhibent leurs draps à l'aube pour prouver la tenue du devoir conjugal.
Il faut attendre parfois jusqu'au 19e siècle pour voir l'idée d'intimité émerger pour de bon et pour tout le monde. Dans les maisons des classes aisées, on réserve un cabinet privé au chef de famille afin que les affaires puissent être traitées en toute discrétion.
>> Aller plus loin en écoutant l'émission "La vie privée":
C'est à la même période que naît véritablement le droit à la vie privée, sous la plume de deux avocats de Boston qui souhaitent "protéger l'individu contre l'invasion de la presse trop entreprenante". Ils réagissent à certains abus flagrants, comme l'usurpation du visage de Frances Cleveland, la femme du président. Des publicitaires utilisent son image pour vanter des crèmes de beauté, des vêtements, ou du chocolat… sans lui en demander l'autorisation.
C'est en 1948 que la déclaration universelle des droits de l'Homme cimente le droit de chacun à la protection contre les "immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance." De belles intentions… pas si simples à appliquer, surtout pour les puissants!
Au 21e siècle, l'homo numericus, lui, nage en pleine contradiction. D'un côté, il n'a jamais partagé autant d'informations sur sa vie privée via ses réseaux sociaux. Et de l'autre, il exige de l'État une protection maximale.
Laurent Haug, Emmanuelle Vuillequez et Tania Chytil
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