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Rentrer, pour le peuple seulement

Le Roi Mwambutsa
Le Roi Mwambutsa
Entre la Suisse et le Burundi, il existe un lien peu connu. Dans la banlieue de Genève, à Meyrin, repose Mwambutsa IV, qui a régné sur le Burundi entre 1915-1966. Le monarque a demandé à être enterré en Suisse, sa terre d'exil. Sa fille, qui vit à Genève, souhaite respecter les dernières volontés de son père. Au pays, des voix s'élèvent pour réclamer le retour de la dépouille royale. Par Antoine Kaburahé

Cimetière de Feuillasse à Meyrin, près de Genève. De belles tombes impeccablement alignées, fleuries. Le calme des lieux est troublé très régulièrement par un avion qui décolle de l'aéroport international de Genève tout proche. Mwambutsa IV, le roi du Burundi repose, semble-t-il, dans ce cimetière. Mais où ? Il ya une centaine de tombes. Peut-être plus. A travers les allées, la recherche s'annonce longue, difficile. Une allée. Une autre. La tombe du roi est-elle encore là ? Le règlement qui régit les concessions dans les cimetières est catégorique: « La durée légale d'une tombe est de vingt ans au terme desquels la commune peut la désaffecter. » Le calcul est vite fait. Mwambutsa IV repose dans ce cimetière depuis 1977. Trente deux ans donc. A-t-on payé les frais?

Un avion de Swissair indifférent s'envole au-dessus du joli cimetière campagnard dans un bruit assourdissant. Pas de stèle «Mwambutsa IV» à l'horizon. Il fait chaud sur Genève. Soudain, dans le silence, le bruit d'un petit tracteur. C'est le gardien du cimetière qui s'occupe aussi de l'entretien des tombes. Gentiment, l'homme s'arrête et descend de son engin. «Ah! Vous cherchez la tombe du roi ? Elle est là, en contrebas, juste derrière.» De bonne grâce, il nous emmène montrer la sépulture.

Quel soulagement. Voilà la tombe, dotée d'une belle stèle de marbre. Une simple inscription: « Le roi Mwambutsa IV, 1912-1977.» Roi de quel pays? Ce n'est pas indiqué. Mais quel soulagement de voir que la tombe numéro 180 est belle et fleurie. Le gardien du cimetière connaît son histoire. Il en parle avec un certain respect. Mais qui donc paie et entretient la tombe? En bon professionnel, le gardien sort son portable et indique le numéro de la tombe. Efficacité suisse, trois minutes après, toutes les informations tombent. C'est une certaine Colette Uwimana qui paie la concession et l'entretien de la tombe. «Jusqu'en 2017, tout est en ordre» précise le gardien. Et ensuite? «Ensuite, la place revient à la commune, on peut alors y inhumer d'autres corps » conclut le gardien. Se ravisant, il nuance : «Je pense que même si la concession n'était pas payée, la commune traiterait avec respect cette tombe. C'est un roi, tout de même ». Des paroles réconfortantes de la part d'une personne qui ne connaît même pas le Burundi.

Les dernières paroles du roi

Le lendemain, dans un joli appartement situé à Meyrin. Du haut de ses soixante ans, Uwimana Colette est une belle dame, altière, au sourire franc. «Oui, c'est moi qui paie pour l'entretien de la tombe.» Sur les murs du salon, une grande photo de sa maman, la reine mère Thérèse Kanyonga, première épouse du roi Mwambutsa. Une autre photo tout aussi imposante de sa Majesté entouré de ses deux fils, les princes Charles et Louis. Le lieu est chargé d'histoire.

