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Where to be when the past is over, des clichés de Martin Crawl

Tous les mois, RTS Découverte vous emmène, petits et grands, au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, au Musée de l'Elysée ou au Musée de design et d'arts appliqués contemporains de Lausanne - le mudac - pour découvrir une œuvre de ces institutions vaudoises appelées à se regrouper pour former le futur Pôle muséal de la capitale vaudoise. En ce mois de février 2016, le Musée de l’Elysée vous fait découvrir des photographies amateur revisitées par Martin Crawl, un artiste français né en 1967.

Voici des clichés de la série "Where to be when the past is over" ("Où se tenir quand le passé est révolu"). Ces photographies ont été acquises sur le site de ventes aux enchères eBay par Martin Crawl. Il s’agissait d’un lot de photographies en noir et blanc datant pour la plupart des années 1940. Le propriétaire avait posé sur chaque photographie une figurine en Lego. Par ce geste, il empêchait les internautes de lui "voler" ses images en les téléchargeant.

Rephotographier des photos et se les approprier

Le contraste entre les photographies argentiques noir-blanc et les Lego en couleur a frappé Martin Crawl. Ce dernier s’est approprié les images telles quelles et les a reproduites sous forme de photographies numériques. Ce contraste entre les photos anciennes et les Lego contribue à marquer le choc visuel entre les époques historiques – l’époque de la photographie analogique noir-blanc et celle du numérique en couleur. Martin Crawl a observé que le vendeur d’eBay a disposé les figurines Lego de différentes manières, comme s’il en avait fait un jeu.

Cette façon de procéder, en l’occurrence de reproduire des images faites par un tiers, s’appelle l’"appropriationnisme". L’appropriationnisme consiste en la citation, discrète ou explicite, d’une autre œuvre, d’un style, d’un artiste ou d’un courant artistique.

Cette œuvre est emblématique de la façon dont les photographies circulent à notre époque, sur nos écrans, comme un flot immense d’images où se cachent des trésors pour qui sait bien regarder. Est-ce que l’on pourrait dire alors que chacun peut devenir artiste ou collectionneur? Est-ce que l’on peut s’approprier les images qui circulent sans faire du plagiat? Telle est la question ouverte posée par l’œuvre de Martin Crawl.

Cette œuvre est emblématique de la façon dont les photographies circulent à notre époque, sur nos écrans, comme un flot immense d’images où se cachent des trésors pour qui sait bien regarder. Est-ce que l'on pourrait dire alors que chacun peut devenir artiste ou collectionneur? Est-ce que l'on peut s'approprier les images qui circulent sans faire du plagiat? Telle est la question ouverte posée par l'œuvre de Martin Crawl.

Le mot de Martin Crawl

"Il vend souvent des photos sur eBay. C’est son trésor. Il faut les protéger des pillards dans mon genre. Alors, il pose sur chacune un Lego® et les rephotographie. Kopierschutz ! Puis il s’ennuie, il se met à faire joujou, à faire mumuse, il s’y croit. Philosophe malgré lui, il met à nu notre rapport au passé, avec son Lego®. Mais aussi un espace où l’on ne cesse de vouloir s’inscrire. Comment ? On se projette, on se téléporte (mais mentalement), on s’imagine, on fait "comme si". Mais on n’y est pas. Le passé, c’est là où l’on n’est pas. Le Lego® matérialise la contradiction. Notre désir de faire ou d’avoir fait partie du passé, la tentative désespérée de le ramener à nous, de le rendre présent, de l’abolir en tant que moment disparu. Et l’échec inévitable de notre entreprise. On n’est jamais dans l’image. Au mieux, on pose notre effigie dessus. Tout ensemble, le fiasco et la joie."

Texte de Martin Crawl accompagnant la série Where to be when the past is over dans le magazine ELSE n° 1, 2014.

RTS Découverte/Musée de l'Elysée

* Vernaculaire: propre au langage courant, en opposition au langage scientifique. La photographie vernaculaire est une photographie liée à des pratiques quotidiennes, appliquées, non artistiques, comme la photographie de famille, la photographie amateur, par exemple.

** L’œuvre de Martin Crawl a été montrée au Musée de l’Elysée  dans le cadre de cette exposition du 4 juin au 24 août 2014

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Appropriationnisme

Le geste artistique que l’on appelle "appropriationnisme" est illustré par un certain nombre d’acquisitions du Musée de l’Elysée. L’appropriationnisme consiste en la citation, discrète ou explicite, d’une autre œuvre, d’un style, d’un artiste ou d’un courant artistique. Il se retrouve dans les différents arts depuis les années 1970; en photographie, on peut nommer par exemple Sherrie Levine (http://www.mamco.ch/collections/levine_T.html) ou Cindy Sherman (http://www.elysee.ch/artistes/cindy-sherman/). Lorsqu’on se situe hors du registre de l’art, s’approprier l’œuvre de quelqu’un d’autre s’appelle du plagiat. Sur le terrain de l’art, par contre, si l’on fait comprendre que l’on cite une autre œuvre (par le titre, le décalage, etc.), l’appropriationnisme est une sorte de jeu qui peut aussi être un test de connaissances!

"Anonymes? Des avantages de l'auteur méconnu"

Comme la plupart des musées, le Musée de l’Elysée possède dans ses collections des œuvres cataloguées comme "anonymes". Des photographies dont on ne connaît pas avec certitude - ou pas du tout - l’auteur. L’identité de cet auteur inconnu ou méconnu peut être parfois entr’aperçue par le biais du sujet, de la technique photographique ou du support, relativisant ainsi la notion d’anonymat. Le travail de recherche effectué par les documentalistes, les historiens et les conservateurs permet éventuellement d’éclaircir le mystère et de lier une photographie à un nom d’auteur. Parfois aussi, le terme d’"anonyme" est un raccourci appelé par la catégorisation nécessairement peu imaginative des bases de données, et recouvre des pratiques collectives ou non nominatives de la photographie. L’anonymat est ainsi fréquemment lié à la question de la photographie vernaculaire ou amateur, photographie peu prise en compte, jusqu’à récemment, par les institutions.

Le Musée de l’Elysée donne ici la preuve de son intérêt pour la photographie vernaculaire, appliquée ou amateur, en montrant, d’une part, une sélection de ses photographies anonymes, et, d’autre part, une série d’œuvres contemporaines emblématiques de sa politique d’achat. Les artistes ont, les premiers, su reconnaître les charmes de la photographie vernaculaire et, à l’instar des Surréalistes (http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-surrealisme/ENS-surrealisme.htm), l’ont mise en lumière, la faisant basculer du côté de l’art.

Lorsque l’auteur d’une photographie est anonyme, notre imagination est stimulée et se met à construire des histoires, à tisser des possibles autour de l’image sous nos yeux. L’image anonyme nous offre un champ de créativité et de liberté, liberté saisie par un certain nombre d’artistes contemporains qui s’approprient des photographies trouvées dans des marchés aux puces et dans des galeries, ou sur Internet. Objets trouvés, objets recherchés, ces images apparaissent comme des trésors de poésie, de décalage ou d’humour pour qui sait voir et mettre en valeur. On constate alors combien le regard fait l’œuvre, combien les sensibilités esthétiques changent selon le contexte, la culture, l’époque. On s’interroge sur le statut de l’auteur – qui se double ici d’un révélateur soit artiste, soit historien ou conservateur. Ainsi, du regard interprétatif du conservateur au geste appropriationniste et créatif de l’artiste, l’anonymat de l’auteur ouvre un espace vierge qui est colonisé avec bonheur.