Voici "L'Homme au serpent", une sculpture en bronze de 69 cm de haut d'Auguste Rodin datée de 1887. L'œuvre appartient à l'ensemble de plus de deux cents figures et groupes élaborés au fil des ans par l'artiste dans le cadre de ses réflexions pour une porte destinée à orner le Musée des arts décoratifs de Paris commandée en 1880 par l'État français qui en impose le sujet: la Divine Comédie de Dante. Rodin n'achèvera jamais son projet mais ses recherches sont un véritable vivier dans lequel il puise inlassablement pour de nouvelles créations.
Une sculpture restée cachée durant un siècle
Il est probable que cette sculpture, qui montre un homme luttant avec un serpent, tire son origine d'un passage de l'Enfer où Dante écrit "Les trois ombres étaient toujours devant moi, lorsqu'un serpent qui rampait sur six pieds s'élance vers l'un des coupables, et s'attache tout entier à lui. D'un triple effort, il lui serre en avant les bras, les flancs et les genoux; lui ramène en arrière sa queue autour des reins, et, le pressant ici face à face, lui creuse d'une seule morsure et l'une et l'autre joue". Ou peut-être du passage suivant: "Je regardais, et voilà qu'un serpent, lancé près des bords où nous étions, pique un coupable à la gorge; et dans un clin d'œil, le coupable enflammé se consume et tombe réduit en cendres."
Un collectionneur marseillais, Antoni Roux, repère le plâtre de cette représentation de la lutte contre la mort dans l'atelier de Rodin. Il demande au sculpteur de réaliser pour lui un exemplaire unique en bronze. Et ce tirage unique, qui avait disparu depuis sa vente aux enchères en 1914 après le décès d'Antoni Roux, fait aujourd'hui partie de la collection du Musée des Beaux-Arts de Lausanne. La sculpture a été donnée anonymement à l'institution en 2015. Elle a été prêtée au Musée Rodin de Paris pour l'exposition intitulée "L'Enfer selon Rodin", qui se tient du 17 octobre 2016 au 22 janvier 2017.
RTS Découverte / Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne
Voici une vidéo qui explique la technique de la fonte à la cire perdue:
Brève biographie d'Auguste Rodin
Né dans une famille modeste à Paris, Auguste Rodin entre à l'âge de 14 ans à l'École spéciale de dessin et mathématique (future École des arts décoratifs). Il y étudie le dessin, puis rejoint une classe de sculpture où son talent pour le modelage est remarqué. Il échoue pourtant à trois reprises au concours d'entrée de l'École des beaux-arts en section sculpture, et doit gagner sa vie en travaillant comme sculpteur-ornemaniste, notamment dans l'atelier de Carrier-Belleuse. En 1877, Rodin modèle sa première œuvre majeure, "L'Âge d'airain"; on l’accuse d'avoir moulé sa figure sur nature. C'est dans les années 1880 qu'il rencontre le succès avec la commande, par l'État français, d'une porte pour le futur musée des arts décoratifs, la "Porte de l'enfer". En 1883, il fait la connaissance l’artiste Camille Claudel et réalise le Buste de Victor Hugo. Il a quarante-cinq ans lorsque la municipalité de Calais lui commande le Monument des Bourgeois de Calais. Rodin dirige plusieurs ateliers et devient notamment membre fondateur de la Société nationale des Beaux-Arts. Après avoir fait scandale avec son Monument à Balzac jugé trop novateur – il est refusé par ses commanditaires, les membres de la Société des gens de lettres, et ne sera présenté au public que bien des années plus tard –, il expose en 1904 "Le Penseur" à la Société internationale de Londres, puis au Salon de Paris. Son œuvre est ensuite présentée dans le monde entier (Berlin, Tokyo, New York). Rodin meurt à Meudon en 1917, quelques mois après avoir épousé Rose Beuret, sa compagne pendant plus de 50 ans.
La sculpture en bronze
Les sculptures en bronze de Rodin sont réalisées selon la technique de la fonte à la cire perdue. Les mouleurs prennent l’empreinte de l'œuvre originale en plâtre dans un lit de matériau élastique rigidifié par un moule extérieur plus résistant. À l'aide de ce moule, on réalise un noyau en ciment réfractaire. On referme ensuite le moule sur le noyau, et dans le vide ainsi créé, on coule la cire dont l'épaisseur correspond à celle du bronze au final. Le moule est ouvert et l'on opère sur le modèle en cire de petites retouches; l'artiste peut signer, on grave le numéro du tirage et le cachet de la fonderie. Puis on installe un réseau de conduits par lequel la cire liquéfiée s'écoulera pour laisser la place au bronze. La surface de la cire et des conduits est recouverte d'une enveloppe de terre réfractaire, la chamotte: c'est le moule de coulée qui est introduit dans un four après séchage. La température monte et la cire liquéfiée s'écoule. Le moule, renforcé par un manteau extérieur de sable, est descendu dans la fosse de coulée. Le bronze en fusion (1200 degrés) est versé dans le bassin de coulée et s'écoule. Lorsque le bronze est refroidi, on brise le moule, puis on évide la fonte en émiettant le noyau réfractaire. Au final interviennent les ultimes travaux: la ciselure et la patine.