Fonctionnaire à l'ONU à Genève - elle refuse qu'on lui donne son titre de « Princesse » -, Colette Uwimana parle de son père Mwambutsa avec tendresse et respect. «Un homme doux, généreux, éprouvé par la vie». Mwambutsa IV est mort en exil, affecté par l'assassinat de ses deux fils Louis (1961) et Charles (1972). Par pudeur, Colette n'est pas très prolixe sur les derniers jours du roi, qui faisait lui-même ses courses. «Il vivait modestement tout près d'ici, il était très triste», se contente-t-elle de dire, ses beaux yeux à leur tour traversés d'un nuage de tristesse. A ses côtés, son mari, Guinéen, mais fin connaisseur de l'histoire royale burundaise, lui serre la main. «Le roi ne s'est jamais remis du choc de la mort de ses fils et de toutes les tragédies qui ont frappé son pays», raconte Bob. Le mari de Colette se souvient bien du monarque, qui, malgré l'adversité, est toujours resté « propre et élégant, les chaussures bien cirées. »

Un retour sous condition

«Seriez-vous prête à ce que la dépouille de votre père soit rapatriée au Burundi pour y être inhumée avec honneur ?» Colette, grave, donne une réponse digne : « Ecoutez, je vais vous dire quelles étaient les dernières paroles de mon père. Après ce qui lui était arrivé, il en voulait aux Burundais. Il est mort en colère et a exprimé son désir d'être inhumé en Suisse. Il ne voulait plus retourner au Burundi. Même mort.» La fille du roi prend une profonde inspiration. Puis, la colère contenue tout au long de l'entretien explose. « Au Burundi, ils ont tué le prince Louis, le prince Charles, presqu'un gamin, comment pouvait-il rester insensible à tant de cruauté. » Colette semble avoir oublié la question du retour de la dépouille royale. Un silence à couper au couteau s'installe dans le salon. Après un long moment, elle lâche : « Moi, je veux respecter les dernières volontés de mon père. Cela étant, si le peuple, je dis bien le peuple, pas le gouvernement, réclame la dépouille de son roi, personnellement je ne m'y opposerais pas. Mais il faudrait que ce soit la demande du peuple burundais, pas celle des politiciens. »

Cette bouffée de colère passée, Colette Uwimana se reprend, évoque des souvenirs du Burundi, « un pays extraordinaire ». Discrètement, elle jette de temps en temps un regard sur les photos de ses frères, les princes Charles et Louis. Les deux visages juvéniles encadrent leur papa en grande tenue. Tous les deux ont été assassinés - le cadet jeté dans une fosse commune - et leur père est mort en exil dans la tristesse et le dénuement à Genève. Trois destins brisés.

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Commentaire d'Antoine Kaburahe

Sire, pardonnez-nous et rentrez chez vous.

Dans un pays qui compte tant de charniers, pourquoi souhaiter le retour d'une dépouille, fut-ce celle d'un roi? Parce qu'une nation a besoin de symboles. Surtout une nation déchirée comme la nôtre.

L'histoire du Burundi, comme celle de la famille royale est tragique. Le roi Mwezi Gisabo (1850 environ à 1908) n'est pas arrivé au bout des fusils et canons allemands, malgré sa bravoure. Des Allemands qui brûlaient tout sur leur passage pour l'obliger à capituler. De guerre lasse, mais aussi pour sauver son peuple, Mwezi Gisabo a capitulé et signé le Traité de Kiganda en 1903. Le royaume qui avait fait face aux esclavagistes arabes a plié devant la supériorité des fusils allemands. Désormais, rien ne sera plus comme avant.

Après les Allemands, viendront les Belges. La cour royale déchirée, tantôt adversaire, tantôt complice, va essayer de composer avec l'occupant. Le roi Mwambutsa IV illustre bien ce déchirement entre l'ordre traditionnel et l'allégeance aux nouveaux maîtres. Adorant les beaux costumes, les voitures, le twist et autres voyages en avion, Mwambutsa IV refusera de se laisser baptiser.

Notre roi mérite-t-il de reposer éternellement loin de son pays ? Réconcilions-nous avec notre Mwami. Notre roi est une victime de l'histoire. Comme de nombreux Burundais. Rentrez chez nous sire, pardonnez-nous. Venez reposer au Mausolée qui surplombe Bujumbura, aux côtés de votre fils aîné, notre héros national. Votre cadet, le prince Charles, repose comme des centaines de milliers de Burundais quelque part dans une fosse commune. Sire, vous faites partie de notre Histoire. Donnez-nous au moins l'opportunité de montrer et dire à nos enfants : « Ici repose Mwambutsa IV, roi du Burundi ». Genève, c'est loin du Burundi, Majesté.