Tomáš Libertíny associe deux matériaux inattendus, le cristal massif argenté et la cire d'abeilles, dans The Seed of Narcissus. Son oeuvre spectaculaire propose de réunir le monde organique et artificiel, nature et culture.
Accompagnée d'une vidéo montrant les abeilles occupées à leur travail "colonisateur", l'œuvre en impose au premier abord par sa taille, puis c'est son odeur qui enveloppe le spectateur et le fait basculer dans une communication plus intime avec elle.
Sa forme de cocon évoque un essaim naturel et souligne la pesanteur exercée par le poids du dispositif. La cire, enfin, évoque la fragilité par sa tendreté. A une époque où la mortalité vertigineuse de larges populations d'abeilles frappe les consciences, cette œuvre est tout autant la leur que celle voulue par la main de l'homme, et met en valeur leur rôle essentiel par le biais de l'art.
Commentaire de Bettina Tschumi, conservatrice
Ce n'est un secret pour personne: la population mondiale des abeilles est en danger d'extinction. En cause: l'usage intensif de pesticides dans l'agriculture de monoculture. C'est dans ce contexte que Tomáš Libertíny a commencé ses recherches autour de ces insectes indispensables, en 2007. Nous avons un besoin vital d'eux, autant pour ce qu'ils produisent (miel, cire, gelée royale) que pour leur rôle dans la chaîne alimentaire (ils nourrissent les oiseaux et les ours), la médecine (propolis et dards) et la pollinisation.
Tomáš Libertíny, designer industriel de formation, avait également envie d'apporter un contrepoint à la sobriété parfois glaciale des produits du design. Influencé notamment par les pratiques pionnières de Droog aux Pays-Bas, il choisit la cire d'abeille comme matériau pour marquer sa distance avec un certain design qu'il estime déshumanisé, et il confie le travail de construction aux insectes. Ce faisant, Tomáš Libertíny se situe entre l'art et le design, avec un fort intérêt pour l'idée même de construction.
Comme on le voit sur la vidéo qui accompagne son œuvre, Tomáš Libertíny invite de jeunes abeilles à coloniser une forme donnée. Il les nourrit et les insectes régurgitent la nourriture dans les alvéoles afin d'assurer la survie de leur reine, encore infertile à ce stade. Le miel est enfin retiré et précieusement conservé à part, et les abeilles déplacées. La sculpture recouverte de cire constitue la trace de cette rencontre entre nature et art voulue par l’artiste et consentie par les abeilles.
RTS Découverte/mudac, Musée de design et d’arts appliqués contemporains de Lausanne
Brève biographie de Tomáš Libertíny
Tomáš Libertíny est né en 1979 à Rožňava, en Slovaquie. Il a étudié à l'Université Technique de Kosice où il s'est spécialisé dans l'ingénierie et le design. En 2001, il est lauréat de la George Soros's Open Society Institute Scholarship, une bourse qui lui permet d'étudier à l'Université de Washington à Seattle, lieu où il explore la peinture et la sculpture. Il poursuit ses études à l'Académie des Beaux-Arts et du Design de Bratislava et approfondit ses connaissances en peinture et en design conceptuel. Il reçoit une seconde bourse d'études (Huygens Scholarship) et enchaîne avec un master à l’Académie de Design d'Eindhoven, dont il sort diplômé en 2006.
En 2007, il ouvre son propre studio à Rotterdam où il explore les stratégies du design dans l'art et la science. C'est là qu'il crée différents objets pour des galeries d'art, des collectionneurs privés ou encore des institutions ou des clients de l'industrie.
Tomáš Libertíny a été récompensé en juin 2009 par le Designer of the Future Award, Design Miami/Bâle. Il a participé à de nombreuses expositions en Europe et notamment à la Biennale de Venise en 2013. Ses œuvres font aujourd'hui partie des collections de grands musées tels que le MOMA de New York ou le Corning Museum of Glass aux Etats-Unis.