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La Reine Berthe et les fileuses, une peinture d'Albert Anker

La reine Berthe et les fileuses d'Albert Anker [© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne - Albert Anker]
Une toile qui sonne comme une ode à l'artisanat. - [© Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne - Albert Anker]
Tous les mois, RTS Découverte vous emmène, petits et grands, au Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne, au Musée de l'Elysée ou au Musée de design et d'arts appliqués contemporains de Lausanne - le mudac - pour découvrir une œuvre de ces institutions vaudoises appelées à se regrouper pour former le futur quartier culturel lausannois Plateforme10. En ce mois de juin 2016, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne vous fait découvrir une toile d’Albert Anker, célèbre peintre suisse du 19e siècle.

Voici une huile sur toile d’Albert Anker de 86 cm par 126 cm peinte en 1888 et représentant la Reine Berthe, qui a vécu au 10 siècle, et ses fileuses. Exposées au grand soleil, une femme et quatre fillettes sont occupées à l'apprentissage du filage à la main, activité mise en évidence par la diagonale conduisant d'un panier rempli de fibres cardées au sommet d'une quenouille. Les cinq figures, frise de corps féminins coupés à mi-jambe, sont plaquées contre un mur blanc bordé d'éléments architecturaux en pierre jaune (pilastre, encadrement de fenêtre fleuri d'œillets roses). Statiques, elles semblent figées par l'éclair d'un instantané. L'expressivité des attitudes soutient la gestuelle démonstrative des mains. La femme enlace une enfant occupée à tresser le fil et l'aide à guider son fuseau. Une fillette imite les gestes de sa camarade. Une troisième élève maîtrise déjà la tenue du fuseau et l'enroulage du fil. Enfin, tout à droite, à l'écart du triangle dans lequel s’inscrivent l'enseignante et les trois novices appliquées, une adolescente à la mine butée esquisse un geste de repli sur soi.

Ce tableau se révèle un plaidoyer anti-moderniste, une glorification de l'artisanat à l'heure où la Révolution industrielle a fait disparaître le filage au profit des filatures et le travail à domicile au profit de l'aliénation en usine. En effet, ce n’est pas tant "la" reine Berthe, souveraine bien aimée du Royaume de Bourgogne au 10e siècle qu'Anker entend représenter ici, qu'une figure populaire incarnant au 19e siècle encore la nostalgie d'un temps révolu.

Eloge de la pédagogie "naturelle" chère à Pestalozzi, de la transmission de l'expérience des aînés aux plus petits dans le respect de chaque personnalité, cette scène de genre prend place dans le corpus des nombreuses représentations de fileuses, brodeuses et tricoteuses d'Anker. Mais elle hausse le ton en ajoutant à l'exposition d'un contenu la caution d'une figure historique et d'un adage populaire nostalgique: "du temps où la reine Berthe filait…".

RTS Découverte/Musée cantonal des beaux-arts de Lausanne

Pour aller plus loin:

Sandor Kuthy, Therese Bhattacharya-Stettler, Albert Anker. Werkkatalog der Gemälde und Ölstudien, Bâle, Wiese et Berne, Kunstmuseum, 1995.


Martin Stuber, Gerrendina Gerber-Visser, Isabelle Messerli, "Ländliche Gesellschaft und materielle Kultur bei Albert Anker (1831-1910)", Berner Zeitschrift für Geschichte (BEZG), 72. Jahrgang, Heft Nr.2, 2010.

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Brève biographie

Albert Anker est né en 1831 à Anet, dans le canton de Berne. Il suit un premier enseignement de dessin chez Louis Wallinger à Neuchâtel, puis entame à 20 ans des études de théologie à l’université de Berne. En 1854, il décide de se consacrer à la peinture et se rend à Paris pour suivre les cours du Vaudois Charles Gleyre. Il entre ensuite à l’École des Beaux-Arts. De 1859 à 1885, il expose régulièrement son travail au Salon de Paris et effectue plusieurs voyages en Italie, en Allemagne, en France et en Belgique. De 1860 à 1990, il passe ses hivers à Paris et ses étés dans son village natal où il trouve une partie de ses sujets.

Outre ses activités artistiques, Albert Anker occupe de nombreuses fonctions. Il est député au Grand Conseil de 1870 à 1874, où il s’engage pour la construction du Musée des Beaux-Arts de Berne. Il est organisateur de la section suisse à l’Exposition universelle de 1878 à Paris et membre de la Commission fédérale des Beaux-Arts et de la Fondation Gottfried-Keller. En 1891, alors âgé de 60 ans, il choisit de s’installer définitivement à Anet et quitte son domicile parisien. Une attaque en 1901 paralyse sa main droite et l’empêche de réaliser des peintures de grand format. Il privilégie alors l’aquarelle jusqu’à sa mort en 1910.

Le courant artistique

Les scènes de genre d’Albert Anker évoquent souvent la vie quotidienne à la campagne, le monde de l’enfance, l'harmonie et la transmission de savoir-faire entre les générations. Son œuvre – qui comprend également des natures mortes et de nombreux portraits – s'inscrit dans un réalisme intimiste et reflète une certaine idéalisation* et esthétisation** de la vie rurale. Si les thèmes champêtres sont courants au 19e siècle chez les peintres français (Jean-François Millet, Gustave Courbet), Anker montre des scènes inspirées de la réalité suisse, observées à Anet. Ces scènes ne relèvent pas de la critique sociale; elles témoignent de son profond attachement pour les gens et font de lui un des peintres suisses les plus populaires.

* Action qui consiste à embellir une situation.
** Action qui consiste à rendre les choses jolies, plaisantes à regarder.