Voici un tableau qui donne à voir la rade de Genève, la cathédrale Saint-Pierre et un vol de mouettes. Alice Bailly le peint en 1915, après son retour en Suisse à la mi-juillet 1914. Alice Bailly vient de passer près de huit années à Paris. Son arrivée à Genève survient juste avant que la Première Guerre mondiale n'éclate.
Elle a l'intention de passer l'été à Mézières, dans le canton de Vaud. Elle entend se consacrer à la préparation du Salon d'automne à Paris. Le 2 août, c'est la mobilisation générale et la fermeture des frontières. Son séjour à Mézières achevé, elle part s'établir à Genève.
Elle va devoir faire face à une situation difficile dans sa ville natale, qui est hostile à son art. Elle devra dépenser une énergie considérable pour survivre comme femme, seule et célibataire, et comme artiste, coupée de ses attaches parisiennes et du milieu artistique de Montparnasse.
Dans cette huile sur toile de 60,5 centimètres par 80,3 intitulée "Rade de Genève ou Vol de mouettes", l'artiste "redécouvre" Genève et en donne une vision très personnelle. Autour d'une zone centrale claire, une ronde de mouettes ordonne le paysage dans un éclatement de blancs et de bleus, et englobe, dans un même tourbillon, la rade de Genève, les volutes de fumées d'un bateau à vapeur, un nuage derrière la cathédrale Saint-Pierre, des voiles et des cygnes.
"Ce mouvement d'ailes nous entraîne vers les pays du rêve", écrit son ami l'écrivain genevois Albert Rheinwald. Pour Alice Bailly, c'est peut-être aussi celui de l'enfermement, un enfermement dû à la fermeture des frontières avec la France, en raison de la Première Guerre mondiale. Elle retournera à Paris après la guerre.
RTS Découverte/Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne
Brève biographie
Vaudoise d'adoption, Alice Bailly naît à Genève le 25 février 1872. Elle étudie à l'Ecole des demoiselles à Genève. A cette époque-là, l'Ecole des beaux-arts était uniquement réservée aux hommes. Bénéficiant d'une bourse de la Ville de Genève, Alice Bailly poursuit ensuite sa formation à Munich. En 1906, l'artiste s'installe à Paris où elle fréquente les peintres cubistes Juan Gris, Fernand Léger ou encore Francis Picabia.
En 1913, elle participe à l'organisation de la première exposition de peintres cubistes en Suisse romande, à Lausanne et à Genève. La même année, elle présente une exposition personnelle au Musée Rath à Genève, avant de rentrer définitivement en Suisse lorsque la Première Guerre mondiale éclate. Alice Bailly invente les tableaux-laine dès 1916. Elle crée ce terme de tableaux-laine pour éviter qu'on ne qualifie ses œuvres "peintes avec de la laine" de broderies.
Alice Bailly déménage à Lausanne en 1923. En 1936, elle est invitée à réaliser huit grandes peintures murales pour le foyer du Théâtre de la Ville, mais cette commande la conduit à l'épuisement. Elle meurt de tuberculose deux ans plus tard. Plusieurs expositions posthumes contribuent à sa notoriété, ainsi que la création en 1946 d'une bourse Alice Bailly, destinée à récompenser de jeunes artistes.
Courants artistiques
Alice Bailly s'intéresse aux mouvements d'avant-garde du début du XXe siècle, d'abord le fauvisme puis le cubisme et le futurisme. L'artiste a fortement contribué à faire connaître ces mouvements en Suisse romande.
Les artistes cubistes fragmentent le réel, font éclater les volumes et décomposent les objets en formes géométriques simples (cylindres, cubes, cônes) afin de le présenter sous une multitude de points de vue.
Le futurisme est un mouvement artistique et littéraire qui exalte le monde moderne, le "futur" et ses nouveaux mythes: la civilisation urbaine, la machine, la vitesse.