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"En Haïti, la Suisse a un rôle particulier"

Jean-Philippe Jutzi
Pose de la première pierre de l’école pilote de Petit-Goave par Urs Berner, ambassadeur de Suisse en Haïti
Jean-Philippe Jutzi est chargé de communication de l’aide humanitaire de la Confédération. Un an après son dernier séjour, il a rejoint Port-au Prince en ce début d’année et y restera une dizaine de jours.

Jean-Philippe Jutzi, en un an, les choses ont-elles évolué?

Oui. Indubitablement et malgré ce qu’on dit. Je me suis rendu près d’une dizaine de fois en une vingtaine d’années  sur les lieux de catastrophes naturelles (notamment à Bam (Iran), en 2003, lors du tsunami (Indonésie) en 2004 puis Haïti l’an dernier). De tels séismes sont extrêmement dévastateurs et on ne s’en relève pas en un an. A Port-au Prince (je n’ai pas encore pu aller voir d’autres villes), le long des grands axes, les changements sont importants même si de nombreuses maisons sont encore à terre. Les Haïtiens n’ont souvent que des pelles et des masses à disposition pour déblayer les gravats, pas assez de camions, peu de trax, ils font tout à la force du poignet. Mais la vie a repris dans la rue. Je ne suis pas certain d’ailleurs qu’en Italie, à l’Aquila, la reconstruction ait progressé de manière plus fulgurante.

Des centaines de milliers de personnes habitent encore sous tente ou dans des abris de fortune, sur les grandes places de la ville; mais elles sont nombreuses aussi à s’être installées sur les ruines de leur maison. Le cadastre et ses archives ont été détruits. Il est très difficile de déterminer à qui appartient telle ou telle maison. Une bonne manière de prouver son bon droit est l’occupation du sol. Dont acte. En habitant sur place, les Haïtiens déblayent peu à peu leur ruine…

Quel rôle joue la Suisse aujourd’hui?

Il y a la Suisse officielle, celle de la Confédération, et la Suisse des organisations non gouvernementales comme la Croix-Rouge, Terre des Hommes, Médecins sans Frontière, Médecins du Monde, Caritas, Helvetas, etc. La Suisse est un petit acteur comparée aux gros bailleurs de fonds. Nous ne sommes pas les États-Unis, ni la France ou l’Union européenne, nous ne pouvons pas régater. Mais nous avons aussi des avantages: une réputation du travail bien fait, des dossiers solidement étayés, un accent clairement mis sur le développement à long terme; la Suisse n’a  pas non plus d’"agenda caché", qui lui ferait passer ses intérêts avant ceux de ses partenaires. La Suisse traite d’égal à égal et peut donc jouer un rôle particulier: celui d’intermédiaire entre les ONG et le gouvernement haïtien. Ce qui nous a valu de pouvoir signer le premier contrat de reconstruction d’une école permanente qui servira de modèle pour tout un réseau d’écoles dans tout le pays.

Un engagement politique aussi?

Non, pas à proprement parler. Nous n’envoyons pas d’observateurs, par exemple. La Suisse intervient davantage au niveau technique et opérationnel. Le nombre de personnes au bureau de coopération de la DDC a quadruplé. Ils étaient trois avant le séisme, plus de 50 pendant la phase d’urgence et aujourd’hui une douzaine. Nous collaborons surtout avec les ministères de l’éducation nationale, des travaux publics et de la santé.

Il faut se rendre compte que le pays a perdu près de 30% de ses cadres et de ses fonctionnaires dans le séisme, alors que l’Etat haïtien était déjà défaillant avant. Il faut engager de nouveaux collaborateurs, les former surtout. Dans ces conditions, l’Etat ne peut pas faire face à toutes les demandes d’aide. On ne peut pas leur jeter la pierre. Donc, la communauté internationale, l’ONU, les bailleurs de fonds doivent les aider à organiser et à coordonner les travaux de reconstruction. C’est ça le grand problème, la coordination. Quand vous venez sur place, vous avez l’impression que tout le monde travaille dans son coin, sans consulter les autres. C’est plus compliqué que cela. Les grands bailleurs de fonds et les autorités haïtiennes passent énormément de temps à discuter pour essayer de se coordonner. Alors que nombre de petites ONG, souvent très peu professionnelles, travaillent en franc-tireur, pour hisser leur drapeau sur un projet, parfois simplement pour se faire connaître ou pour des motifs religieux! Mais les choses avancent… Il ne faut pas désespérer.

