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L'eau minérale au Niger? "Un luxe!"

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A Niamey, capitale de ce pays africain parmi les plus pauvres du monde, ils sont rares à pouvoir s'offrir une bouteille de flotte. Près de 40% des Nigériens n'ont carrément pas accès à l'eau potable.

«Moi, j'ai plus confiance en l'eau minérale qu'en celle du robinet. Elle provient d'une source, elle a de réelles vertus.» Au Niger comme en Suisse (voir notre édition d'hier), certains ne jurent que par la flotte en bouteille. Adamou en fait partie. Ce jeune directeur commercial d'une grande société de radio et télévision basée à Niamey, la capitale, est pourtant l'un des rares privilégiés à pouvoir faire ce choix dans un pays où, selon les dernières estimations, plus de 38% de la population n'a simplement pas accès à l'eau potable. Seules les villes sont en effet raccordées au réseau, privatisé et exploité par le géant français Véolia Water.

Le profil de ceux que l'on voit attablés en train de siroter une Evian ou se baladant en ville une bouteille PET à la main? «Il y a bien sûr des Nigériens aisés, mais surtout des touristes ou des expatriés qui ne font pas confiance à l'eau du robinet», avance un collaborateur de l'Institut national de la statistique (INS-Niger), à Niamey, sans pouvoir fournir de recensement détaillé. Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, qui serait «le deuxième plus pauvre du monde» à en croire les Nations Unies, seule une niche peut s'offrir ce qui est considéré là-bas comme un «produit de luxe», même par des Européens installés sur place. «Vu le prix de l'eau minérale, dont la qualité n'est pas forcément garantie, j'ai préféré investir dans l'achat d'un filtre», témoigne ainsi un ressortissant suisse.

Une boisson hors de prix

Alors que, chez nous, les grandes chaînes de distribution Aldi, Coop ou Migros ont démocratisé encore plus l'eau embouteillée, en la proposant dès 30 centimes les 1,5 litres, les marques locales nigériennes - Aïr, Rharous et, depuis peu, Al Azrak - se vendent à 400 francs CFA (environ 1 franc suisse, ndlr.) dans les «boutiques». Et 10% de plus si elles sortent du frigo. Dans ces petites échoppes, où l'on vend boissons et produits de première nécessité, on trouve aussi, parfois, des eaux prestigieuses comme Evian, Contrex ou Vittel. Mais à 1000 francs CFA le grand flacon, une toute petite minorité de Nigériens peut se les offrir. Dans ce pays, le revenu minimum dépasse tout juste les 30 euros. Soit moins de 50 francs suisses ou... 20 litres de Vittel par mois. Dans un des supermarchés libanais de Niamey, le Marina Market sur l'avenue de l'Amitié, des bouteilles de Perrier de 7,5 dl sont même proposées à 2,50 francs suisses. Plus cher que l'essence!

«Ici, au bar, il faut débourser 1500 francs CFA (3,75 francs suisses) pour cette bouteille d'un litre et demie qu'on paie trois fois moins cher au commerce du coin», s'extasie Issoufou Mazadou. Cela n'empêche pas ce chauffeur de taxi officiel du Grand Hôtel du Niger - «deux femmes, 15 enfants et 17 petits-enfants», décline-t-il - de carburer à la flotte en bouteille. De la Jirma, venue du Burkina Faso voisin, en l'occurrence. «C'est mon médecin qui me recommande d'en boire pour des raisons de santé», se contente-t-il de justifier. Quant au coût exorbitant de l'or bleu en PET, il en rigole: «Pour un patron comme moi, ce n'est rien, j'ai été longtemps employé de banque. En plus, aujourd'hui, je fais des affaires avec mes clients européens», se vante Issoufou, exhibant sa liste de tarifs: en une journée, au volant de sa vieille caisse à la climatisation défaillante, il peut se faire jusqu'à 25 000 francs CFA. De quoi le propulser dans l'élite du pays.

Quelques milliers d'adeptes

En l'absence de statistiques précises, difficile à dire combien de Nigériens sont des inconditionnels de l'eau minérale - ou ce qu'ils croient en être. «A peine quelques milliers sur 13 millions d'habitants», avance Nouhou Mamadou Arzika, président de l'Organisation des consommateurs du Niger (Orconi). Une impression que les données de l'INS semblent confirmer. Selon l'«Enquête démographique et de santé 2006», l'utilisation de l'eau en bouteille comme «principale source d'approvisionnement» est quasi nulle dans le pays. Il n'y a guère qu'en milieu urbain qu'on en consomme. Et avec modération. A Niamey, là où elle est la plus concentrée, la proportion de buveurs d'eau en bouteille n'y est que de 0,4%. A des années lumière de la Suisse, où, selon un récent sondage Link, quasiment un Suisse sur deux (44%) est «accro» à l'eau minérale.

Au Niger, même si on a le porte-monnaie bien garni, rien n'assure par ailleurs que l'on se porte à ses lèvres une eau véritablement minérale. «Eau de source ou eau purifiée industriellement? Jusqu'à récemment, aucune composition ne figurait sur l'étiquette», rappelle Nouhou Mamadou Arzika. En outre, les sociétés d'embouteillage rechignent toujours à coopérer avec le LANSPEX (Laboratoire national de santé publique et d'expertise), contraint du coup de procéder à des contrôles inopinés. Par ailleurs, souffle la directrice du Bureau de la coopération suisse au Niger, Ursula Funk, «il y a toujours des risques que les célèbres marques françaises soient des contrefaçons faites au Nigeria où on a l'art de tout copier».

A ce tarif-là, certains préfèrent aller s'approvisionner à des forages proches de la capitale. Les bidons de 30 litres y coûtent à peine quelques centimes suisses. Cette eau de profondeur, qui n'a pas le goût ni l'odeur de certaines eaux du robinet traitées chimiquement, serait «excellente et pleine de vitamines», selon un usager. «Même des Européens viennent y remplir leurs bidons!» Eau en bouteille, du robinet ou encore du forage? Pour les citadins, c'est autant une question de moyens que de goût. Dès qu'on entre dans les terres, en revanche, les éleveurs en transhumance n'ont guère d'autres choix que d'aller jusqu'au prochain puits ou de boire à même les mares où s'abreuve leur troupeau. Là, ce n'est plus une question de prix. Mais de survie.

Francis Granget - de retour de Niamey

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Les marques locales

Niger Star SA: Première usine d'embouteillage du Niger, produisant la marque Aïr, elle a ouvert ses portes en 2003 dans la zone industrielle de Niamey. Et elle a refusé de nous les ouvrir lors de notre passage. Motif? La direction nous aurait pris pour des «espions à la solde de groupes européens, dont Nestlé, désireux de s'implanter sur son marché». Selon des rumeurs persistantes, «la qualité de l'eau pourrait expliquer une certaine méfiance vis-à-vis des journalistes».

Rharous: Puisée en profondeur dans la région d'Agadez, à 1000 km de Niamey, «cette eau de source ne souffre d'aucune contestation quant à ses qualités minérales», selon l'Organisation des consommateurs du Niger (Orconi). Mais, minée par un conflit touareg, la région est difficilement accessible. Seuls chiffres dont dispose l'Institut national de la statistique : le montant des ventes pour 2006 s'élève à 96,2 millions de francs CFA (un quart de millions de francs suisses). Dont une «plus-value» de 65 millions. Intéressant!

Al Azrak: C'est la dernière-née. Sur la route de l'aéroport, à Niamey, cette société commercialise «l'eau minérale naturelle du Niger» avec, sur son étiquette, le fameux Pont Kennedy enjambant le fleuve Niger. La mise en bouteille y serait, affirme-t-on, «conforme aux normes internationales». L'entreprise étant toute neuve, aucun détail sur sa production n'y est cependant disponible.

Les marques Jirma et Lafi, du Burkina Faso voisin, sont parmi les plus courantes. Toutefois, les importations étant apparemment marginales, aucune statistique n'existe.

De «l'eau pure» en sachets

«C'est une énorme tromperie!» Dans les rues de Niamey, des vendeurs ambulants ou des échoppes de fortune proposent une alternative plus avantageuse à l'eau minérale pour se désaltérer: des sachets de «pure water». Président de l'Organisation des consommateurs du Niger (Orconi), Nouhou Mamadou Arzika en est toutefois convaincu: ce liquide n'a de «naturel et purifié» que le nom. Quant à la promesse de «fraîcheur», par plus de 40 degrés, elle s'évapore très vite.

A en croire les explications figurant en surimpression bleue sur des emballages plastiques censés contenir 500 ml, le précieux liquide proviendrait de Sokoto, au Nigéria voisin, ou d'une adresse assez vague à la République du Bénin. «C'est peut-être là que sont achetés les sachets. Pour le reste, la production est locale», ironise, sous le couvert de l'anonymat, un haut fonctionnaire nigérien.

«En fait, il ne s'agit rien de moins que de l'eau du robinet», dénonce le bouillant président de l'Orconi. Un pressentiment que l'on semble partager au sein du Laboratoire national de santé publique et d'expertise (LANSPEX), sans pouvoir donner de confirmation scientifique. Toutefois, un observateur visiblement bien renseigné en atteste: «J'ai vu des gens remplir des sachets, à même la rue, avec du liquide transvasé dans de vulgaires seaux, affirme-t-il. Non seulement, il n'y a aucune opération de traitement ou de filtrage. En plus, cette eau stagne sans précaution d'hygiène, au soleil et parfois assez longuement avant d'être conditionnée.»

Du coup, même si ce précieux breuvage est sans danger pour la population locale, il est déconseillé aux Européens, à l'organisme aseptisé et délicat, de vouloir étancher leur soif en perçant à pleines dents l'un de ces sachets d'«eau de table». Dans les pays tropicaux, la règle est connue: il faut se méfier des glaçons et de l'eau du robinet. Empaquetée ou non! FG