Comment la Suisse a-t-elle changé sa manière d’aider le pays après le séisme?

Haïti accueille depuis longtemps des ONG suisses. Depuis la fin des années 1990, la DDC (Direction du Développement et de la Coopération) a des projets consacrés à l’eau, à la protection des forêts et à la production alimentaire. Et l’aide humanitaire y est présente depuis 2005.

Avant le séisme, la Suisse avait déjà des projets de construction d’écoles. Que nous avons poursuivis, évidemment, en les adaptant aux nouvelles conditions. Nous avons d’ailleurs posé la première pierre d’un complexe scolaire pilote ce lundi 10 janvier 2011 à Petit-Goave. Combiné avec un deuxième établissement qui lui sera relié à Léogane, il pourra accueillir 1450 élèves dès la rentrée scolaire de septembre prochain. Ces deux  écoles sont évidemment conçues pour résister aux tremblements de terre et aux cyclones. La Suisse a par ailleurs créé en juillet à Port-au-Prince un Centre de compétences pour la reconstruction (CCR), dont la tâche est de fournir des conseils techniques et un appui au bureau de coopération de la DDC et aux ONG pour la réalisation de leurs projets de reconstruction. Ce centre a aussi une mission de formation et d’information. Formation pour les ouvriers du bâtiment. Information pour le grand public. Car il faut savoir que la grande majorité des Haïtiens construisent leurs maisons eux-mêmes, avec des matériaux souvent de piètre qualité. Pour leur expliquer comment reconstruire leur maison, très simplement, mais en respectant les normes antisismiques, des campagnes de sensibilisation vont être lancées: calendriers avec des dessins et campagnes d’affichage public pour faire passer ce message, diffusion de vidéos à la télévision.

Mais comment les Haïtiens survivent-ils dans ces conditions?

Les Haïtiens ne baissent pas les bras. C’est un peuple fier et indépendant; il n’aime pas se faire dicter des conditions, qu’on le traite avec condescendance. Mais ils vivent au jour le jour. Ce qui s’est passé hier est passé, ce qui viendra demain, on verra. Ce qui compte, c’est aujourd’hui: trouver à boire, à manger, reconstruire sa maison. Tout se fait à l’improvisation. Je vous l’ai dit, ils reconstruisent eux-mêmes puisque l’Etat n’est pas en mesure de les aider. Mais il faut qu’ils le fassent de manière à ce que le prochain cyclone ou le prochain séisme ne détruise pas à nouveau tout. C’est assez difficile de faire accepter la notion d’anticipation ici en Haïti... Il faudra du temps, mais les Haïtiens se relèveront.

Propos recueillis par Tania Chytil, 10 janvier 2011.

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Le point sur l'épidémie de choléra

À la suite du séisme de janvier 2010, le pays est en proie à une épidémie de choléra depuis mi-octobre. À ce jour, plus de 120'000 personnes ont contracté la maladie et plus de 3'500 en sont mortes, selon les chiffres officiels.

"Trois choses sont fondamentales pour lutter contre le choléra: de l'eau propre, du savon et des latrines. En Haïti, en ce moment, on manque des trois", précise Jean-Philippe Jutzi. "Les gens boivent de l’eau contaminée, se lavent dans le caniveau. Dans ces conditions, l'épidémie est très difficile à enrayer."

La DDC a envoyé jusqu'à 20 experts du Corps d'aide humanitaire sur place: des spécialistes de l'eau, des médecins et des logisticiens pour la prise en charge des malades du choléra. En outre, elle fournit du matériel médical et de désinfection de l'eau, sans compter l'aide financière versée à plusieurs ONG pour leurs activités d'assistance sanitaire et de prévention de la maladie.